Par Yannick Harrel, Magister en Droit, Docteur en Sciences de l’Ingénieur. Expert et chargé de cours en Cyberstratégie et Mobilités 3.0, anglophone et russophone, auteur de nombreux ouvrages et articles.
Débuté le 24 février 2022 – d’aucuns énoncent plutôt le 22 février 2014 avec l’Euromaïdan – le conflit russo-ukrainien a suivi différentes phases temporelles et spatiales, dont le Donbass est devenu le point focal principal. Ce faisant, cette fin d’année 2024 donne plus de tangibilité à une proposition de paix entre les parties prenantes pour une double raison : la chute des villes-forteresses du Donbass Sud suite à la perte par les forces armées ukrainiennes de Vougledar le 2 octobre, et l’élection de Donald J. Trump à la présidence américaine le 5 novembre.
Avortées fin mars 2022 après l’échec des pourparlers à Istanbul, l’ouverture de nouvelles négociations n’a jamais depuis été jugée nécessaire par les parties en présence. Bien entendu, des contacts diplomatiques ont été maintenus officieusement (comme l’atteste les échanges de prisonniers), et chaque partie sait pertinemment quelles sont les revendications de l’autre, cependant l’avènement d’un plan de paix a toujours été décliné officiellement de part et d’autre jusqu’à présent.
Le maître du Kremlin négociera au prix fort
Durant sa campagne présidentielle, Donald Trump a argué qu’il lui faudra 24 heures pour mettre fin au conflit entre l’Ukraine et la Russie. Pour péremptoire que le propos puisse paraître, le nouvel hôte de Washington a des atouts à faire valoir, le plus considérable étant que les États-Unis sont le premier soutien politique, financier et militaire de l’Ukraine, et que cette réalité peut obliger Volodimir Zelensky a devoir reconsidérer tout refus de transiger.
Paradoxalement, un accord de paix précipité n’est pas susceptible de favoriser les plans du Kremlin qui, s’il recherche aussi une sortie par un accord diplomatique, ne souhaite pour autant freiner une dynamique positive sur le terrain. En outre, une acceptation de tout accord sous l’égide des États-Unis implique des conséquences à pondérer. Une telle perspective met en effet dans la balance plusieurs éléments que le dirigeant de la Fédération de Russie prendra en haute considération :
- L’échec des accords de Minsk (I en 2014 puis II en 2015) qui sont perçus en Russie comme une duperie Occidentale, n’ayant eu comme seul réel objectif que de préparer l’Ukraine à une confrontation militaire avec la Russie ;
- Le resserrement des liens avec la Corée du Nord, par l’envoi de matériel et de munitions puis sanctuarisé par un accord militaire le 18 juin 2024, de même que le resserrement des liens avec l’Iran, scellé par la réception en Russie des drones Shahed 136 (rebaptisés et améliorés sous la dénomination locale de Geran-2) puis par l’interconnexion des réseaux financiers MIR et Shetab ;
- L’appui chinois depuis le début du conflit, avec un flux d’échanges soutenu au point de battre un record en 2023 (240,1 milliard de dollars), avec l’attente implicite d’un soutien russe dans le dossier taïwanais ;
- La désoccidentalisation des relations internationales et du système financier : un mouvement de tectonique géopolitique dont la Russie s’est faite le héraut et dont le point d’orgue a été le sommet des BRICS+ à Kazan du 22 au 24 octobre 2024 ;
- Le refus de citoyens ukrainiens de rejoindre le gouvernement de Kiev (estimation de 5 millions de réfugiés en Fédération de Russie) ;
- Une frange radicale au sein de la population russe dont le nationalisme est porté à incandescence et souhaitant une Ukraine à genoux pour avoir trahi ses liens historiques avec la Russie ;
- La préservation d’une continuité territoriale pour l’approvisionnement des territoires sous contrôle, comme par exemple la zone côtière passant par Melitopol-Berdiansk-Marioupol.
Il est illusoire de penser négocier le retrait des forces russes du Donbass : cela tient au caractère désormais sacré des territoires conquis par le sang des soldats russes et par un texte officiel de septembre 2022 [1] faisant desdits territoires une extension de l’espace national. Il n’est pas possible pour un président en exercice de se dédire sur ce point, au risque de provoquer de sérieux troubles en interne et même de pousser en avant les forces les plus radicales sur la scène politique.
En vérité, dans une négociation, il faut mettre en balance le rapport de force et les potentielles retombées du traité : pour les occidentaux, États-Unis en tête, il faudrait soit proposer un sérieux gage de sécurité pour l’avenir de la Russie (l’on songe a minima à l’abandon du projet d’intégrer l’Ukraine au sein de l’OTAN pour une période allant d’au moins vingt ans à définitivement ainsi que l’acceptation formelle – ratifiée – de la cession de la Crimée à la Russie) soit envisager une menace très sérieuse faisant radicalement pencher la balance du sort de la guerre du côté ukrainien (l’on peut subodorer par exemple l’envoi de troupes militaires et l’autorisation de frapper le territoire russe en profondeur). Mais en réalité, la Russie a été tellement sanctionnée, y compris en la déconnectant très rapidement du réseau SWIFT [2], qu’il est désormais délicat d’accroître les mesures de rétorsion sans toucher un aspect névralgique qui provoquerait un risque sérieux d’escalade entre l’Occident et la Russie (qui serait appuyée, plus ou moins discrètement, par ses partenaires stratégiques que sont la Chine, la Corée du Nord, l’Inde et l’Iran). À l’inverse, une levée partielle des sanctions sera jugée trop timorée par l’exécutif russe qui a préparé son pays à se passer des produits et services occidentaux même si cela n’est pas sans douleur pour l’économie et les circuits financiers : seule une levée à grande échelle des sanctions pourra être considérée comme une base de discussion raisonnable par le pouvoir moscovite. En outre, le magistère moral de l’Occident s’est gravement étiolé depuis l’invasion de l’Irak en 2003 par les États-Unis et ses alliés, ce qui rend l’adhésion à de nouvelles sanctions plus sévères circonscrite aux habituelles puissances affidées.
Donald J. Trump avait énoncé son projet géostratégique dès 2016 : redonner du souffle à l’économie américaine, et plus spécifiquement à l’industrie, tout en étouffant le concurrent chinois. Pour y parvenir, il tenta – durant son premier mandat – diverses voies, souvent médiatiques, comme rencontrer le dirigeant de Corée du Nord, Kim Jong Un. Mais aussi, et surtout, éloigner la Russie de la Chine afin d’éviter d’accoler un grand pourvoyeur en matières premières stratégiques à un grand consommateur d’icelles. En d’autres termes, éloigner la mine de la forge.
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La géostratégie Trump dans un contexte différent de 2016
Or si cette politique audacieuse pouvait encore être possible en 2016, elle apparaît bien plus lointaine en 2024 : l’attitude Occidentale, administration Biden en tête, a sérieusement dégradé les relations bilatérales (les voix officielles évoquant les États-Unis comme une nation hostile). Et si négociations il devait y avoir, le prix que les autorités américaines devraient payer serait très lourd sur les plans militaire, économique, financier et symbolique. Vladimir Poutine le sait, et sans fermer la porte à un règlement du conflit sous la future administration Trump en 2025, n’hésitera pas à faire monter conséquemment les enchères. Jusqu’à la rupture ?
Pour l’heure, les conseillers pressentis, tel Michael Waltz, et le vice-président américain, J.D. Vance, ne sont pas des supporteurs très enthousiastes de l’aide à l’Ukraine, et sont bien plus pressés de focaliser les ressources américaines envers la Chine prioritairement et l’Iran dans une moindre mesure. Et pour ce faire, le découplage de la Russie de la zone Asiatique pour la rapprocher de la zone Atlantique est essentiel. Les écueils ne manquent toutefois pas si l’on considère les signaux récents.
En premier lieu, la position de la Fédération de Russie. À ce titre, il faut retenir les propos tenus le 13 Novembre par Sergeï Choïgou (l’actuel secrétaire général du Conseil de Sécurité et ancien ministre de la défense russe de 2012 à 2024) incitant la Russie et à la Chine à faire front commun contre les tentatives américaines de les isoler. En second lieu : la position inflexible du chef de l’État ukrainien, qui pourrait être tenté en cas de retrait du soutien américain par une stratégie de fuite en avant – ou du fou au fort – avec l’appoint de quelques pays européens et de pontes de l’OTAN. L’opération estivale dans l’oblast de Koursk comme ses demandes réitérées de disposer de missiles à longue portée débridés est un parfait démonstrateur de cet état d’esprit. En troisième lieu : la situation sur le terrain en Ukraine où les forces armées russes progressent significativement depuis l’échec de la contre-offensive ukrainienne en 2023, ce qui rend illusoire toute instance à la Russie de céder sur ses possessions territoriales tant que la dynamique est positive (en rappelant que la Crimée est non négociable).
Si la nouvelle administration américaine entend poursuivre la politique internationale de 2016, le contexte a changé conséquemment avec un conflit conventionnel qui a exacerbé les relations entre les parties en présence et leurs soutiens. Le nouveau président a déjà démontré ses capacités de négociateur dans le monde des affaires et celui du monde politique, cependant le dossier ukrainien va l’obliger à abattre ses meilleures cartes s’il désire toujours poursuivre dans cette voie.
À moins qu’il ne désire modifier son orientation et prendre acte d’une situation géopolitique trop défavorable en décidant soit de lâcher l’Ukraine sans conditions soit d’accentuer significativement l’aide américaine à l’Ukraine en acceptant un engagement avec les alliés de l’OTAN bien plus direct, matérialisant le risque d’un conflit élargi entre blocs.
Si le dessein de Vladimir Poutine est contraint par l’inéluctabilité de la paix, il peut encore avancer ou reculer les aiguilles de l’horloge en fonction des propositions ou des actions que prendra la nouvelle présidence américaine.
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[1] http://kremlin.ru/events/president/news/69465
[2] SWIFT étant l’acronyme de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, société de droit belge qui entend mettre en relation les différents acteurs du monde bancaire international en leur facilitant les ordres de paiement
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