Par Irnerio Seminatore
Poutine et le portrait de l’âme Russe
L’exigence impérieuse de la campagne de propagande occidentale a fait de Poutine, depuis vingt ans, l’icône vivante des Tsars, dont les décisions étaient incontestables. On lui attribue des obscures pensées, sanctionnées par des crimes, qui ont pour modèle les pratiques de pouvoir, asiatiques, mongoles et tatares et pour ascendant moderne, Staline, quintessence de la tyrannie, associé cependant aux références modernisatrices de Pierre le Grand. L’exigence de la légitimité politique obéit chez Poutine aux figures charismatiques du démagogue populiste, dont les affinités les plus proches seraient celles des grands despotes du XXème siècle. Elles l’éloignent de toute identité de perspective avec l’Occident et font de lui un criminel et un voyou de la politique mondiale, un parvenu, dont le complexe d’infériorité et de vulnérabilité est caché sous le vernis de la foi et le traditionalisme des convictions. On lui envie, en Occident, les affirmations incontestables d’autorité, tout en les justifiant comme une nécessité intrinsèque de l’immense Russie et comme le besoin d’assurer la cohésion politique et fonctionnelle d’un pays où l’étendue du pouvoir et l’exigence d’exécution des décisions se déploient sur 17 millions de kilomètres carrés, tout au long de l’hémisphère Nord, au-delà de l’empire biblique de Gog et Magog. Face aux variables des opinions de l’Ouest et aux perfidies insidieuses des pouvoirs concurrents, Poutine exerce la souveraineté qui vient de « l’âme russe », constituant une moelle précieuse entre la fraternité idéalisée de la communauté slave et le projet d’un ordre mondial universel renouvelé, la « Novorossia ». Cet autocrate extrême du pays de Rjurik, accusé de duplicité diabolique, est l’étendard vivant d’un Empire situé en Europe et qui n’y s’y est jamais entièrement intégré. Dans l’actuelle transition vers l’Eurasie il consacre toute sa gloire à hâter un règne et un équilibre des forces pour que les intérêts nationaux du pays s’opposent aux attirances d’un système hostile, matérialiste et corrompu, le capitalisme rapace de l’Occident.
La « Sainte Alliance » de demain et la « Théorie des Grands Hommes »
La « Sainte Alliance » de demain sera , pour le contrôle du monde, avec les Princes et les Khanats d’Eurasie, ou ne sera pas! Telles sont les convictions professées par le néo-conservatisme et le pouvoir traditionnel en Russie, au nom du réalisme et de la force, érigés en principes universels du salut. C’est à cette seule condition, que le dédain de l’Occident se commuera en admiration et en soumission. Il semblerait que les lectures de Poutine le portent irrésistiblement à valoriser le rôle des grands hommes dans l’histoire. Or, le père de la « Théorie des Grands Hommes », l’écrivain et historien écossais Thomas Carlyle dira : « L’histoire du monde ce n’est rien d’autre que la biographie des grands hommes ! » Ainsi le rapport entre l’individu et l’histoire semble obéir, selon certains, à la conception « dei corsi e dei ricorsi » de Gianbattista Vico, de telle sorte que, dans la mythologie collective, les périodes des révolutions et des guerres laissent de la place aux héros de Plutarque, de Hegel ou de Carlyle. Dans cette perspective la littérature occidentale ne veut voir en Poutine qu’ un personnage machiavélien, agissant par la ruse et incarnant la fausseté. Conformément à la tragédie anglaise de l’époque shakespearienne, qui ne voyait en Machiavel qu’un homme sanguinaire, la propagande de l’Occident semble oublier que Machiavel, comme Poutine a eu, selon Hegel, une haute idée de l’État et de la nationalité, instruments essentiels de la “Fortune” des peuples. La théorie des Grands Hommes céda la place dans l’immédiat après-guerre à la doctrine de la puissance des masses et à la fascination pour “une obscure force des choses”. Puis, avec la fin des années 90 s’annonça une révision radicale du rôle de l’individu dans l’histoire. Tout se passa comme si l’expérience traumatisante de la chute de l’Union Soviétique restait liée à des enjeux de politique intérieure. Le changement de régime et le chaos de la Perestroïka emphatisèrent la notion de démocratie, qui est aussi la plus propice à l’apparition des hommes providentiels. « Toute démocratie veut un maître » proclama en France, au XIXème, Victor Cousin. Élites, grands hommes, héros volontaristes deviennent plus importants que d’autres du point de vue de l’histoire. En effet , depuis la Révolution française, qui avait connu l’incorruptible Robespierre et l’irrésistible Napoléon, les oppositions les plus farouches vis à vis des hommes charismatiques viennent des républiques démocratiques, car celles-ci leurs préfèrent le salut de l’humanité, combattant pour la liberté et l’égale dignité des hommes. Or Poutine, épris par le sentiment d’une Russie restaurée dans la verticale de l’État et donc dans sa sécurité, sa gloire et sa grandeur a demandé en vain, depuis 2007, à la Conférence de Munich de préserver l’ordre européen de sécurité, initialement conçu pour endiguer l’Union Soviétique, Aujourd’hui, la presque totalité des médias mainstream expliquent le but de guerre en Ukraine, par la psychologie du maître du Kremlin et par les inévitables pièges que la nature tend à la fermeté de la volonté et à la droiture de l’esprit. Ils nous expliquent que le délire du pouvoir retranche les décideurs dans leur isolement et que la paranoïa est dans la nature du personnage, rajoutant que la perte du sens des réalités et le dépérissement d’attrait du modèle civilisationnel de l’Occident pourraient conduire Poutine à faire de la Russie une immense Corée du Nord.
Faut -t-il tuer Poutine ?
Ce serait le triomphe du complotisme et éliminer Poutine deviendrait alors un acte de responsabilité universelle, individuelle et collective, une réédition moderne du tyrannicide antique, de loin préférable à la vitrification totale du pays. C’est une hypothèse prise en considération en Occident (J.Asselborn, Lyndsay Graham, Ch.Goma, Richard Haass, Céleste Wallander),face au durcissement du conflit ukraïnien. Extrêmement improbable, car elle ne pourrait venir que de l’intérieur. A une réflexion de fond, la légitimité de Poutine reste solide. C’est la stabilité de la Russie qui importe pour la sécurité collective et pas le chaos. Et cette considération demeure la seule rassurante, bien que la stratégie de démembrement de la Russie par les occidentaux ait été tentée trois fois et, en mars 1918 par l’Allemagne impériale et l’Union Soviétique naissante à Brest-Litovsk, avec la création d’une série d’États satellites ( Pologne, États baltes, Ukraine, Finlande). Les anglo-saxons ont des raisons évidentes de détester Poutine parce que il a subordonné l’économie et le système des oligarques à la volonté politique et à la direction du pouvoir d’État, dans les années Eltsine, rejetant la conception de “société ouverte” de Soros et son modèle des droits individuels. Un rejet qui fut aussi celui d’une forme clanique d’État , celle d’Eltsine, ” la Famille”, remplissant les fonctions d’un État profond (proches, oligarques , services de sécurités asservis, journalistes et média ), assurant l’introduction de réformes inspirées au libéralisme et aux valeurs de l’individualisme occidental.
Machiavélisme ou “Césaro-papisme” et idée de l’État
L’ambition de Poutine serait d’associer les ressources et l’espace de l’Eurasie, ainsi que la force morale du peuple russe et sa foi orthodoxe et fataliste aux capacités technologiques et scientifiques de l’Occident. Il pourrait alors faire de Moscou la véritable « troisième Rome », héritière de la puissance et de la splendeur de Byzance, en se posant en nouveau César, réformateur et restaurateur de la Rome d’Orient, organisateur de paix et des nouveaux équilibres de pouvoirs. A ses côtés le Patriarche Kirill ferait figure d’organisateur d’obédiences, de vérités et de conciles, sous le credo de la « vraie foi ». Ça serait le retour historique du césaro-papisme comme doctrine de l’État russe ! Or, si la Conférence de Yalta avait fait de l’Urss, l’État le plus puissant du continent et avait vu le drapeau rouge flotter sur la porte de Brandebourg, Staline, qui était le représentant de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques à la Conférence de Yalta sur le partage de l’Allemagne et de l’Europe libérées, était le Chef d’État le plus insensé des « Trois Grands ». En effet il était le porteur non seulement d’une cause universelle, le communisme, mais aussi d’un projet d’ordre mondial, au centralisme impérial, totalisant et tyrannique. Au pouvoir depuis vingt ans, Poutine aurait ouvertement placé la Russie au centre de la politique mondiale et donc du système international. Ses objectifs seraient fondés sur la stratégie du perturbateur et ses règles de conduite sur l’imprévisibilité. Tel serait le plan d’action historique, impénétrable et dangereux du Chef du Kremlin. Le Maître de toutes les Russies utiliserait sans complexes des méthodes de déstabilisation hors normes, dans tous les réseaux de l’ombre, épars dans l’espace post-soviétique, d’Europe, d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Face à une offensive perçue comme globale, Poutine aurait en face de lui des Occidentaux désemparés, divisés par leurs intérêts, mais unis par la peur commune. Dans le cas du conflit actuel en Ukraine, la vérité approche et elle assume la forme d’un dilemme, lourd de conséquences pour les deux camps, qui se résume à la question : « Négocier ou combattre? ” Faut-il accorder oui ou non des armes lourdes à l’Ukraine, sans augmenter les enjeux du conflit et en limitant l’escalade ? On ne passerait pas d’une stratégie de résistance, purement défensive, de l’Ukraine à la Russie, à une extension du conflit à l’Otan et d’autres pays de l’Ouest ? » En effet, dans les dérapages et le brouillard de la guerre, le passage du conventionnel au nucléaire tactique, ouvrirait sur un affrontement général Est-Ouest, Russie/États-Unis en tête, qui mettrait en question la paix mondiale et qui ferait des ukrainiens les avant-postes involontaires d’un conflit mondial. Il s’agit là d’un défi sans précédent, qui dépend du rapport de Poutine au pouvoir, à ses capacités de risque et à sa vision du monde.
La conception poutinienne de l’ordre mondial
Le 9 mai 2022, date anniversaire de la victoire historique contre l’Allemagne nazi, défaite et conquise en 1945, le Tsar Vladimir, a essayé de faire admettre au peuple russe et aux peuples européens que leur salut commun reposera sur un nouveau projet, eurasien et multipolaire de la Russie, victorieuse sur l’Ukraine, asservie à l’Occident décadent et à l’Amérique déclinante . La conception poutinienne de l’ordre mondial est opposée à celle de J.Biden et aux « Quatorze Points » de Wilson, qui avait défié l’ordre européen de Westphalie. Les futurs négociateurs d’une paix de compromis entre la Russie et l’Ukraine et, en particulier D.Trump auront pour tâche d’adapter les accords convenus à la transformation du système international de demain intégrant la Novorossia dans un ordre européen renouvelé. Qui se souviendra alors que le péché originel de tout État est marqué par la contrainte de la violence et que celui qui veut comprendre l’histoire n’y parviendra pas par la mise en opposition de la force et du droit ? .
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