Par Jean Daspry, pseudonyme d’un ex diplomate
« Le terrible des mauvaises idées, c’est que peu à peu les mauvais esprits se familiarisent avec elles » (Guy de Maupassant). À l’ère de la tyrannie de la bien-pensance, les mauvaises idées progressent à la vitesse de l’éclair. Nous en avons un exemple avec les dérives d’un féminisme idéologique qui diffuse dans la sphère des relations internationales. Preuve en est, sous l’onglet « Politique étrangère » du site du Quai d’Orsay, l’existence d’une rubrique « Diplomatie féministe »[1]. On peut y lire : « L’égalité entre les femmes et les hommes est une priorité du gouvernement français. A l’international, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) porte cet engagement en menant une diplomatie féministe. Dans les enceintes internationales pour l’égalité entre les femmes et les hommes, la France s’attache à ce que cet objectif soit intégré dans toutes les problématiques … ». Le Monde nous en fournit une preuve supplémentaire avec la publication d’une tribune étonnante. Avant d’en étudier le contenu, procédons à un survol du monde contemporain pour mesurer les conséquences de la proposition des signataires de ce madrigal !
Panorama du monde contemporain
Les constats posés par les experts des relations internationales sur les bouleversements du monde actuel convergent. Le système multilatéral mis en place à San Francisco en 1945 est à bout de souffle. Le multilatéralisme traverse une crise structurelle aux causes multiples : méfiance remplaçant la confiance ; primat du coercitif par rapport au coopératif ; cacophonie au sein du triangle Washington-Moscou-Pékin ; opposition croissante entre Nord et « Sud Global » ; souhait de Moscou et Pékin d’en finir avec l’ordre mondial jugé trop occidentalo-centré ; substitution de l’instabilité par la guerre au mantra de la paix par le droit ; recours plus fréquent à la force pour régler les différends en lieu et place des mécanismes prévus par la Charte de l’ONU … L’ONU est tenue à l’écart du règlement des conflits en Ukraine et en Palestine. La personne de l’actuel secrétaire général, le portugais, Antonio Gutteres en est-elle la cause ? Que nenni ! Mais, certaines adeptes de la diplomatie féministe pensent le contraire. Au siège du machin, le mal dont souffrirait le multilatéralisme aurait pour nom mâle. Quatre féministes livrent, dans une tribune au quotidien Le Monde, leur potion magique pour remettre l’ONU sur les bons rails et le monde sur la voie de la paix perpétuelle[2]. Que nous disent-elles ?
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Bienvenue chez les Candides féministes
La proposition des signataires de cette tribune est simple : « il est essentiel de placer une femme à la tête des Nations unies pour y parvenir » (à reconstruire un ordre mondial qui fonctionne). Elles prétendent que l’argument du critère de compétence du futur secrétaire général doit être balayé d’un revers de main : « À ceux qui disent : ‘Nous avons besoin du meilleur candidat quel que soit son genre’ nous répondons que le meilleur candidat est une femme ». En un mot comme en cent, le seul critère de compétence est le genre. Ce que ces Dames ignorent, relève de l’évidence pour celui/celle qui prend le temps d’appréhender la gouvernance des relations internationales. Quand les intérêts des grandes puissances s’opposent, aucune solution multilatérale n’est possible quelle que soit la force de conviction du secrétaire général de l’ONU. Il ne dispose pas de baguette magique pour régler les conflits qui secouent la planète. Le blocage structurel du Conseil de sécurité en apporte la preuve. Penser, comme le prétend, ce quatuor, que le recours à une « Madame la secrétaire générale » constituerait la panacée relève de l’utopie ! Cette solution serait inopérante. Penser le contraire revient à chevaucher des chimères. Atteindre le monde au cœur en faisant vibrer la corde féministe est une chose. Régler les problèmes du monde par ce biais idéologique en est une autre. Sans oublier que cette proposition n’apporte pas de solutions crédibles aux problèmes qu’elle prétend résoudre. Elle constitue un exercice de poudre aux yeux destiné à faire pschitt s’il était mis en œuvre.
Audrey Azoulay, Catherine Colonna, Angela Merkel et les autres
À l’appui de leur thèse, les signataires de la tribune arguent que la désignation d’une femme à la tête du machin résulte de la conjonction de deux facteurs : les femmes et les filles sont plus durement touchées que les hommes par les menaces à la sécurité (prise au sens large) et les excellentes candidates présentées au poste de Secrétaire général de l’ONU dans le passé ont toutes été écartées. Il faut donc réparer cette injustice. Rien de tel pour apprécier le bienfondé de cette démarche, que de confronter la théorie à la pratique à travers trois exemples. Le premier est celui de la directrice générale de l’Unesco, notre compatriote, Audrey Azoulay qui en est à son second mandat. Ancienne élève de l’ENA (Cour des comptes), elle est aussi brillante intellectuellement que représentative de haute fonction publique internationale. Sa discrétion est exemplaire[3]. Force est de constater que l’institution qu’elle dirige n’a pas réussi à se réformer ! Si elle parvient à se maintenir à son poste, c’est qu’Audrey Azoulay a compris l’importance du pas de vague pour durer dans le système des Nations unies. Le deuxième exemple est celui de Catherine Colonna. Ancienne élève de l’ENA (sortie au Quai d’Orsay), élevée à la dignité d’ambassadrice de France, elle a un parcours brillant tant dans les arcanes du pouvoir (porte-parole du président Chirac ; ministre déléguée aux affaires européennes ; ministre de l’Europe et des affaires étrangères) que comme ambassadrice (UNESCO, OCDE, Italie, Royaume-Uni). Quels souvenirs conserve-t-on de ses deux passages au MAE ? Aucun. Rappelons qu’elle aurait dû avoir quelques problèmes administratifs et judiciaires en raison de plusieurs signalements pour harcèlement moral déposés à son encontre par son personnel à Rome et à Londres ![4] Cela sert parfois d’être une femme. Le troisième exemple concerne la chancelière fédérale d’Allemagne de 2005 à 2021, Angela Merkel. Jusque dans un passé récent, il était de bon ton de s’émerveiller sur sa longévité politique et sur ses succès intérieurs et extérieurs. Or, depuis le début de la guerre en Ukraine, le vent a tourné pour Mutti. Sa décision de stopper le programme nucléaire civil l’a conduit à relancer les centrales à charbon et à se mettre dans les mains de Moscou pour son approvisionnement en gaz. Avec l’imposition de sanctions contre la Russie, l’Allemagne est contrainte d’importer du gaz américain peu écologique, à un prix prohibitif. Bel exemple de clairvoyance et de prescience diplomatique.
Et, l’on pourrait multiplier les exemples infirmant le Diktat de nos Talleyrand en jupons. En termes statistiques, qu’on le veuille ou non, le degré d’incompétence des femmes est toujours égal à celui des hommes depuis la nuit des temps.
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Du retour des somnambules
« L’idéaliste a les mains propres, mais n’a pas de mains » (Charles Péguy). Féminisme rime souvent avec simplisme. Le mal c’est le mâle, pourrait résumer le mantra de ces féministes. Dire que nous en sommes là, à en croire ces Dames qui détiendraient une sorte de vérité révélée et qui croient dur comme fer que dire c’est faire. Peut-être pourraient-elles méditer les causes profondes de la défaite cuisante de la candidate démocrate, porteuse de l’idéal progressiste contre l’affreux conservateur Donald Trump, comme le fait Hubert Védrine ? Elles y trouveraient matière à réflexion sur leur proposition visant à remplacer le critère de compétence par celui du genre dans la désignation des plus hauts fonctionnaires internationaux. A contrario, le seul mérite de cette proposition, si elle devait être mise en œuvre, serait de faire tomber les masques en apportant la preuve de sa vacuité. De quelques errements de la diplomatie féministe !
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-feministe/
[2] Fabienne Hara/Najat Vallaud Belkacem/Arancha Gonzalez Laya/Comfort Ero, Il est essentiel de placer une femme à la tête des Nations unies pour parvenir à reconstruire un ordre mondial qui fonctionne, Le Monde, 10-11-12 novembre 2024, p. 34.
[3] Audrey Azoulay/Lula, Convertissons les dettes des plus pauvres en investissements pour l’éducation, Le Monde, 16 novembre 2024, p. 30.
[4] Victor Boiteau, La ministre Catherine Colonna visée par des signalements sur son management : « Des pratiques consistant à briser les gens », www.liberation.fr , 22 juin 2022.
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