Juré n°2 : Quand le vieux Républicain Eastwood filme l’Americana

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Clint Eastwood Juré n°2

Par Lionel Lacour – Son site : https://www.cinesium-evenementiel.fr/

Sorti en salle le 30 octobre, Clint Eastwood renoue pour son dernier film avec le cinéma de procès qu’il avait abordé dans Minuit dans le jardin du bien et du mal en 1997 dans lequel il abordait déjà la question d’un accusé condamné par avance par les préjugés de la société. Le point de départ renvoie à celui du film de Georges Lautner Le septième juré réalisé en 1962, dans lequel le fameux juré intervient dans un jury qui doit statuer sur la culpabilité d’un homme pour un meurtre dont le juré est le coupable. Chez Eastwood, c’est le juré n°2, Justin Kemp, qui tient le rôle de celui impliqué dans le crime. Sauf que Kemp doute en découvrant qu’il y a eu crime. Est-il celui qui a tué involontairement la victime Kendall Carter ?

Le film va donc montrer un procès dans lequel James Sythe est le coupable idéal. Et quand vient le moment où le jury doit délibérer, Kemp estime alors que l’accusé mérite quand même un débat. À ce moment-là, Kemp incarne le pendant du juré n°8 interprété par Henry Fonda dans le chef-d’œuvre de Lumet Douze hommes en colère. Eastwood le prend indubitablement comme référence, reprenant même certains éléments de la mise en place du jury et même quelques dialogues. Devant la non reconnaissance par Kemp de la culpabilité de Sythe, Marcus, un autre juré, reprend une réplique du film de Lumet « Il y en a toujours un ». La ressemblance entre les deux films est pourtant limitée. L’action de Juré n°2 se déroule en pleine Amérique profonde, l’Americana, et non à New-York, et  le juré n°2 se sent personnellement impliqué dans le crime jugé. Cependant, pour les deux films, le juré récalcitrant déploie des hypothèses ou réflexions pour innocenter l’accusé.  Les deux films plongent ainsi les spectateurs dans un doute. Chez Lumet, celui de la culpabilité réelle de l’accusé. Chez Eastwood, celui de la culpabilité de l’accusé ou du juré ! Et c’est là véritablement l’intérêt de film du cinéaste de 94 ans, qui derrière cette intrigue propose une réflexion complexe sur la justice.

Celle-ci est d’abord un principe dont l’allégorie ouvre le film, yeux bandés et tenant dans une main un glaive et dans l’autre une balance. Et cette représentation revient dans le film pour rappeler que juger doit se faire en se départissant de ses clichés, en écoutant les différentes versions et en sanctionnant à hauteur du préjudice. Au-delà de cette allégorie, Eastwood utilise ses personnages censés participer à ce que la justice soit rendue pour justement en montrer les limites. Avocat ou procureur rappellent ainsi que cette justice est le pire des systèmes mais qu’il n’en existe pas de meilleur pour établir qui est coupable de qui est innocent.

Or que montre le film ? Que ce qui aurait dû amener à un jugement équitable de Sythe en respectant les principes de l’allégorie de la justice a été bafoué. Une enquête à charge fondée sur des préjugés sur une personne, sur des témoignages incomplets ou peu crédibles, pas de reconstitution, pas d’autres pistes ouvertes alors qu’elles étaient largement possibles. La preuve ? Un juré l’a compris immédiatement. Et même quand les éléments sont disponibles, les individus pouvant démêler le vrai du faux ne permettent pas que la vérité jaillisse.

Eastwood joue ainsi l’entomologiste de la société américaine face à un dysfonctionnement classique de sa justice. Son récit d’une police se limitant au premier suspect est hélas une réalité concrète. Jean-Xavier de Lestrade n’avait-il pas reçu l’Oscar du meilleur documentaire pour Un coupable idéal sorti en 2001 aux USA ? Mais si Juré n°2 pointe du doigt la qualité de l’enquête, il n’est pas un film manichéen avec les gentils et les méchants. Cette approche du 41e long-métrage d’Eastwood explique alors peut-être mieux que, Warner, la société de production avec laquelle il a pourtant réalisé la plupart de ses films, ait décidé de ne le sortir que dans 35 salles seulement aux USA, juste assez pour pouvoir prétendre participer aux Oscars, misant surtout sur son exploitation sur sa plateforme de streaming Max. Ce faible soutien confirme surtout que la proposition cinéphilique d’Eastwood ne correspond plus du tout à la ligne de la Warner, réfugiée depuis désormais près de vingt ans dans des productions de films de super-héros, notamment avec la franchise Marvel. Ce cinéma dans lequel un plan de plus de 1 seconde devient un plan long et qui s’appuie sur une binarité enfantine se trouve ainsi aux antipodes de celui d’un Eastwood qui prend du temps à filmer ses personnages et dont les valeurs sont celles du Républicain libertaire qu’il n’a jamais cessé de développer dans sa filmographie. Et ce film en est la quintessence.

En effet, loin de proposer un ordre qui se substituerait à celui de l’État pour sauver par des super-héros le bon peuple infantilisé, Eastwood croit lui dans le système et ne cesse de le répéter. Le système judiciaire américain est le pire mais il n’y en a pas de meilleur. D’ailleurs, ne s’améliore-t-il pas depuis Douze hommes en colère ? Tous ceux connaissant ce chef-d’œuvre identifient à la fois la référence mais surtout le chemin parcouru depuis 1957. Quand Lumet exposait un jury exclusivement masculin et blanc, celui d’Eastwood est désormais sexuellement mixte et composé de différentes communautés ethniques : noir, asiatique… tous Américains. Mais contrairement aux films développés désormais par la Warner, la force du film d’Eastwood provient du regard porté sur la responsabilité des protagonistes et sur leurs motivations Pour lui, si l’État donne un cadre institutionnel et législatif, c’est aux citoyens, avocats, procureurs et policiers qu’incombent le devoir de rendre la justice le mieux possible. Et le cinéaste de montrer que chacun a le choix d’agir selon des critères moraux à la fois individuels mais aussi collectifs. Si Kemp veut sauver Sythe, c’est parce que moralement il ne peut se résoudre à ce qu’il soit condamné injustement, au risque de pouvoir lui aussi être ensuite incriminé. Si un des témoins affirme avoir vu Sythe sur le lieu du crime, c’est qu’il veut que la société soit protégée d’un criminel. Si l’avocat de Sythe le défend ardemment, c’est qu’il croit en la justice de son pays capable d’innocenter un homme sur des faits actuels malgré son passé.

Juré n°2 est enfin un plongeon dans l’Amérique profonde finalement oubliée du cinéma américain contemporain et dans laquelle chaque personnage a également besoin de l’amour ou de la reconnaissance de l’autre pour faire le bon choix… ou le mauvais. Kemp a eu besoin de l’amour inconditionnel de sa femme pour faire face à ses tourments et c’est cet amour qu’il veut protéger et conserver. Le témoin vivant dans un habitat de fortune a besoin de la reconnaissance de la société et s’enquiert de l’avoir bien servie. Sythe clame son innocence autant que l’amour qu’il a pour la femme pour laquelle il est accusé de meurtre. Et Eastwood le Républicain articule surtout son intrigue autour du personnage de Marcus qui par amour de son petit frère mort à cause de la drogue va déterminer les choix des autres protagonistes par son appréciation morale de la situation jugée, En auscultant cette société américaine sur ce qui lie les individus entre eux et justifie leurs agissements, Eastwood sonde en réalité une Amérique authentique, loin des débats périphériques et idéologiques des mutations sociétales. Il parle de couple, de difficulté à avoir des enfants, de drogue, de laissés pour compte du rêve américain, d’alcoolisme, d’élections locales, de pick-ups. Il parle de la vie des citoyens. C’est peut-être ce qui explique aussi l’échec démocrate à la dernière présidentielle américaine. Ne pas avoir regardé assez l’Americana qu’Eastwood n’a cessé lui de regarder et de filmer.

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