ANALYSE – La Chine et l’Arctique : une nouvelle frontière dans la géopolitique mondiale

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Ambitions chinoises en Arctique
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Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Historiquement marginale dans l’Arctique, la Chine est aujourd’hui déterminée à consolider sa position en tant que puissance influente dans cette région. Bien que l’exploration arctique ait commencé en Europe dès le XVIe siècle, Pékin ne s’est intéressée au territoire qu’à la fin du XXe siècle. Ce retard ne l’a cependant pas empêchée de faire de l’Arctique un pilier de sa stratégie géopolitique et commerciale.

Ambitions arctiques : entre mercantilisme et nouvelles routes

Depuis son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, la Chine a développé un puissant secteur manufacturier, tirant parti de la coopération économique avec l’Europe et l’Amérique du Nord. Aujourd’hui, le réchauffement climatique et la fonte des glaces arctiques ouvrent de nouvelles perspectives, avec le passage par la route maritime du Nord, qui promet de réduire de neuf jours les temps de navigation par rapport au canal de Suez.

Les autres routes arctiques, comme le passage du Nord-Ouest, restent moins économiques et soumises aux réglementations canadiennes, tandis que la route centrale est encore impraticable pour des raisons climatiques et techniques. Cependant, les scientifiques prévoient que l’Arctique pourrait connaître son premier été presque sans glace d’ici 2030, avec une ouverture commerciale stable de la route du Nord d’ici 2050. Cette évolution intéresse profondément Pékin, qui voit dans l’Arctique non seulement une opportunité logistique, mais aussi une source inépuisable de ressources naturelles : pétrole, gaz, minerais et pêche, avec 25 % des réserves mondiales d’hydrocarbures encore inexplorées.

Consolidation chinoise dans l’Arctique

En à peine plus d’une décennie, la Chine a réalisé des avancées significatives. Elle gère aujourd’hui plusieurs stations de recherche scientifique dans la région, dispose de deux brise-glaces et, depuis 2013, bénéficie du statut d’observateur au Conseil de l’Arctique. En outre, elle a signé des accords avec divers États arctiques pour la recherche conjointe et l’exploitation commerciale.

En juillet 2023, la Chine et la Russie ont lancé un corridor maritime régulier le long des routes arctiques, réduisant les temps et distances pour le transport de marchandises entre les ports russes du nord et la Chine. Rien qu’en 2023, 80 voyages – incluant des navires cargo, pétroliers et de croisière – ont traversé ces routes, renforçant le statut de la Chine en tant que “quasi-pays arctique”.

Convergence sino-russe dans l’Arctique

Depuis 2022, la guerre en Ukraine a isolé Moscou, la forçant à rechercher de nouveaux partenaires pour le développement de l’Arctique. La Chine, malgré les pressions occidentales, a saisi cette opportunité. En mars 2023, Pékin et Moscou ont établi un groupe de travail conjoint pour promouvoir le projet de la route maritime du Nord. En avril, ils ont signé un mémorandum d’entente pour renforcer la coopération en matière de droit maritime, tandis qu’en mai, ils ont impliqué les pays des BRICS dans le projet “Arctic Thinking – Global Thinking” pour définir une agenda arctique partagé.

Un exemple emblématique de cette coopération est le projet Arctic LNG 2, l’une des principales initiatives russes pour le gaz naturel liquéfié dans la péninsule de Gydan. Malgré les sanctions occidentales, le retrait d’investisseurs comme Total et les difficultés opérationnelles, Pékin a soutenu Moscou par des actions discrètes. En novembre 2023, des navires chinois ont transporté des équipements critiques pour le projet, opérant sous de faux noms pour éviter les détections. De plus, en juin 2024, PetroChina a acquis 10 % du projet Arctic LNG 2, conformément aux accords entre Xi Jinping et Vladimir Poutine.

Les risques et le double jeu de Pékin

La Chine agit avec prudence. Tout en soutenant la Russie dans l’Arctique, Pékin cherche à ne pas compromettre ses relations avec les États-Unis et l’Europe. Un exemple récent est l’accord commercial signé avec l’Islande, soulignant l’engagement chinois à maintenir ouverts les canaux diplomatiques avec les États arctiques occidentaux.

Pékin est consciente des énormes difficultés liées au développement de l’Arctique, avec 80 % des ressources sous le contrôle exclusif des nations circumpolaires. Cependant, la crise des relations russo-occidentales offre à la Chine une opportunité sans précédent pour consolider son influence dans la région.

Scénarios futurs : vers un axe sino-russe dans l’Arctique ?

Deux scénarios semblent plausibles. Si les tensions entre la Russie et l’Occident persistent, la coopération sino-russe dans l’Arctique s’intensifiera davantage, avec Pékin prête à exploiter l’isolement croissant de Moscou. À l’inverse, une éventuelle détente, comme un accord de paix en Ukraine, pourrait rouvrir les portes aux entreprises occidentales dans les projets arctiques russes, réduisant ainsi le rôle chinois.

Dans les deux cas, la Chine vise à se positionner comme leader dans le développement de l’Arctique. Avec de nouvelles routes en phase d’ouverture et une expansion de ses capacités technologiques – y compris des sous-marins pour les explorations marines et de nouveaux brise-glaces – Pékin est prête à tirer parti des opportunités offertes par une région de plus en plus stratégique pour les équilibres mondiaux.

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En conclusion, l’Arctique représente pour la Chine une frontière géopolitique et commerciale cruciale. Tandis que les puissances occidentales restent divisées et limitées dans leur capacité d’intervention, Pékin avance avec une stratégie pragmatique et multiforme, capable d’intégrer coopération, diplomatie et investissements. L’Arctique, autrefois modèle de coopération entre États circumpolaires, pourrait se transformer en un théâtre de compétition entre puissances mondiales, avec la Chine de plus en plus au centre du scénario.

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