Par Amélie Chelly
David avait l’art du parler franc, direct et brillamment simple. Nous nous sommes rencontrés en 2018 et, avant même de nous voir, nous savions que nous voulions nous connaître pour allier le savoir unique qu’apporte l’expérience de terrain, brute, dure, éprouvée, à la rigueur méthodique de la recherche universitaire. Il n’est pas ici question d’entrer dans le détail des fruits de cette collaboration. David nous a quitté comme il a vécu : promptement, sans crier gare, avec la même imprévisibilité sanguine que celle qui caractérisait ses prises de décision et son rapport au réel. Par ces quelques lignes, je voudrais, simplement, pour lui rendre hommage, mais aussi parce que je n’ai pas eu le temps de le lui dire avant qu’il ne quitte ce monde trop étriqué pour lui, conter ce qui, de ses confiteor, m’a le plus marqué, soit pour l’élucidation scientifique que ses mots permettaient, soit pour la puissance des émotions qu’ils avaient su me causer.
Mille choses me viennent à l’esprit, mais si je ne devais retenir qu’une des histoires par David relatées, il s’agirait de celle-ci :
Il m’avait raconté qu’en prison, alors qu’il sentait chanceler sa foi pour un islam rigoriste, vacillement qu’une boulimie de lecture encourageait, un événement lui rendit claire, manifeste, indubitable, l’idée que la vérité devait être ailleurs que là où il s’était échiné à la chercher : un rescapé des camps de la mort du troisième Reich était bénévolement venu livrer son poignant témoignage devant un parterre de détenus aux inclinations hostiles, souvent plus proches de celles des bourreaux du témoin, que de celles du survivant juif. Dans l’assistance, se trouvait un vieux prisonnier gitan, converti au salafisme, qui vint discrètement voir David, quand le discours prit fin et que l’orateur s’en fut allé. David jouissait encore, dans cet univers carcéral, d’une aura de « vrai musulman », du fait de la nature de sa condamnation et c’est à ce titre que le codétenu vint le solliciter. Ce dernier lui confia son histoire, derrière laquelle se cachait une grande inquiétude religieuse : il était un bébé quand il fut raflé par les nazis, avec d’autres tziganes. Il était porté par les bras d’une mère qui prit la décision, quand la situation le lui permit, de tenter de s’enfuir. Elle se trouva malheureusement bien vite nez à nez avec l’un des gardes à la solde du projet d’extermination. Pour sauver l’enfant, elle offrit son corps en échange d’une chance de poursuivre sa cavale. Le geôlier devait fermer les yeux sur l’évasion après le viol.
La question qui concentrait toutes les angoisses du bébé gitan devenu grand détenu, question qu’il osa ce jour-là poser à David, était de savoir, à la lumière du salafisme qui éclairait désormais les jugements du vieil homme, si cette femme, sa mère, brûlait éternellement en enfer pour avoir ainsi forniqué. David ne m’a jamais révélé ce qu’il avait répondu au soucieux. En revanche, il me dit l’affliction dont il fut pris de ce qu’un être pût ainsi être insensible devant l’immense sacrifice d’une maman portée par un inconditionnel amour. Comment pouvait-on être aveuglé, – abruti même ! –, par une idéologie renversant les valeurs ? Ce jour-là, je dus passer bien du temps à me délester du poids de l’émotion pour transformer le propos en élément de compréhension de « ce qui se passe dans la tête des islamistes ». J’avais vu ses yeux revivre tous les sentiments qui l’avaient étreint à l’époque : la révolte devant l’injuste déconsidération d’une mère, la tristesse quant à ce dont les hommes se rendent capables par les doctrines, la peur de se dire à lui-même qu’il quittait ses convictions, la honte d’avoir souscrit à une telle lecture du monde, la rage naissante dont il pressentait qu’il allait la mettre dans la dénonciation de l’idéologie mortifère qui fut sienne. Il y passerait le reste de sa vie, laquelle fut bien courte.
David aimait la poésie. Pas comme un dérivatif. Pas comme un moyen de ne pas mourir de la vérité, mais comme une façon de dire comme il savait épouser les contours de la beauté du monde, dont il n’avait jamais nié l’existence, malgré sa lucidité sur les travers des hommes. Alors je me permets, ici, de citer un poème qu’il avait bien aimé, parce qu’il lui ressemblait, je pense :
Car je suis un secret. Mon histoire me l’a dit,
Je suis dans les ténèbres de tous les paradis,
Du bonheur des autres que je tisse dans l’ombre
Avant de disparaître pour n’être plus qu’un nombre,
Pour n’être plus qu’un chiffre, pour les plus clairvoyants
Un ange-gardien peut-être, ou un heureux moment
Qui les sortit du noir quand des spectres sordides
Ou bien des Velléda rendaient tout insipide.
Car je suis un secret et je ne rends pas vie
Je rends mort aux passés qui avaient assailli
Les âmes qui j’ai aimées et celles que j’aime encore.
Je suis là pour le temps d’apaiser les sincères,
D’imprimer en mon corps les blessures, les misères.
Ainsi je tisse, patient, mon bonheur, mes ressorts.
Nous sommes nombreux à penser à toi. Ta disparition n’a fait que rendre plus manifeste encore cette évidence.
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