ANALYSE – Construction navale : Domination chinoise et changement majeur dans l’économie mondiale et ses implications stratégiques

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Domination chinoise construction navale
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

La maîtrise de 65 % du carnet de commandes mondial de la construction navale par la Chine représente un tournant sans précédent et un signal clair de la manière dont le pays redéfinit les équilibres mondiaux dans l’économie maritime. Avec un total de 3 256 navires en construction en novembre 2024, pour une capacité de charge totale de 224 millions de tonnes de port en lourd (TPL), la Chine consolide sa suprématie, affichant une croissance de 37 % par rapport à 2023 et de 72 % par rapport à 2022.

Une domination bâtie sur le long terme

Le secteur de la construction navale est un indicateur clé des capacités industrielles et technologiques d’un pays. Dans les années 2000, le Japon et la Corée du Sud dominaient ensemble 78 % du carnet de commandes mondial. Aujourd’hui, cette part a drastiquement chuté à 31 % au profit de la Chine. Ce changement résulte d’une stratégie à long terme, combinant investissements massifs dans les infrastructures, innovation technologique et politiques industrielles ciblées.

La Chine a misé sur la modernisation des chantiers navals, l’intégration verticale de la chaîne d’approvisionnement et un fort soutien de l’État. Ces efforts lui permettent de concurrencer non seulement sur les prix, mais aussi sur la qualité, attirant des commandes de grande envergure pour des navires technologiquement avancés tels que les porte-conteneurs et les pétroliers de dernière génération.

Implications économiques mondiales

La domination chinoise dans la construction navale a des implications économiques profondes. D’une part, elle consolide la position de la Chine comme centre névralgique du commerce maritime mondial, offrant un avantage stratégique tant sur le plan commercial que géopolitique. Contrôler une grande partie de la production navale mondiale donne à la Chine un levier direct sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, à une époque où le transport maritime représente environ 90 % du commerce mondial des marchandises.

D’autre part, cette suprématie industrielle renforce les secteurs sidérurgique et technologique chinois, créant un cercle vertueux qui stimule la croissance économique nationale. La construction navale se trouve au carrefour de multiples industries, allant de la métallurgie à la robotique, en passant par l’électronique et les énergies renouvelables, avec une attention particulière à la durabilité environnementale des nouveaux navires.

Un déclin pour le Japon et la Corée du Sud

La chute de la part de marché combinée du Japon et de la Corée du Sud, de 78 % à 31 %, reflète une perte de compétitivité pour ces deux pays, historiquement leaders dans le domaine. Ils sont pénalisés par des coûts de production plus élevés, une capacité d’adaptation plus lente aux nouvelles exigences du marché et une stratégie moins agressive par rapport à la Chine.

Cependant, le Japon et la Corée du Sud restent leaders dans des segments de haute spécialisation, tels que les navires pour le gaz naturel liquéfié (GNL) et les navires de croisière. Bien que limitée, cette niche pourrait leur offrir un espace de résilience dans un marché de plus en plus dominé par la Chine.

Un avenir de défis et d’opportunités

La suprématie chinoise dans la construction navale n’est pas exempte de défis. La concentration croissante des capacités de production dans un seul pays pourrait soulever des préoccupations mondiales en termes de sécurité économique et de résilience des chaînes d’approvisionnement. De plus, la concurrence avec la Corée du Sud, le Japon et de nouveaux acteurs émergents reste intense, notamment dans le domaine des navires écologiques et à zéro émission, où l’innovation technologique sera déterminante.

Pour les pays occidentaux, cette suprématie chinoise constitue un nouvel avertissement quant à l’importance d’investir dans des secteurs stratégiques afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de Pékin. L’Union européenne et les États-Unis, bien qu’ayant abandonné depuis longtemps le secteur de la construction navale à grande échelle, pourraient être contraints de repenser leurs politiques industrielles pour contrebalancer cette domination.

Le renforcement du seapower chinois

Le renforcement du pouvoir maritime chinois est l’un des éléments centraux de la stratégie de Pékin pour s’affirmer comme une puissance globale et garantir la sécurité de ses intérêts maritimes. Par le développement de la Marine de l’Armée populaire de libération (PLAN) et une expansion constante des infrastructures maritimes, la Chine redessine les équilibres géopolitiques régionaux et mondiaux.

Les documents officiels chinois mettent en évidence la nécessité de transformer la marine d’une force de défense côtière en une flotte capable d’opérer dans des eaux éloignées. La stratégie maritime décrite dans les Livres blancs sur la défense et les discours du président Xi Jinping insiste sur l’importance de construire une marine forte capable de protéger les routes commerciales, de sécuriser les lignes de communication maritimes et de projeter sa puissance à l’échelle mondiale. Le projet de la “Route de la soie maritime”, partie intégrante de l’Initiative de la Ceinture et de la Route (BRI), est une composante cruciale de cette vision stratégique, assurant à la Chine l’accès à des ports et infrastructures critiques le long des principales routes commerciales.

La capacité de la Chine à intégrer des technologies civiles et militaires, connue sous le nom d’approche dual-use, permet une conversion rapide des chantiers navals civils pour la construction de navires militaires. Ce modèle permet à la Chine de développer une flotte moderne et diversifiée, comprenant des sous-marins nucléaires, des porte-avions et des destroyers de dernière génération. Des outils stratégiques tels que les missiles balistiques antinavires et les plateformes autonomes renforcent les capacités opérationnelles de la marine chinoise, la plaçant en concurrence directe avec la suprématie navale des États-Unis dans l’Indopacifique.

L’influence croissante de la Chine dans les zones contestées, comme la mer de Chine méridionale, exerce une pression constante sur les pays voisins, dont le Japon, Taïwan et l’Inde, tandis que les bases navales construites dans des régions stratégiques comme Djibouti consolident la présence de Pékin dans des mers éloignées. Le contrôle des routes maritimes permet à la Chine d’exercer une influence significative sur les pays dépendants de ses infrastructures navales, renforçant sa position en tant que puissance économique et acteur militaire mondial.

L’approche chinoise de la domination maritime ne se limite pas à la force militaire conventionnelle mais inclut des outils non conventionnels tels que l’utilisation de flottes de pêche paramilitaires et de garde-côtes pour atteindre des objectifs stratégiques sans provoquer une escalade directe. Cette approche hybride fait de la Chine un acteur complexe à contrer, capable de combiner diplomatie, économie et force militaire pour renforcer sa position géopolitique.

Le pouvoir maritime chinois n’est pas seulement une question de puissance militaire mais un pilier de la stratégie intégrée de Pékin pour garantir sa sécurité, consolider le contrôle des routes commerciales et projeter son influence mondiale. Cette transformation oblige les autres acteurs internationaux, notamment les États-Unis et leurs alliés, à développer de nouvelles stratégies pour équilibrer le poids croissant de Pékin sur les mers du monde.

À lire aussi : Le processus de la Mondialisation(S’ouvre dans un nouvel onglet)


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