François Costantini est un expert reconnu du Liban et des dynamiques politiques complexes du Moyen-Orient. Auteur de plusieurs ouvrages de référence, il a notamment publié Le Liban : Histoire et destin d’une exception (2017), dans lesquels il offre une analyse approfondie des enjeux géopolitiques de la région, ainsi que de l’évolution du Hezbollah et de son rôle central au sein du Liban. À la lumière du conflit actuel entre Israël et le Hezbollah, François Costantini apporte dans cet entretien exclusif pour Le Diplomate, un éclairage précieux sur les implications de cette confrontation pour l’avenir du Liban, tout en soulignant les conséquences de l’affaiblissement notable de l’influence française dans la région. Les récentes déclarations d’Emmanuel Macron sur le Liban, jugées par certains comme déconnectées de la réalité de terrain, ajoutent un poids supplémentaire à cette réflexion sur le rôle de la France au Moyen-Orient.
Propos recueillis par Angélique Bouchard
Le Diplomate : En tant que spécialiste du Liban, comment percevez-vous la dynamique actuelle du conflit entre Israël et le Hezbollah ? Quelles en sont, selon vous, les causes profondes et les enjeux stratégiques pour les deux parties ?
François Costantini : Le conflit entre Israël et le Hezbollah agit comme un véritable révélateur des réalités de la scène politique, confessionnelle et sociale libanaise. La dynamique est pour le moment favorable à Israël, le Hezbollah, contrairement à l’épisode de 2006, ne recueillant plus de sympathie de la part d’une partie importante de la population libanaise, mais au contraire une franche hostilité. Le Hezbollah, c’est le bras armé, politique et stratégique de l’Iran au Liban. Il n’a aucune autre utilité. Son agenda est rédigé à Téhéran. Il s’est directement placé sous la tutelle du Guide suprême de la révolution iranienne, Ali Khamenei. Pour Israël, il s’agit justement de décapiter cette excroissance iranienne à sa frontière, mais qui joue également un rôle important dans le soutien au régime syrien défaillant. Tout en soutenant le Hamas. Le Hezbollah, c’est la courroie de transmission indispensable du « croissant chiite », de Téhéran à Gaza en passant par Bagdad et Damas, qu’Israël vise désormais à abattre.
LD : Le Hezbollah semble faire face à des pressions à la fois internes et externes dans ce contexte de conflit. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’état actuel de cette organisation, son influence au Liban et sa capacité de résilience face aux frappes israéliennes ?
FC : En octobre 2023, un soudage indiquait que 72 % des Libanais étaient hostiles à un soutien au Hamas, notamment par une entrée du Hezbollah dans le conflit. Mais le Hezbollah détient la réalité du monopole de la violence et de la terreur au Liban. Grâce à son alliance avec Aoun, mais depuis la présence syrienne au Liban, il détient la plupart des postes sécuritaires dans l’appareil d’Etat libanais, et a renvoyé l’armée libanaise à un rôle de super gendarmerie nationale. Il dispose encore d’un arsenal considérable, plusieurs milliers de missiles qui peuvent frapper le territoire israélien. Au Liban, il a littéralement pris le pays en otage, ses membres se sont actuellement répandus dans toutes les régions du pays, provoquant tensions et incidents entre eux et les autres communautés, en particulier chrétiens et chiites. Le Hezbollah dispose en tout cas d’une bien plus forte capacité de résilience que le Hamas face à Israël.
LD : Quels impacts concrets ces frappes israéliennes pourraient-elles avoir sur le tissu social et économique déjà fragile du Liban ? Existe-t-il un risque réel de déstabilisation supplémentaire pour le pays ?
FC : Il semble avant tout qu’Israël frappe, directement ou indirectement, des cibles liées à l’activité du Hezbollah. Alors qu’en 2006 l’aéroport de Beyrouth avait été frappé dès les premiers moments du conflit, le tissu économique et social libanais, mais aussi les sièges de ses institutions, sont pour le moment préservées. Mais le risque sérieux de déstabilisation existe. Le Hezbollah pourrait retourner sa rancœur contre les populations libanaises qui se sont montrées hostiles, les sunnites et les chrétiens essentiellement.
LD : Au-delà des conséquences immédiates, quel avenir voyez-vous pour le Liban à moyen et long terme si cette confrontation entre Israël et le Hezbollah perdure ? Et comment perçoivent cet affrontement les autres communautés du pays ?
FC : Toute la question, c’est de savoir le temps pendant lequel le Hezbollah continuera d’être le véritable « patron stratégique » du pays. Le Hezbollah est à l’heure actuelle la seule force armée véritable au Liban. Il peut imposer un régime de terreur aux autres communautés, mais aussi aux chiites (nombreux) qui ne se reconnaissent pas en lui, ayant commandité plusieurs assassinats contre des personnalités lui étant hostiles, comme celui du journaliste Lokman Slim. Et menaçant jusqu’en France des journalistes libanais s’exprimant contre lui. L’armée lui est soumise. La justice également, le courageux juge Tarek Mitri étant empêché d’enquêter sur l’explosion du port de Beyrouth en aout 2020, parce que les premières investigations sont accablantes quant aux responsabilités du Hezbollah. Sans parler du trafic d’héroïne et de captagon, qui sont de véritables monopoles pour la milice pro-iranienne, appuyée par le régime de Bachar el Assad.
LD : La France a historiquement joué un rôle influent au Liban, mais aujourd’hui, elle semble totalement hors-jeu. Comment expliquez-vous cet immense affaiblissement de l’influence française ? Pensez-vous que la politique actuelle de Paris soit encore pertinente pour les réalités libanaises ?
FC : Le Liban est victime, lui-aussi, d’un énième en même-temps macronien. Emmanuel Macron, atteint à la fois par sa méconnaissance notoire du Liban et son immaturité chronique, entendait dicter aux Libanais ce qu’il fallait faire…Même s’il faut souligner que la volonté de faire du Hezbollah un interlocuteur respectable (en dépit de leur implication dans l’assassinat de 58 parachutistes français en 1983 à Beyrouth) est une tendance de fonds lourde du Quai d’Orsay depuis 30 ans, initiée notamment par Chirac. Le rôle que la France remplit aujourd’hui, c’est celui d’un collecteur de fonds perdus au bénéfice de la classe libanaise corrompue, à l’image des clans Berry et Aoun.
LD : Les récentes déclarations d’Emmanuel Macron sur le Liban et Israël ont été perçues par certains comme déconnectées de la réalité. Quelle est votre analyse de cette position ? Cela pourrait-il affecter encore davantage la perception de la France dans la région ?
FC : Macron est hors-sol, chacun le sait, et il l’est d’autant plus que le Proche-Orient, qui requiert plus qu’ailleurs une connaissance approfondie affinée et dense à la fois des problématiques. Mais ses prises de positions sont également dictées par sa propre rue arabo-musulmane, qui lui a assuré sa réélection en 2022 et à l’égard de laquelle il développe les plus grandes craintes, comme l’a démontré son refus de participer à la manifestation contre l’antisémitisme. Comme le disait fort à propos Michel Jobert, la seule politique arabe qui reste à la France, c’est Barbès…
LD : Enfin, quelles options voyez-vous pour les acteurs régionaux et internationaux – en particulier la France – pour contribuer à une éventuelle stabilisation du Liban ? Y a-t-il des initiatives ou des alliances qui pourraient faire la différence dans cette crise ?
FC : Seule la neutralisation du régime iranien, qui a démontré sa volonté de nuisance majeure dans la région, pourra contribuer à une possible stabilisation du Liban. Mais il faut savoir que derrière l’Iran il y a la Russie, et derrière la Russie, il y a la Chine…les axes antagonistes se déclinent également au Liban, ce qui est à déplorer, selon la fracture mondiale majeure que nous connaissons désormais.
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