L’une des menaces du wokisme est une véritable bombe à retardement

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Conséquences du wokisme sur la société
Picto Lab Le Diplomate

Par Philippe PuliceSa chaîne YouTube : Les Réveillés

Le wokisme a assurément façonné les sociétés occidentales en mettant au premier plan certaines problématiques, notamment celles liées au racisme et aux discriminations. C’est, bien évidemment, une chose positive en soi. Ce mouvement n’a pas à revendiquer la paternité des luttes menées par les femmes, les minorités sexuelles et ethniques, car celles-ci ont commencé bien avant sa naissance. Cependant, pour ces luttes, il a incontestablement joué un rôle d’accélérateur et d’amplificateur.

Critiquer le wokisme est toujours un exercice difficile, et cette chronique a pour objectif, entre autres, d’expliquer pourquoi ce mouvement semble échapper à la remise en question. Elle vise également à mettre en lumière une menace majeure largement sous-estimée.

Pourquoi la critique du wokisme est-elle si délicate ?

« Une lapalissade qui fait toute la différence » …

Tout d’abord, les causes mises en avant par le wokisme sont difficiles à contester, car elles sont, pour la plupart, légitimes et porteuses de sens : la justice sociale, la lutte contre le racisme, le combat contre les discriminations et les injustices. Le wokisme promeut également l’équité, mais ce concept demeure flou pour beaucoup. En effet, nombreux sont ceux qui le confondent avec un principe d’égalité amélioré, sans percevoir sa véritable signification ni envisager les conséquences concrètes de sa mise en application. Présenté exclusivement à travers les causes que ce mouvement est censé défendre, le wokisme apparaît inattaquable, et c’est là sa force. Critiquer le wokisme, c’est donner l’impression de s’opposer aux progrès des droits humains.

Mais pour critiquer le wokisme, il faut d’abord comprendre l’idéologie qui se cache derrière le mouvement. Encore faut-il la connaître ! C’est une lapalissade, certes, mais une lapalissade qui fait toute la différence.

« Nul n’est prophète en son pays » …

C’est aussi une question de timing. Tout est régit par des cycles, et le wokisme n’y échappe pas. On peut le comparer à un processus où les étapes s’enchainent les unes après les autres. Cela ne sert à rien d’essayer de brûler les étapes car cela est impossible. En ce qui concerne le wokisme, les premières étapes sont marquées par un emballement général, une sorte de séduction massive. Il y a souvent un engouement, voire une passion, pour toute nouveauté, surtout lorsqu’il s’agit d’une idéologie prétendant améliorer le monde. L’histoire nous le montre, comme ce fut le cas avec le Marxisme. Tant que nous sommes dans ces premières étapes, ce qui est le cas, la critique est certes possible, mais elle est peu recevable. Les gens dans leur immense majorité, ne sont tout simplement pas prêts à l’entendre. Nul n’est prophète en son pays…

Le wokisme s’inscrit dans le temps long, et il faudra encore quelques années pour que ses retombées soient véritablement perceptibles. Alors viendra le temps du bilan, la critique s’exercera librement et la parole sera désinhibée. Nous serons alors dans les étapes finales du processus. Quoi qu’il en soit, le wokisme a permis au plus grand nombre de prendre conscience d’au moins trois points majeurs.

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« Le wokisme est un cri d’alerte puissant » …

Le premier point concerne la souffrance humaine, qu’il ne faut ni sous-estimer ni négliger. Des personnes continuent de souffrir du racisme, de la xénophobie, de l’homophobie, du sexisme, du machisme, etc. Nul ne peut ignorer la violence, dans toutes ses formes, qui perdure dans nos sociétés. Nul ne peut, ni ne doit, rester indifférent à la détresse et au mal-être des individus. Le wokisme est un cri d’alerte puissant, rappelant aux sociétés occidentales que, malgré des avancées incontestables, il est urgent d’aller beaucoup plus loin dans la prise en compte de certaines revendications.

« La réflexion sur les constructions est loin d’être inintéressante et inutile » …

Le second point concerne l’influence des modèles et des catégories sur les individus. Une prison dont il est parfois difficile de s’échapper, car les stéréotypes et les préjugés sont profondément ancrés dans nos inconscients. Ils contribuent à maintenir des comportements et des idées qui peuvent nuire à leur épanouissement, contribuer à des réflexes de rejet et d’exclusion, provoquer des discriminations et des injustices, et entraîner des violences sous toutes leurs formes, engendrant ainsi de la souffrance. Le wokisme provoque une véritable onde de choc en remettant en cause des éléments parfois perçus comme immuables. La réflexion sur les constructions, en l’occurrence les constructions culturelles et sociales, est loin d’être inintéressante et inutile. Mais avec son prisme idéologique, le wokisme a limité cette réflexion en interprétant le concept de déconstruction de manière militante. Les intellectuels du wokisme n’ont curieusement pas compris que le concept de déconstruction est surtout une formidable invitation à insuffler le doute, le questionnement, le recul et la nuance dans nos réflexions, à l’opposé de leur posture rigide et de leur dialectique péremptoire.

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« Les sociétés occidentales paient leurs crimes et erreurs du passé » …

Le dernier point correspond aux liens de causalité, en d’autres termes, chaque acte entraîne des conséquences immédiates et à long terme. Les sociétés occidentales paient leurs crimes et erreurs du passé. Les horreurs de l’esclavage laissent des traces probablement indélébiles dans les mémoires individuelles et collectives. Les politiques colonialistes, avec leur lot de conflits, de guerres et de victimes de part et d’autre, sont loin d’être oubliées. La nature humaine étant ce qu’elle est, il est concevable que tout cela ait généré ressentiment, méfiance, défiance et, pour certains, un esprit revanchard. Le wokisme met en lumière la démarche dominatrice et conquérante des sociétés occidentales ainsi que les conséquences de celle-ci, notamment lorsque les populations immigrées proviennent des pays anciennement colonisés. Cependant, toujours à travers son prisme idéologique, le wokisme se focalise presque exclusivement sur le passé, alors qu’il serait intéressant et pertinent d’explorer également les formes actuelles de domination et d’impérialisme.

Le wokisme présente forcément une facette positive, précisément sur le court terme, et le critiquer en bloc, sans y apporter de la nuance, serait faire preuve de stupidité, d’une cécité idéologique et d’un déficit de bienveillance.

Néanmoins, ce mouvement repose sur une idéologie encore massivement méconnue, présentant des menaces sous plusieurs aspects. Il exploite cette méconnaissance, ce qui explique en partie sa propagation rapide et massive. Une idéologie qui présente la société occidentale à travers une grille de lecture à la fois binaire et manichéenne : d’un côté, les dominants ; de l’autre, les dominés, ou plus précisément, les victimes. Une idéologie qui essentialise les individus en les enfermant dans leur appartenance identitaire, où tout semble inéluctable. Elle pousse certains dans une posture victimaire qui les dévalorise et les déresponsabilise, tandis qu’elle plonge d’autres dans la haine de soi, la culpabilité, voire la repentance.

Parmi les menaces que présente cette idéologie, l’une d’elles est particulièrement inquiétante, car il s’agit d’une véritable bombe à retardement : l’inversion des valeurs !

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« Le laxisme de la justice, souvent dénoncé, n’est peut-être pas le symptôme de dysfonctionnements marginaux, mais le reflet d’une tendance lourde qui émerge » …

L’idéologie woke entraîne un phénomène d’inversion des valeurs, conséquence de la culture de l’excuse, le pendant de la posture victimaire. Se généralise l’idée, déjà ancienne, que le délinquant, surtout s’il est issu des minorités ethniques, n’est finalement que le produit d’une société qui n’a pas assumé son rôle. Dit autrement, le délinquant est une victime. C’est le premier stade.

Cependant, le wokisme invite à aller beaucoup plus loin en considérant que la condamnation d’un délinquant constitue en soi une injustice, puisque cette personne est victime de la société, et qu’une condamnation reviendrait à une double peine immorale. De quoi déresponsabiliser les individus et rendre le système pénal peut dissuasif. On ne peut que penser à la célèbre citation d’Adam Smith, « La miséricorde pour le coupable est cruauté pour l’innocent ». Quelques exemples. En France, Caroline de Haas, militante néo-féministe (formatrice externe auprès du Conseil d’Etat en 2022 et 2023), estime qu’il faudrait supprimer les prisons, toutes et partout. Jean-Luc Mélanchon, le leader du parti La France Insoumise, souhaite entre autres, supprimer le référentiel carcéral pour bon nombre de délits. Aux Etats-Unis, de plus en plus de « voix wokes » s’élèvent pour assimiler les prisons à l’esclavage moderne. Des procureurs annoncent qu’ils ne poursuivront plus les petits délits car il s’agit de délits causés par la pauvreté. Le laxisme de la justice, souvent dénoncé, n’est peut-être pas le symptôme de dysfonctionnements marginaux, mais le reflet d’une tendance lourde qui émerge.

Et puis, il y a cette fronde contre la police qui rend perplexe. Que penser de l’acronyme ACAB (All Cops Are Bastards), qui se traduit par « Tous les flics sont des bâtards » ? On le voit entre autres, dans la plupart des universités. Que dire de l’affirmation de Jean-Luc Mélenchon : « La police tue » ? Aux États-Unis, Marianne Kaba, militante et écrivaine, a publié une tribune dans le New York Times, intitulée : « Oui, nous voulons littéralement abolir la police. » Tout est dit.

Avec l’idéologie woke, les individus se retrouvent enfermés dans des cases qui s’opposent les unes aux autres, rendant toute échappatoire impossible. Les accusations sont virulentes et ne tolèrent aucune mesure. Comment éviter le ressentiment et l’esprit de revanche quand vous apprenez que la société dans laquelle vous êtes né, ou dans laquelle vous avez immigré, est volontairement raciste, xénophobe et a institutionnalisé les discriminations pour mieux vous dominer et vous exploiter ? Et quand vous êtes une jeune femme, comment ne pas se méfier, craindre, mépriser, voire détester les hommes, quand on vous apprend qu’ils sont intrinsèquement mauvais et que, finalement, le viol n’est que la continuité de gestes semblant anodins, comme un regard insistant ou une main posée sur votre bras ? Comment également ne pas ressentir des sentiments vindicatifs quand vous êtes homosexuel et que vous apprenez que la norme hétérosexuelle n’est qu’une invention destinée, là encore, à mieux asseoir la domination des uns sur les autres ?

Dans le registre des paradoxes, l’idéologie woke ne cherche pas à mettre fin aux discriminations, mais à en instaurer de nouvelles, simplement inversées. Au nom de l’équité, le principe d’égalité des chances et du mérite pour tous est remplacé par la discrimination positive, terriblement injuste pour ceux qui n’en bénéficient pas. Il ne s’agit plus d’être compétent, bon, voire excellent, mais de répondre à des critères d’appartenance identitaire. Rien de tel pour casser la motivation et l’envie de se surpasser. Mais aussi, de quoi alimenter, là encore, ressentiment et jalousie. L’idéologie woke ne supporte pas les différences, même les plus naturelles ou méritées, car elle les perçoit systématiquement comme des sources de discriminations et d’injustices.

Cette opposition systématique entre les individus, engendrée par l’idéologie woke, risque de conduire à une déshumanisation rapide où l’empathie, l’entraide et la bienveillance pourraient passer par pertes et profits, car tout est perçu comme suspicieux. Prenons quelques exemples : la galanterie serait considérée comme une forme de sexisme ordinaire (dixit la Mairie de Paris) ; l’idée que les hommes doivent protéger les femmes est présentée comme une forme de misogynie (dixit le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes) ; aider une personne mal voyante à traverser la rue serait une offense, car cela renverrait brutalement à la personne concernée, son handicap ; donner un conseil amical ou apporter une aide quelconque à une personne racisée quand on est blanc serait également perçu comme une offense, car cela ferait ressurgir un rapport de domination.

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« Une violence qui va se généraliser et monter graduellement en intensité dès lors qu’elle apparaîtra comme légitime aux yeux de ceux qui sont capables de l’exercer » …

L’idéologie woke ne rassemble pas ; au contraire, elle divise et oppose les individus. Les accusations sont pléthoriques et alimentent la posture victimaire. Elle engendre une violence qui va se généraliser et monter graduellement en intensité dès lors qu’elle apparaîtra comme légitime aux yeux de ceux qui sont capables de l’exercer. En ce qui concerne la légitimité de cette violence, les élites – concrètement les personnes qui détiennent le pouvoir, notamment au niveau de la politique, de la justice et des médias – qui soutiennent le mouvement woke pour diverses raisons, portent une part de responsabilité énorme.

Entretenir une culture du ressentiment, de l’excuse et de l’impunité, alimenter le sentiment d’un deux poids, deux mesures – soit la perception d’une injustice institutionnalisée – et continuer à détruire nos valeurs représentent une menace terrible pour nos sociétés. Celles-ci risquent de glisser dans une violence généralisée, potentiellement extrême, entraînant les individus vers le repli sur soi et l’hyper-individualisme. Et cette menace est probablement la pire !

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