Dimitri de Kochko est journaliste et responsable associatif. Il a travaillé trente-trois ans pour l’AFP, ce qui ne l’a pas empêché de publier ailleurs divers articles sur les relations internationales et la micro-économie. Il a également réalisé des reportages et des films pour la télévision et été régulièrement l’invité d’émissions de radio et de télévision en France et à l’étranger. Plus particulièrement orienté vers le monde russophone, après la fin de l’URSS il a créé plusieurs associations d’amitié et de coopération entre la France, l’Europe occidentale et la Russie et de manière plus large ensuite, une union de russophones. Et puis, en lien avec les exigences de l’actualité, il est à l’origine d’un comité contre la haine et pour la paix en Europe : stoprussophobie.info. Le site existe depuis 2017 et est actuellement en reconstruction.
Propos recueillis par Hélène Richard-Favre
Le Diplomate : Avant tout, merci de nous dire quelques mots de vous.
Dimitri de Kochko : Je suis journaliste par vocation. Je reconnais qu’aujourd’hui, à mon grand regret, je ne mets plus ça en avant, compte tenu de ce qu’est devenue l’image de la profession dans la société. Malheureusement à juste titre. La première charte de déontologie journalistique a été élaborée en France en 1918, à la fin de la 1ère guerre mondiale. D’autres versions ont vu le jour depuis, dont une version internationale dans les années 1970 à Munich. Elles définissent toutes un certain nombre de préceptes et de conduite morale (déontologique) qui sont aujourd’hui abondamment bafoués chez nous. J’invite vos lecteurs à consulter ces chartes sur internet (site du SNJ français par exemple) pour ne pas trop s’éloigner du sujet diplomatique d’aujourd’hui.
Pardonnez ce « préambule ». Je crois qu’il répond un peu à la question sur moi : je tiens dans ma profession et dans ma vie à une recherche des faits et à une relation honnête et équilibrée de ces faits, même si leur interprétation et les opinions qu’on peut en avoir sont différentes. Un débat de bonne foi doit contribuer à rendre nos sociétés vivables et intéressantes.
J’ai trop d’expérience humaine et journalistique pour être complètement idiot et employer une langue de bois « bisounours ». Bien sûr qu’il y a le possible et le souhaitable. Bien sûr que parfois la langue d’Ésope est indispensable ou le silence, incontournable. Mais la confusion entre information et communication à laquelle on assiste aujourd’hui en matière de médias est insupportable. Elle a des conséquences pour l’évolution de nos sociétés et de nos enfants.
Ce n’est pas seulement le mensonge orwellien (cf. 1984) du contenu qui est grave : le ministère de la vérité qui gère le mensonge chez Orwell et aujourd’hui, le comité « pour la paix » qui alimente la guerre dans les nouvelles structures de l’Union européenne… Il y a aussi les procédés et la forme empruntés à la publicité et à la propagande : l’appui exclusif sur l’émotion, la négation de la connaissance, le révisionnisme historique, les amalgames, les double standards et bien sûr le refus de tout débat ou réflexion en discréditant les sources gênantes et cataloguant, avec force répétition, les voix discordantes. En leur coupant tous les micros et médias. Orwell dénonçait le totalitarisme stalinien. Nous en subissons pleinement les techniques chez nous. Pourvu que cette folie ne nous entraîne pas vers l’irréparable, comme on peut le craindre aujourd’hui.
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J’ai eu la chance de pouvoir vivre en partie ma vocation. J’ai été plus de trente ans « soutier de l’information » au sein d’une agence de presse internationale sans me priver, ce qui est plus rare, d’autres activités dans le domaine journalistique écrit, télévisé, radiophonique et numérique dès ses débuts. J’ai pu exercer en France et à l’étranger. Après l’implosion de l’URSS, j’ai trouvé le temps de me lancer dans l’activité associative, non comme un palliatif mais par conviction et espoir que je pouvais contribuer à la naissance d’une Europe de prospérité maintenue et de paix. Pour moi, grâce à la prise en compte de son ensemble territorial de l’Atlantique au Pacifique et de ses complémentarités économiques, naturelles et humaines. Là encore, c’était ignorer le pouvoir hégémonique de l’outre-Atlantique et de ses « proxy » chez nous. Pour notre malheur maintenant.
Beaucoup de déceptions donc à première vue. Pourtant, renoncer au souhaitable, c’est tomber dans l’opportunisme, l’iniquité et la servitude. Ce n’est pas ma conception du bonheur : peut-être à tort.
Pour finir de répondre, je raconte : j’étais aussi journaliste syndicaliste et lors d’une réunion du Comité d’Entreprise d’alors, je soulevais un problème sensible à l’époque. Le PDG, homme supérieurement intelligent mais quelque peu cynique, m’interrompt pour dire : « vous savez je vous sens de bonne foi mais… » ce qui signifiait dans son esprit « quel imbécile ! ». J’ai aggravé mon cas en lui répondant : « à l’école primaire, j’étais pour les Indiens ! ». « Alors là, c’est sans espoir », a conclu le PDG.
LD : Le 24 février 2022, pour mon blog, je vous avais posé quelques questions suite à l’offensive russe en Ukraine. Plus de deux ans se sont écoulés depuis lors. Comment estimez-vous la situation actuelle entre la Russie et ce qu’on appelle Occident ?
DdK : En février 2022, la Russie se mêlait du conflit qui durait depuis 2014 dans le Donbass, quotidiennement bombardé, pour empêcher ce qui se passe aujourd’hui à Gaza. Comme l’ont reconnu Mme Merkel, ex-chancelière allemande, et François Hollande, sans parler de
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Porochenko, l’ex de Kiev, les accords de Minsk I et II entre le gouvernement de Kiev et les rebelles n’étaient pas destinés à être appliqués mais à préparer des forces armées kiéviennes pour régler par les armes la question des « êtres inférieurs » (selon la terminologie employée par les partis qui ont pris le pouvoir à Kiev en 2014 – en fait des Russes historiques) du Donbass. Ces accords devaient mettre fin aux combats de 2014 et 2015 déclenchés par les forces de Kiev en réaction à la rébellion du Donbass contre le coup d’état de Maidan de février 2014 qui a interdit la langue russe maternelle dans la région et qui a généré le massacre des partisans fédéralistes de la maison des syndicats les 1-2 mai à Odessa.
Après 5 ans de préparation militaire, de construction de lignes de fortifications à l’ouest de la région du Donbass, d’installations de la CIA dévoilées cette année dans la presse américaine, de laboratoires de recherches biologiques, de formations de militaires ukrainiens en UE et USA, le jour J était enfin arrivé en février 2022. L’heure était venue pour lancer le nettoyage ethnique sur le modèle de ce que firent les Croates en 1995 contre les populations serbes de la Krajina qui vivaient là depuis des siècles. Il s’agissait d’environ 250.000 personnes, alors qu’il y avait 4 millions d’habitants dans le Donbass. Du reste, l’allusion à « la solution croate » était mentionnée publiquement depuis plusieurs mois par des dirigeants kiéviens. Le conseiller de la Présidence kievienne, M. AlexeÏ Arestovitch avait expliqué dès 2019 qu’une guerre avec la Russie était indispensable pour que l’Ukraine puisse entrer dans l’OTAN et avait annoncé déjà que cette guerre serait totale et aurait lieu en 2022 ! Les barrages d’artillerie contre les habitants se sont intensifiés dès le 13 février, selon les observateurs de l’OSCE qui, sans être neutres étaient encore sur place et de ce fait témoins.
Les Russes sont intervenus précipitamment, ce qui explique en partie certaines incohérences et impréparations du début de leur opération militaire spéciale. La propagande, chez nous, parle « d’invasion de l’Ukraine ». Ce qui est évidemment ridicule, compte tenu qu’on n’envahit pas un pays comme l’Ukraine avec quelque 170’000 hommes !
Je me permets ce retour en arrière car c’est ce qui explique partiellement la situation actuelle. Il faut garder à l’esprit que l’affrontement armé n’aurait pas eu lieu si les États-Uniens et leurs obligés de l’OTAN avaient répondu à la proposition russe en décembre 2021 d’un sommet sur la sécurité européenne ou même mondiale. On peut l’interpréter comme un Yalta actualisé mais le fait est que ça aurait évité la guerre.
L’offre a été rejetée avec mépris. L’explication, en substance, était qu’on n’a pas à discuter sécurité avec « une pompe à essence ». Tout en traduisant bien sûr la condescendance des « élites » occidentales à l’endroit des Russes, ce n’est pas un mépris en l’air : c’est le rôle attribué à la Russie dans la division internationale du travail du point de vue des globalistes de la City et de Wall Street, après la fin de l’URSS. Et ils y sont parvenus pendant une vingtaine d’années en s’appuyant sur une caste d’oligarques compradores nouveaux riches, bien utiles mais non admis de plein droit parmi les grands.
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Voilà une des clés pour comprendre l’action du président Poutine (cf. le discours de Munich en 2007), qui malgré tous ses efforts, n’a pas cessé d’être éconduit lorsqu’il demandait un traitement digne pour la Russie. Pour les Yankees, la Russie est une terre de matières premières dont il faut s’emparer, comme ce fut le cas pour les terres des Indiens en Amérique. Et si les proxys de l’époque Eltsine ne suffisent pas pour le faire et que des Poutine parlent soudain « d’intérêt national », on envisage de démanteler la Russie. La Rand corporation, un think tank proche de la CIA et d’autres agences, a même dessiné une carte avec drapeaux et trouvé quelques Russes « opposants » pour leur attribuer le projet.
Les choses n’ont pas tourné comme prévu ni d’un côté ni de l’autre.
Les Russes espéraient garantir la sécurité des habitants des deux républiques insurgées du
Donbass et parvenir assez rapidement à un accord avec Kiev. Cela a failli se produire, lorsque les négociations en mars 2022 ont abouti à un accord, interdit par les Anglo-Saxons.
Ces derniers attendaient l’intervention des Russes en réaction aux opérations de nettoyage ethnique du Donbass. Or ceux-ci sont intervenus par surprise juste avant. Le plan otanien de règlement à la croate explique la « clairvoyance » des services américains qui annonçaient l’intervention imminente des Russes en Ukraine. En dernière analyse, elle dépendait de leur calendrier à eux. D’où l’application ultra-rapide de nouvelles « sanctions » anti-russes, préparées à l’avance en plus de celles mises en place depuis 2014. Il y en avait même avant, sous le prétexte Magnitsky qui marque en réalité le début de l’offensive contre la Russie.
Il a tout de même fallu organiser (mal) la farce tragique de Boutcha pour contraindre les
Européens ayant des états d’âme à se tirer un obus dans le pied en acceptant le nouveau train de « sanctions » que parfois les Américains n’appliquaient pas ou avec des nuances ! Mais c’est pourquoi un Bruno Lemaire, à l’époque ministre français des finances, a pu répéter publiquement -au risque de se ridiculiser- les briefings des maîtres américains auxquels a aussi pu croire un Boris Johnson lorsqu’il a interdit à Zelenski de signer un accord avec les Russes en mars 2022.
D’où aussi des effectifs armés massifs otano-kiéviens en lisière du Donbass et des fortifications (trois lignes Maginot) bien préparées, pour lesquelles des combats ont lieu depuis le début de l’opération militaire russe. Maintenant, avec la prise de Pokrovsk, les Russes pourraient passer à un autre rythme sur le terrain. Visiblement, sur le plan militaire les choses tournent à l’avantage de la Russie. Pour ma part, je ne crois pas pour autant que c’est déjà la victoire. Hannibal aussi avait remporté des victoires sur les Romains… Les otaniens n’avaient pas prévu une aussi bonne résistance et, pire encore pour eux, une telle résilience économique. Ils avaient un peu trop cru à leurs propres narratifs de propagande russophobe et aux « confidences » que leur susurraient toutes sortes d’opposants, qu’ils généraient et soutenaient et qui cherchaient à leur soutirer toujours plus.
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Par conséquent, ils ne pouvaient pas prévoir non plus qu’ils manqueraient d’armes à la suite de leur désindustrialisation massive. Du coup, on en est arrivé au seuil de la confrontation nucléaire pour laquelle les Russes sont en supériorité grâce à l’hypersonique. Ces derniers ont aussi été capables de réorganiser leurs troupes au sol et de rattraper leur retard en matière de drones et de protection des combattants. Une victoire otanienne sur le terrain semble hors d’atteinte pour l’instant.
Du point de vue américain toutefois, une première victoire de taille a été remportée : l’Europe occidentale est coupée de la Russie, les États-Unis vendent leur gaz et pétrole à l’Europe après avoir fait sauter le Nord Stream, chèrement payé en plus des Russes, par les Allemands et les Français. Ces derniers avalent et se terrent dans le silence et restent sous contrôle grâce à un personnel acquis à l’Atlantique Nord.
À en croire les échos de la presse d’outre-Atlantique et les déclarations de plus en plus nettes de politiciens -et pas seulement trumpistes- le deep state a compris que c’était raté pour cette fois. Et le pragmatisme américain les pousse à limiter les dépenses inutiles pour l’Ukraine. D’autant qu’il y a aussi l’allié israélien qui est en demande et qu’ils sont tout de même en période pré-électorale.
Le choix que les Américains ont fait, vraisemblablement depuis près d’un an (après l’explosion du Nord Stream et l’échec de la « contre » offensive otano-kievienne de l’été 2023), est d’obtenir un cessez-le-feu pour geler la situation à la coréenne. Mais en plus agressif, pour éviter que les Européens ne lèvent des sanctions contre la Russie. De plus, il leur faut éviter que les Russes ne s’emparent ou libèrent Odessa, selon les points de vue. Car alors, il n’y aurait plus moyen de réarmer sur le territoire ukrainien, utile pour la prochaine offensive dans quelques années. Et bien sûr, il leur faut défendre le monopole du dollar qui commence à fléchir mais pas à s’effondrer, comme veulent le croire -ou le faire croire- trop de commentateurs. Ce contexte explique les déclarations et les actions actuelles. D’une part, faire plier les Russes qui n’ont aucunement intérêt à un gel des opérations alors qu’ils ont l’avantage, d’autre part, permettre aux Américains et otaniens de se réarmer et, selon leurs méthodes habituelles, de préparer opinions et pays où ils ont des bases à la confrontation prochaine contre la Russie et peut-être la Chine. C’est bien sûr sans compter sur un éventuel succès des BRICS, qui représentent sans doute le meilleur espoir pour la Russie et le monde d’échapper à l’Apocalypse nucléaire et aux plans hégémoniques. Il est toutefois peu probable que l’Hégémon justement acceptera sa chute, aussi limitée et temporisée soit-elle. Ces éléments permettent aussi de comprendre les discours jusqu’au-boutiste et les remaniements totalement extrémistes russophobes au sein de la Commission européenne. Ils visent à empêcher, en cas de gel des combats, tout rapprochement avec la Russie. Ou pire encore, la remise en marche de la branche restante du Nord Stream pour alimenter en gaz bon marché et non polluant l’Allemagne et l’Europe occidentale. Et horreur, la reprise des affaires qui rapportaient tant aux Européens.
Renault, qui était N°1 en Russie, a quitté ses usines avec une possibilité de reprendre au bout de cinq ans… L’oncle Sam veillera au grain !
Bien sûr, si les Russes se montrent trop réticents à se faire rouler encore une fois, il faudra envisager d’utiliser les Européens comme proxys en lieu et place des Ukrainiens qui n’en peuvent plus mais… C’est la raison de l’intensification de la propagande guerrière et de la volonté d’interdire toute information sur les réseaux sociaux dans les pays occidentaux (cf. les projets et lois en France où Dourov de Telegram a été arrêté et dans l’UE avec Thierry Breton et les déclarations incongrues des officiels états-uniens contre RT !) Même de si faibles voix s’avèrent gênantes ! Les services britanniques du MI6 -spécialisés en matière d’information- avaient signalé dans un rapport, quelques mois après l’intervention de Boris Johnson pour empêcher un armistice en mars 2022, que la lutte contre « la propagande russe » s’avérait compliquée car de nombreuses assertions de cette dernière s’avéraient « factuellement vraies » ! Joliment dit !
Reste à faire céder les Russes pour les faire « négocier pour la paix », en utilisant là encore le mensonge orwellien en parlant de paix alors qu’il n’en n’est pas question à terme.
Bien sûr, la paix est un mot d’ordre porteur et un arrêt des hostilités ce sont des morts, des destructions et des dépenses en moins. Pour inciter l’opinion russe à être tentée par ce désir tout naturel, les otaniens ont choisi des voies qui ne semblent pas être des plus efficaces car elles ont tendance à provoquer une prise de conscience du danger et un réflexe d’auto-défense. Des actions terroristes, des attaques par drones du territoire russe d’avant 2014 (pour les nouveaux territoires, certains sont bombardés par les kiévo-otaniens depuis 10 ans), la promesse d’attaques par des missiles à longue portée guidés par les satellites otaniens, le chantage de l’attaque contre des centrales nucléaires de Zaporojié et/ou de Koursk ! Et puis, toujours sur le terrain, des menaces de fermeture du détroit de Finlande ou contre Kaliningrad ! Ajoutons les pressions sur les pays de l’ex URSS, en Asie centrale, en Arménie que le dirigeant actuel mène à sa perte, ou la Géorgie qui au contraire se réveille d’un mauvais rêve.
À cela s’ajoutent les mesures économiques : le renforcement des « sanctions » et des pressions contre les pays qui ne veulent pas en entendre parler mais qu’on peut casser. Beaucoup plus fin et pervers : le jeu sur l’économie intérieure russe qui s’est montrée particulièrement brillante avec un PIB proche de 4 % et l’absence d’endettement, en partie grâce aux sanctions. Cela passe par le biais de liens du FMI et d’autres organisations internationales que visiblement la Présidence russe cherche à ménager. L’élément le plus relevant est la politique de la Banque centrale, dont le statut a été fixé constitutionnellement dans les années 1990 et échappe partiellement à l’État russe. Elle fixe un taux directeur prohibitif pour tout entrepreneur et plus encore pour toute start up, à 19 %, sous prétexte de lutte contre l’inflation et la « surchauffe » de l’économie.
Cette question mériterait un article à part. Disons simplement que dans le contexte russe actuel avec la guerre et les « sanctions », une lutte efficace contre l’inflation passerait par une augmentation des biens offerts et que même si les taux peuvent être augmentés en bonne orthodoxie financière occidentale, 20 % est incontestablement excessif. Plus grave, le ministère du développement économique a publié des prévisions justes avant la visite prévue mais annulée d’un responsable du FMI : il semblait notamment se réjouir de la diminution de la production industrielle et constatait avec un étonnement feint que l’inflation ne baissait pas sensiblement, faute de biens à acquérir… On ne peut développer ici mais la conclusion est sans doute que ce qu’on appelle la « cinquième colonne » en Russie, c’est à dire toute une caste ou des gens issus des années 1990 et dont les intérêts ou la mentalité sont très liés aux Occidentaux, cherchent à saboter la politique indépendante de leur pays. D’aucuns espèrent qu’avec une élection éventuelle de Trump aux USA, ils pourront retrouver certains de leurs biens ou acquis dans les zones offshores ou les pays occidentaux. C’est un aspect peu évoqué mais important. En fait, avec la guerre et les menées hostiles de « l’Occident collectif » contre la Russie, la sociologie de cette dernière est en train d’évoluer. Schématiquement, on peut sans doute dire que la Présidence et ses partisans cherchent à encourager cette tendance et un certain nettoyage des écuries d’Augias est en cours, y compris au sein du ministère de la Défense et chez certains gouverneurs régionaux. Les castes issues des années 1990 qui sont encore dans les arcanes du pouvoir s’opposent bien évidemment à ces évolutions.
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C’est l’un des leviers que cherchent à actionner les Américano-otaniens afin de contraindre le pouvoir russe à négocier pour accepter un gel de la guerre en vue de la prochaine à préparer. Ils espèrent que les échéances électorales en Russie ouvriraient un après-Poutine favorable à la menée de leur projet stratégique de démantèlement de la Russie en dizaines d’états facilement exploitables. Des milliers de jeunes Ukrainiens continuent à être sacrifiés pour cet objectif anglo-saxon que le monde russe ne peut accepter.
LD : Dans une interview qui m’avait été demandée il y aura bientôt dix ans déjà, je disais que la Russie n’avait jamais été l’ennemie de l’Europe. Le serait-elle désormais devenue selon vous ?
DdK : La Russie est Europe. Elle l’est géographiquement, historiquement, culturellement, affectivement. Le poids et le rayonnement de l’Europe dans le monde était (on ne peut plus dire est) en partie dû à la présence et à l’héritage de la Russie.
En ce qui concerne la France, la Russie l’a sauvée à plusieurs reprises dans l’histoire : après la défaite de Napoléon, le Tsar Alexandre I a interdit toute exaction pour venger la destruction de Moscou et a empêché les Anglais et les Autrichiens de se partager la France. Au début de la guerre de 14-18, la Russie, pas prête, a lancé une offensive en Prusse qui a permis la victoire de la Marne. Pendant cette guerre, 40’000 Russes sont venus renforcer les rangs des soldats français contre les Allemands. Enfin, à l’issue de la seconde guerre mondiale, en permettant au général de Gaulle de faire entrer la France dans le camp des vainqueurs, alors que les Américains ne voyaient pas les choses ainsi. On peut encore rappeler le rôle de Russes dans la Résistance française et par exemple que le Chant des partisans a été écrit et chanté par des Russes ! Le maréchal Foch a reconnu le rôle de la Russie et le général de Gaulle rappelle que quand la France et la Russie s’entendent, tout va bien pour la France. Ce qui n’est pas le cas quand elles s’opposent.
Avec tout ce qui précède, il est clair que ces délires sur les pseudos projets russe d’envahir l’Europe ne sont que des aboiements de propagande.
La Russie n’a pas besoin de territoires : elle est le plus grand pays du monde et celui qui a le plus de matières premières. En Ukraine, l’armée russe ne cherche pas à conquérir du terrain, sinon elle aurait fait comme les Américains en Irak ou les Israéliens à Gaza. Même si elle voulait envahir l’Europe, elle ne le pourrait pas : avec l’histoire tragique de ce pays au XXème siècle, elle n’a pas assez d’habitants pour mener ce genre d’opérations. Et pour tout observateur de bonne foi, il est évident qu’elle ne le veut pas. Les Russes aiment l’Europe et se sentent européens, au point qu’ils éprouvaient depuis plus d’un siècle parfois un complexe d’infériorité assez absurde. Beaucoup sont en train d’en revenir aujourd’hui et l’aspiration à une réalité eurasiatique commence peu à peu à prendre corps, au dépend du désir d’Europe qu’exprimait le slogan de Gorbatchev et Eltsine sur « notre maison commune, l’Europe ».
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