Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
Début décembre 2024, alors que le régime de Bachar al-Assad vacillait sous l’avancée rapide des forces rebelles, des révélations ont émergé sur un contact direct entre les services secrets italiens et les hauts responsables du régime syrien…
Selon un document interne des services de renseignement syriens, révélé en exclusivité par Independent Arabic et rapporté par Il Fatto Quotidiano, (https://www.ilfattoquotidiano.it/2024/12/15/servizi-italia-aiuto-regime-assad-aise-caravelli/7805426/ ) et OFCS Report, (https://www.ofcs.it/internazionale/litalia-in-siria-non-ha-sentito-arrivare-i-ribelli/#google_vignette ), le général Giovanni Caravelli, chef de l’Agenzia informazioni e sicurezza esterna (AISE), aurait offert le soutien de l’Italie au régime d’Assad à un moment critique de la crise syrienne. Une révélation qui, si elle est confirmée, jette une nouvelle lumière sur les ambiguïtés de la politique étrangère italienne et ses relations avec des régimes controversés.
La chute imminente du régime d’Assad
Décembre 2024 marque l’un des moments les plus dramatiques de l’histoire du conflit syrien. Les forces rebelles, dirigées par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham et leur leader Abu Muhammad al-Jolani, avancent rapidement vers Damas après avoir conquis Alep et Hama. La pression est telle que le régime d’Assad, en difficulté sur le terrain militaire, se tourne vers ses alliés traditionnels – Russie, Iran, Hezbollah et milices chiites irakiennes – mais reçoit un soutien limité. C’est dans ce contexte que le document reliant Rome à Damas a émergé, suggérant que l’Italie aurait proposé son aide au régime.
Selon ce document interne, Hassan Luqa, chef de la Division de sécurité générale syrienne, déjà sous sanctions internationales pour graves violations des droits humains, aurait reçu un appel téléphonique du général Caravelli. Lors de cet échange, Caravelli aurait exprimé le soutien de l’Italie à la Syrie, tout en soulignant l’importance du rôle de la Russie pour garantir la stabilité du régime dans cette phase délicate.
Un document controversé
Le document, présenté dans les images de Independent Arabic et cité également par OFCS Report, est partiellement coupé, laissant de nombreux détails dans l’ombre. Le type de soutien offert par l’Italie au régime syrien n’est pas clair : s’agissait-il d’un appui logistique, militaire ou simplement diplomatique ? Ce qui semble certain, à condition que l’authenticité du document soit confirmée, c’est qu’un dialogue a bien eu lieu entre les services secrets italiens et Damas. Cela représenterait un possible revirement par rapport à la position officielle de l’Italie et de l’Union européenne, qui ne reconnaissent pas la légitimité du gouvernement d’Assad et maintiennent des sanctions contre son régime.
Le timing de cette prétendue communication est particulièrement significatif. Quelques jours seulement avant cette révélation, l’Italie avait décidé de rouvrir son ambassade à Damas, une décision qui rompait avec la ligne adoptée par la plupart des pays européens. Ce geste pourrait avoir été une tentative stratégique pour maintenir des canaux ouverts avec Assad, malgré l’avancée des forces rebelles.
Les critiques des analystes
La révélation de ce contact a suscité de vives réactions dans la communauté diplomatique et parmi les analystes. Charles Lister, analyste au Middle East Institute, a qualifié cet appel téléphonique présumé de décision “préoccupante”. “Quelques jours après la chute d’Alep,” a-t-il écrit sur Twitter, “les services de renseignement italiens (AISE) offraient leur soutien au régime d’Assad. Pendant ce temps, les écoles chrétiennes étaient bombardées par les avions syriens et russes.”
Les critiques de Lister mettent en lumière une contradiction morale majeure : alors que le régime syrien était accusé de bombardements indiscriminés contre des civils et des infrastructures éducatives, un pays européen aurait cherché à établir un dialogue secret avec Damas. Un tel comportement risquerait de ternir la crédibilité internationale de l’Italie, qui officiellement soutient les sanctions contre Assad et s’aligne sur les politiques européennes condamnant le régime.
Les motivations du double jeu italien
Si cette conversation est confirmée, elle révélerait un double jeu de la part de l’Italie, prise entre ses principes déclarés et des intérêts stratégiques plus pragmatiques. D’un côté, Rome se positionne comme défenseur des droits humains et des sanctions contre les régimes autoritaires. De l’autre, elle entretiendrait des relations officieuses avec le régime même qu’elle dénonce publiquement.
Les motivations de cette ambiguïté pourraient être liées à deux priorités clés pour l’Italie : la gestion des flux migratoires et la sécurité nationale. La Syrie, malgré son état de dévastation, reste un point névralgique pour les migrations en provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Offrir un “soutien” à Damas pourrait être une stratégie visant à garantir un contrôle sur ces flux, tout en protégeant les intérêts italiens dans une région où la Russie joue un rôle dominant.
Le rôle de la Russie : un facteur clé
La mention du “soutien russe à la Syrie” faite par Caravelli dans le document ajoute une dimension stratégique importante. La Russie est le principal allié d’Assad, et son soutien militaire et diplomatique est essentiel pour la survie du régime syrien. Maintenir un canal ouvert avec Damas pourrait donc être, pour l’Italie, un moyen indirect de préserver ses relations avec Moscou dans un contexte de tensions croissantes entre l’Occident et le Kremlin.
Cependant, cette approche soulève des questions éthiques. Est-il acceptable de collaborer avec un régime accusé de crimes de guerre simplement pour protéger des intérêts stratégiques ? Et surtout, quel message cela envoie-t-il aux alliés européens et aux partenaires internationaux qui prônent une position ferme contre Assad ?
Un coup à la crédibilité italienne
Si l’authenticité de ce document est confirmée, les conséquences pour la crédibilité internationale de l’Italie pourraient être significatives. Rome a toujours affirmé soutenir une ligne dure contre Assad, en accord avec les politiques européennes et américaines. Cette révélation pourrait cependant suggérer une attitude bien différente, risquant d’isoler l’Italie au sein de l’Union européenne et de compromettre son rôle sur la scène internationale.
Une question de pragmatisme ou d’hypocrisie ?
L’affaire du document de Hassan Luqa nous rappelle que la politique internationale se situe souvent dans une zone grise, faite de compromis et de choix difficiles. Cependant, il existe une ligne fine entre le pragmatisme et l’hypocrisie. Offrir un soutien à un régime comme celui d’Assad, même pour des raisons stratégiques, représente une trahison des principes fondamentaux que l’Italie et l’Union européenne prétendent défendre.
Si l’Italie souhaite réellement jouer un rôle dans la stabilisation de la Syrie et de la région, elle doit le faire de manière transparente, en soutenant la société civile et en favorisant une transition politique crédible. Toute autre voie ne ferait qu’alimenter le cynisme et la méfiance déjà omniprésents dans les relations internationales. En fin de compte, l’histoire a montré que les compromis avec des régimes autoritaires ont toujours un coût, payé inévitablement par les plus vulnérables.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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