Ukraine : Vous avez dit mines antipersonnel ?

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Fourniture de mines antipersonnel à l’Ukraine
Un commando du 20th Special Forces Group, prépare une mine Claymore à Jericho, Vermont (photo U.S. Army National Guard by Sgt. Adena McCluskey)

Par Jean Daspry, pseudonyme d’un ex diplomate

« Trop d’informations tue l’information ». En cette période d’infobésité, toutes les informations sont mises sur le même plan. Une nouvelle importante peut passer inaperçue dans le flot déversé par les chaînes d’information en continu. Prenons un exemple fourni par l’actualité internationale récente. Afin de redorer son blason, Joe Biden rend publique, le 17 novembre 2024, l’autorisation donnée aux Ukrainiens d’utiliser les missiles américains de longue portée contre le territoire russe. Cette nouvelle fait la une de la médiasphère et enflamme la toile. Passe quasiment inaperçue l’annonce faite par son secrétaire d’État à la défense, Lloyd Austin le 20 novembre. Celle de la fourniture à l’Ukraine des « mines antipersonnel non persistantes ». Ces mines sont équipées de dispositifs qui, en cas de défaut de fonctionnement, rendent la mine inerte après un certain délai. Hormis quelques empêcheurs de tourner en rond, nul n’y voit malice. Après la balade des gens heureux vient rapidement celui du mais à part ça, madame la marquise, tout va très bien.

C’EST LA BALADE DES GENS HEUREUX[1]

Dans la foulée de l’annonce de Lloyd Austin, la médiasphère donne le la à la bien-pensance occidentale. Quoique tardive, cette mesure va dans la bonne direction après 1 000 jours de guerre infligés au peuple ukrainien par Vladimir Poutine avec son « opération militaire spéciale ». Elle est censée contribuer à renforcer les défenses de Kiev (l’agressé) contre l’avancée des troupes russes (l’agresseur) sur le sol ukrainien. Alors que l’idée de négociation refait surface, il importe de renforcer la main du président Volodymyr Zelensky en lui fournissant toute la panoplie d’armes classiques dont il a un besoin vital pour éviter un effondrement. Au diable l’avarice et la mesquinerie de quelques hommes de droit vétilleux dès qu’il s’agit de donner un sérieux coup de main à l’Ukraine. Peu importe le droit international brandi comme le Saint-Chrême par nos bons samaritains. Curieusement, nos généraux et ambassadeurs de plateaux de télévision ne réagissent pas immédiatement à ce qui aurait normalement dû se passer. Pas plus que notre président de la République (depuis le G20 de Rio) et sa cohorte de diplomates du Quai d’Orsay (par la voix autorisée de son porte-parole). La question de la fourniture de ces mines antipersonnel à Kiev est loin d’être anodine. Elle soulève un sérieux problème de droit international. Heureusement, les ONG les plus impliquées sur le sujet font entendre leur voix discordante. Elles ont bonne mémoire en raison de leur passé sur le dossier de l’interdiction des mines antipersonnel. Elles réagissent vite et bien pour rappeler l’existence de la Convention d’Ottawa de 1997.

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MAIS À PART ÇA, MADAME LA MARQUISE, TOUT VA TRÈS BIEN[2]

Les faits sont têtus. Nous le vérifions encore une fois. Revenons vingt-cinq ans en arrière ! La sphère du désarmement traverse une période faste que d’aucuns qualifient de « décennie prodigieuse ». En effet, conséquence de la fin de la Guerre froide et du rétablissement de la confiance entre acteurs principaux du concert des Nations, le processus de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération connaît un essor sans précédent depuis 1945 qu’il s’agisse de sa dimension bilatérale américano-russe, régionale essentiellement dans le cadre européen avec la CSCE puis l’OSCE et multilatéral au sein de la Conférence du désarmement à Genève. Cette dernière ne parvenant pas à s’accorder sur les bases d’une convention d’interdiction des mines antipersonnel (MAP), une solution innovante est trouvée, en dehors de la Conférence, par un groupe de plusieurs pays dirigé par le Canada associé à un collectif d’ONG réunis sous la bannière de la campagne pour l’interdiction totale des mines antipersonnel (ICBL sous son acronyme anglais) bien connu grâce à par sa fondatrice Joddy Williams. Ces derniers recevront conjointement le prix Nobel de la paix en 1997. Le traité négocié en un an, qui a été ardemment défendu par Diana, princesse de Galles, est ouvert à la signature le 3 décembre 1997 à Ottawa[3]. La convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel entre en vigueur en 2009. À ce jour, 164 États sont partis à la Convention d’Ottawa. Les grands absents sont les États-Unis, la Russie et la Chine mais aussi l’Inde et le Pakistan. L’Ukraine a ratifié cet accord. Par voie de conséquence, si elle utilisait de telles armes, elle violerait ses engagements au titre de l’article 1 de ladite convention. Rares sont ceux qui le disent alors même qu’il s’agit d’une règle de droit international résumée dans l’adage latin « Pacta sunt servanda » signifiant les conventions doivent être respectées. On ne saurait être plus clair.

LE LEADERSHIP VERTUEUX[4]

« La loi médiatique consiste à tempérer, à cacher, à noyer, à effacer l’information » (Michel-Antoine Burnier/Patrick Rambaud). Il aura fallu au moins vingt-quatre heures pour que les grands quotidiens comme Le Monde réalisent l’étendue du problème soulevé par la livraison de mines antipersonnel par les États-Unis à l’Ukraine[5]. Mais où sont donc passés les grands esprits de ce quotidien du soir et des dîners en ville ? Mais que sont devenus tous les États occidentaux parties à la Convention d’Ottawa – la France « embêteuse » du monde – qui sont restés silencieux après la décision américaine ? On comprend les critiques des pays du « Sud Global » qui stigmatisent la duplicité et la politique de l’indignation à géométrie variable de l’Ouest. Et ils n’ont pas tort à maints égards. Pour s’ériger en donneur de leçons, il faut être exemplaire. Ce qui n’est pas le cas ! Nous pourrions conclure cet épisode en plagiant la célèbre répartie de Louis Jouvet dans « Drôle de drame » par la formule : Ukraine, vous avez dit mines antipersonnel !

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur


[1] Chanson de Gérard Lenorman, 1975.

[2] Chanson de 1935, Paroles et musique de Paul Misraki, interprétée par Ray Ventura.

[3] https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/mines_antipersonnel.pdf

[4] Alexandre Dianine-Havard, Le leadership vertueux, 2ème édition, Le Laurier, 2015.

[5] Chloé Hoorman/Faustine Vincent, Washington livre des mines antipersonnel à Kiev, Le Monde, 22 novembre 2024, pp. 1-2.

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