L’Entretien du Diplomate avec Djilali Benchabane

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Djilali Benchabane
Photomontage LeLab Diplo

Djilali Benchabane a été chargé de mission au Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS) du Ministère des Affaires étrangères, où il a travaillé avec différentes administrations sur des questions stratégiques et sociétales. Ancien chercheur associé à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), il a publié plusieurs articles et participé à divers ouvrages sur des sujets géopolitiques et stratégiques. Aujourd’hui, en plus de ses interventions régulières dans les médias, il exerce comme consultant pour des institutions et des entreprises, tout en poursuivant ses activités d’enseignement.

Propos recueilli par Mathilde GEORGES

Le Diplomate : Quelles implications la mort de Yahya Sinouar pourraient-elle avoir sur la structure du Hamas et sur la stratégie de ce groupe à court et moyen terme ? Pensez-vous que cela pourrait entraîner une réorganisation interne ou une radicalisation accrue des actions du Hamas en réponse à cette perte ?

Djilali Benchabane : La disparition du leader du Hamas ne constitue pas en soi une rupture stratégique pour ce mouvement, et n’offre dans les faits qu’une victoire de court terme à Israël. Dans les années 2000, le leader historique du Hamas, le cheikh Yassine avait été éliminé, ainsi que son successeur désigné Abdelaziz al-Rantissi, cela n’a pas pour autant annihilé la capacité du Hamas à se reconstruire autour d’autres figures. La radicalité du mouvement s’évaluera dans le temps à la faveur de son évolution idéologique et de son impact auprès des nouvelles générations de militants. Rien ne garantit que d’autres mouvements n’émergeront pas autour du Hamas, en portant une ligne encore plus radicale. L’Etat islamique a prospéré sur les ruines de l’Irak post Saddam Hussein, après l’intervention américaine d’où les mises en garde de Washington à Tel Aviv sur une opération militaire qui n’intégrerait pas une vision politique de long terme.

À votre avis, quelles stratégies l’Iran et le Hezbollah pourraient-ils adopter face à l’escalade des tensions au Liban, et quels en seraient les effets à long terme pour la stabilité régionale ?

L’Iran et le Hezbollah s’inscrivent dans une stratégie de long terme : c’est-à-dire de résilience. Aucun de ces deux acteurs ne souhaitent apparaître comme étant affaiblis, et ce, malgré certaines fragilités qui ont pu apparaître à la faveur des opérations militaires menées par l’Etat hébreu à leur encontre. L’Iran conservera, en tout état de cause, son soutien au Hezbollah au regard de l’importance stratégique que constitue ce mouvement dans la projection de l’influence iranienne au Levant. La perspective d’un conflit durable aura pour conséquence principale d’ôter toute perspective de développement sociétal et économique pérenne dans un Proche-Orient épuisé par le soubresaut continu des guerres. Cette notion de déstabilisation du Proche-Orient doit aussi s’entendre au travers des conséquences que peuvent avoir sur le plan économique et sociétal les mouvements migratoires engendrés par les lignes de front pour les pays frontaliers (ex : palestiniens en Egypte).

Pensez-vous que le Hezbollah est prêt à entrer pleinement en conflit contre Israël, ou cherchent-ils à maintenir un équilibre fragile ?

Pour le Hezbollah, la question d’une guerre totale n’est pas sans risque notamment sur le plan politique. Une défaite militaire pourrait, en effet, conduire à une perte d’influence du parti chiite dans un Liban déjà exsangue économiquement. Le Hezbollah reste pour le moment dans une posture de défense de ses positions, et d’établissement d’un statut quo. Une guerre totale ne deviendrait probablement une option pour le parti chiite, que si son existence faisait l’objet d’une remise en cause réelle du fait des opérations militaires israéliennes.

À long terme, quelles répercussions la destruction progressive de Gaza pourrait-elle avoir sur les perspectives de réconciliation entre les Palestiniens et Israël ? Y a-t-il encore un espoir de reconstruction dans ces conditions ?

L’hypothèse d’une réconciliation entre palestiniens et israéliens passe par un processus qui va au-delà du conflit israélo-palestinien et de la destruction de Gaza. Pour qu’une telle perspective puisse se réaliser, elle doit forcément inclure une dimension régionale au travers d’un accord politique et de sécurité qui fasse consensus parmi les grands Etats de la région.  A l’heure actuelle, on voit difficilement l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Egypte et Israël être en mesure d’aboutir à un tel accord, alors que la dissonance de vue sur la sécurité du Proche-Orient n’a jamais été aussi forte. La reconstruction de Gaza et la refondation d’une administration palestinienne restent prisonnières du jeu des puissances régionales. Mais aussi du manque d’inspiration des grandes chancelleries à formuler une nouvelle architecture de paix durable au Proche-Orient.

Comment cette guerre impacte-t-elle les efforts diplomatiques de normalisation entre Israël et les pays arabes, comme l’Arabie Saoudite ?

La guerre au Proche-Orient a enterré l‘espérance d’une normalisation – à court terme – des relations entre les Etats Arabes et Israël, en rendant difficilement compréhensible pour l’opinion arabe ce rapprochement tant que le conflit perdurera. Pour le royaume saoudien, l’éventuelle normalisation des relations avec Israël ne pourra se construire que sur la base d’une intégration de l’équation palestinienne. L’Arabie Saoudite a besoin d’un environnement régional stabilisé pour espérer atteindre les objectifs ambitieux de son plan de transformation économique vision 2030. A cet égard, Ryad cherchera certainement à trouver un point de compromis entre la nécessité d’une coexistence avec Téhéran et celui d’une reconnaissance à terme de l’Etat d’Israël.

Comment analysez-vous la stratégie américaine dans ce conflit ? Le déploiement militaire est-il un moyen de dissuasion efficace, ou risque-t-il d’aggraver les tensions régionales ?

Les Etats-Unis sont plus adeptes de la stratégie de dissuasion au Moyen-Orient, qu’en volonté d’ouvrir un front dont ils n’auraient pas la maîtrise.  Dans la mémoire militaire américaine, les guerres d’Irak et d’Afghanistan restent très présentes et illustrent les limites de la puissance étasunienne face à la complexité du Moyen-Orient. Le Président Biden a systématiquement fait montre de retenue à chaque épisode de tensions majeures entre l’Iran et Israël, en appelant ces acteurs à opter pour une logique de désescalade. La ligne directrice de Washington dans cette région du monde se fonde clairement sur l’objectif de contenir le risque d’une conflictualité généralisée.

Vous contribuez régulièrement aux médias sur les questions géopolitiques et stratégiques. Comment évaluez-vous le rôle des médias internationaux dans la couverture de ce conflit ? Peut-on dire que certains biais influencent les opinions publiques mondiales sur le conflit israélo-palestinien ?

Le conflit israélo-palestinien nous conduit à être les spectateurs d’une tragédie sans fin où les pertes civiles israéliennes et palestiniennes sont comme autant d’aveux d’impuissance de la communauté internationale à mettre fin à cette guerre. Les médias sont, à l’instar de nos sociétés, dans une posture où l’émotion prend parfois le pas sur notre capacité à analyser de façon rationnelle les racines de cette conflictualité.  La polarisation croissante des opinions que l’on observe en Europe ou aux Etats-Unis, a rendu moins évidents les débats autour des enjeux liés au conflit israélo-palestinien.

Les accusations de crimes de guerre à l’encontre d’Israël et du Hamas suscitent un intérêt croissant au niveau international. Pensez-vous que ces accusations pourraient être portées devant la Cour pénale internationale une fois la guerre finie ?

La question de la justice internationale repose, au-delà des accusations portées par ou contre les belligérants de cette guerre, sur des enjeux multiples dont la reconnaissance de cette instance par les parties prenantes. Par ailleurs, on ne peut écarter l’hypothèse qu’une solution de paix au conflit israélo-palestinien pourrait être conditionnée, dans le volet des négociations, au renoncement de toute action devant la CPI portant sur des faits pouvant être assimilés à des crimes de guerre.

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