Le Tchad cherche à diversifier ses partenaires sécuritaires

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La stratégie du Tchad face aux enjeux géopolitiques du Sahel
Photographies ©️FPA & ©️DRFP.

Par Olivier d’Auzon

Considéré comme l’une des dernières zones de stabilité dans le Sahel, le Tchad se trouve aujourd’hui en position de force pour négocier de nouveaux partenariats stratégiques.

La présence militaire de la France et des États-Unis au Tchad est en cours de réévaluation, notamment après leur retrait forcé du Niger. Paris envisage de redéployer ses forces, tout en cherchant à adapter son influence aux nouvelles réalités géopolitiques de la région.

Les États-Unis, de leur côté, discutent de nouvelles modalités de coopération sécuritaire avec N’Djamena pour maintenir leur présence stratégique dans le Sahel.

Diversification des partenariats sécuritaires

Le Tchad adopte donc assurément une politique de diversification de ses alliances sécuritaires.

Tout en conservant ses bases militaires françaises et américaines, le pays s’ouvre également à des partenariats avec d’autres nations, notamment les Émirats arabes unis, Israël, la Turquie, et la Russie. Ce pragmatisme diplomatique permet au Tchad de jouer un rôle clé dans le jeu géopolitique en Afrique.

Repositionnement de la France et des États-Unis au Tchad

Nous l’avons dit, la présence militaire de la France et des États-Unis au Tchad est en cours de réévaluation, notamment après leur retrait forcé du Niger.

Dans cette perspective, en avril 2023, les États-Unis avaient retiré leurs forces spéciales du Tchad à la suite de la demande officielle du gouvernement tchadien, invoquant un cadre juridique manquant pour justifier leur présence.

Pourtant, moins de six mois plus tard, le Pentagone apparait impatient de redéployer une partie de ses troupes dans le pays. Cette intention a été révélée par le général de division Kenneth Ekman, responsable de la coordination des forces américaines en Afrique de l’Ouest, lors d’une interview avec le média “La Voix de l’Amérique” (VOA), le 19 septembre 2024.

D’après Ekman, un accord aurait été trouvé entre les États-Unis et le Tchad pour permettre le retour d’un contingent limité de forces spéciales américaines.

 “C’était une décision du président tchadien Mahamat Deby“, a précisé Ekman, ajoutant que des discussions étaient en cours pour définir les modalités précises de ce retour.

Un démenti rapide du Tchad

Cependant, au lendemain de cette déclaration, le ministère tchadien des Affaires étrangères a publié un démenti formel, réfutant toute conclusion d’un tel accord.

Le ministre tchadien des Affaires étrangères a souligné quant à lui, que “le gouvernement du Tchad n’a pris aucune décision autorisant le retour des forces spéciales américaines sur son territoire”.

Le porte-parole du gouvernement, Abderaman Koulamallah, a lui insisté sur la souveraineté du Tchad, rappelant que le pays restait maître de ses choix en matière de sécurité nationale et de coopération internationale.

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Une position stratégique pour le Tchad

Le Tchad, par sa position géographique clef dans la région du Sahel, joue un rôle central dans la lutte contre le terrorisme, notamment contre les groupes extrémistes tels que Boko Haram et les militants de l’État islamique, actifs dans le bassin du lac Tchad et au-delà.

Depuis la mort brutale d’Idriss Deby en 2021, son fils, Mahamat Deby, a consolidé son pouvoir à la tête du pays. Il utilise volontiers cette position stratégique pour maximiser les bénéfices de la coopération militaire avec les puissances occidentales.

Éric Topona, analyste politique tchadien, a suggéré que les autorités tchadiennes pourraient être en pleine négociation avec Washington. Selon lui, le général Ekman aurait “parlé trop tôt” ou mal interprété l’état des discussions.

Le Tchad, conscient de son importance dans la lutte antiterroriste au Sahel, pourrait chercher à imposer des conditions favorables avant de permettre le retour des troupes américaines. “Le Tchad ne se laissera pas forcer la main. Si les soldats américains reviennent, ce sera sous des conditions qui maximisent les avantages pour le pays”, explique Topona.

Un contexte régional complexe

Le retrait des troupes américaines du Tchad en avril 2023 faisait partie d’une dynamique plus large dans la région du Sahel, marquée par une réduction de la présence militaire occidentale. Cette tendance s’est du reste accélérée après le coup d’État au Niger en juillet 2023, qui a entraîné l’expulsion des troupes françaises et américaines du pays.

Des États comme le Mali et le Burkina Faso ont également pris des mesures pour limiter ou cesser les coopérations militaires avec les forces occidentales, citant des échecs dans la lutte contre les insurrections islamistes.

Pour autant, contrairement à ces autres pays du Sahel, le Tchad n’a jamais complètement rompu avec les puissances occidentales. Les États-Unis et la France considèrent toujours le pays comme un allié crucial dans la lutte contre les groupes extrémistes, tant au Sahel qu’en Libye.

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La réponse d’AFRICOM et les enjeux futurs

Pour clarifier la situation, le Commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) a émis un communiqué précisant les propos du général Ekman. Dans un courriel envoyé à VOA, AFRICOM a expliqué que l’officier avait évoqué “un accord” dans le sens où “une entente” avait été trouvée à la suite d’une demande du président tchadien. Cependant, l’accord formel est encore en discussion, et les détails exacts restent à définir.

La question du retour des troupes américaines au Tchad ne se résume pas seulement à des considérations militaires.

En effet, la position géopolitique du pays, qui contrôle des routes stratégiques utilisées par les groupes armés, confère à N’Djamena un poids diplomatique important. Selon Éric Topona, “les autorités tchadiennes jouent sur cet atout pour exercer une pression sur leurs partenaires, en mettant en avant la menace de se rapprocher de la Russie si les demandes du Tchad ne sont pas satisfaites”. Cette stratégie de “surenchère” pourrait permettre au Tchad de tirer de nouveaux bénéfices économiques et militaires de ses alliances internationales.

Une stratégie américaine et française en réévaluation

Ce retour des forces spéciales américaines pourrait marquer un tournant pour la lutte antiterroriste dans la région, alors que les groupes extrémistes continuent d’étendre leur influence vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest.

Pour les États-Unis, il s’agit d’un enjeu stratégique de taille : maintenir une présence sur le terrain pour surveiller et contrer les activités terroristes, tout en évitant de froisser la sensibilité des gouvernements locaux, qui cherchent de plus en plus à affirmer leur autonomie.

Le Tchad, au cœur des enjeux sécuritaires au Sahel, se trouve à un carrefour délicat entre le renforcement de ses relations avec les puissances occidentales et l’affirmation de sa souveraineté nationale. Si les forces américaines reviennent effectivement dans le pays, ce sera à des conditions qui bénéficieront à N’Djamena.

Pour le Pentagone, ce retour pourrait être une opportunité de stabiliser leur présence dans une région en pleine reconfiguration géopolitique, alors que la Russie cherche à s’implanter davantage en Afrique.

Quant à la présence militaire de la France au Tchad est elle aussi en cours de réévaluation, notamment après leur retrait forcé du Niger. Paris envisage bel et bien de redéployer ses forces, tout en cherchant à adapter son influence aux nouvelles réalités géopolitiques de la région.

Une alliance historique avec la France

Le Tchad est depuis longtemps un allié de poids pour la France en Afrique. Le pays a accueilli le quartier général de l’opération Barkhane, la plus importante intervention militaire française à l’étranger, qui comptait jusqu’à 5 000 soldats au plus fort de son déploiement. Ce partenariat militaire a permis à la France de maintenir une présence stratégique dans une région marquée par les menaces djihadistes et l’instabilité politique.

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La montée des nouvelles influences : Russie et au-delà

L’influence de la France au Sahel est aujourd’hui contestée par des acteurs extérieurs, notamment la Russie. De la Libye à la République centrafricaine en passant par le Soudan, Moscou s’est imposé comme un partenaire de choix pour plusieurs pays voisins du Tchad.

Les liens entre N’Djamena et Moscou se renforcent, avec une coopération militaire et académique accrue, et un lobbying intensifié pour consolider les relations économiques et culturelles.

Le rôle croissant de la Hongrie

La Hongrie s’invite également dans le jeu stratégique au Sahel. Après avoir renforcé sa présence diplomatique en Afrique subsaharienne grâce à son programme “Hungary Helps” et l’ouverture de chancelleries dans la région, Budapest a récemment orienté ses efforts vers la sécurité au Sahel.

En novembre 2023, la Hongrie a ainsi signé un accord avec le Tchad pour déployer plus de 200 soldats sur le sol tchadien, marquant ainsi son engagement croissant dans les enjeux sécuritaires de la région.

Bien que certains spéculent sur l’implantation réelle de ces troupes hongroises au Tchad, les discussions entre les deux pays se poursuivent activement. Le ministre de la Défense hongrois, Kristóf Szalay-Bobrovniczky, et son homologue tchadien, Dago Yacouba, continuent de renforcer cette coopération militaire.

La Hongrie voit dans cette alliance une opportunité de s’implanter dans une région stratégique, malgré ses liens complexes avec la Russie, qui pourraient être perçus comme un atout dans ses négociations avec le Tchad.

 Dans ce contexte, le Tchad ne ferme aucune porte en matière de coopération internationale, préférant une approche équilibrée entre ses anciens alliés occidentaux et de nouveaux partenaires, notamment russes.

La priorité vise à maximiser les retombées économiques et stratégiques pour le pays, sans s’engager dans des alliances exclusives qui pourraient limiter sa marge de manœuvre sur la scène internationale.

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