ANALYSE – Renseignement/Terrorisme : Les suites de la chute de Bachar el-Assad

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Chute de Bachar el-Assad
Capture d’écran AP/CNN

Par Alain Rodier

Après la joie ressentie après de l’effondrement du régime du clan Assad, les populations vont être confrontées dans les mois qui vont suivre à la même misère qu’auparavant, un Syrien sur deux ne mangeant pas à sa faim, les soins médicaux de base étant défaillants, etc. Il est d’ailleurs douteux que malgré les injonctions d’al-Joulani, l’émir du Hayat Tahrir al Sham (HTS), les réfugiés syriens à l’étranger ne reviennent en masse car, tout simplement, le pays n’a pas les moyens de les accueillir…

Toutefois, quelques pays voisins vont aussi pousser au mouvement, principalement la Turquie et la Jordanie. Dans la zone que la Turquie contrôle déjà le long de la frontière syrienne, des camps de réfugiés vont venir renforcer ceux qui existent déjà car Ankara a une longue pratique de cette aide patronnée par le Croissant Rouge. Les pays occidentaux vont être priés de mettre la main à la poche car il est préférable que la misère soit entretenue sur un autre territoire qu’à domicile. Certains pays arabo-musulmans devraient aussi contribuer financièrement à cette aide humanitaire, surtout pour soigner l’image de marque de leurs dirigeants. Eux aussi ont une longue expérience avec les réfugiés palestiniens, cas qui devrait servir de « modèle » aux Syriens.

Mais la problématique va être énorme car, pour l’instant, le pays est éclaté en zones d’influences sans que leurs limites ne soient encore ni stabilisées ni définies. La Syrie est en voie de « libyanisation » sauf que ce pays est globalement partagé en deux alors que pour la Syrie, elle pourrait être encore plus morcelée.

Face à cette nouvelle zone d’instabilité ingérable, l’intérêt des pays européens consiste à tenter d’aider les nouvelles autorités – qui ne sont pas encore bien définies – à répondre aux besoins matériels des expatriés qui souhaitent rentrer au pays.

Dans un premier temps, il va falloir éclaircir la situation.

Chute de Bachar el-Assad

L’ISW a édité une carte au 12 décembre qui donne des indications intéressantes sur l’évolution des choses.

Il convient de remarquer est qu’environ la moitié de la superficie du pays n’est tenue par aucun mouvement particulier. Une chanson de la Légion étrangère s’intitule : « la rue appartient à celui qui y descend ». Elle peut se traduire ici par « le terrain – souvent désertique – appartient au groupe armé qui y séjourne ». Quand ce ne sont pas des locaux, ce « séjour » peut être éphémère. Quant aux locaux, ce sont les chefs tribaux ou/et religieux qui politiquement peuvent changer d’étiquette – et d’alliances – à tout moment.

C’est aussi dans ces zones que Daech est toujours présent puisque plus personne ne les combat directement si l’on excepte les raids aériens des Américains.

Second point important, le HTS et ses alliés tiennent la partie vive de la Syrie allant de son fief d’Idlib à Alep (où les Kurdes des FDS ont été priés de partir), Homs et jusqu’à Damas (les premiers à avoir mis le pied dans la capitale sont les rebelles du sud (Deraa) affiliés à l’ex-ASL (Armée syrienne libre).

Les activistes du HTS ont vu leurs rangs grossir avec des ralliements intervenant lors de leur progression. Cela a permis de décrocher des tribus arabes des Forces démocratiques syriennes (FDS), ces dernières repoussant leurs ex-alliés de cette « construction américaine » de Deir ez-Zor et d’al-Boukamal à la frontière irakienne.

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Il reste la région côtière entre Latakieh et Tartous, l’ancien fief du clan Assad peuplé majoritairement d’Alaouites. La suite n’est pas encore connue mais, il est possible que ce qui reste des partisans de Bachar el-Assad n’opposent pas de résistance à l’avancée des forces du HTS. Les plus grandes craintes pèsent sur le sort de ces populations alaouite – assimilées aux Chiites – et surtout pour ses responsables…

Une autre zone d’importance est le Rojava (le Kurdistan syrien) de plus en plus cantonné à l’est de l’Euphrate. En effet, les Kurdes d’Alep et de Manbij ont été repoussés vers l’est par l’Armée nationale syrienne (ANS), le conglomérat de milices pro-turcs.

Quelques centaines de militaires américains sont encore présents sur zone mais l’arrivée de Donald Trump pourrait changer la donne.

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Et l’ANS qui représente les intérêts d’Ankara contrôle désormais le nord de la province d’Idlib et d’Alep jusqu’à la frontière turque. Les autorités turques ont déjà créé une zone tampon à l’est de l’Euphrate entre Tal Abyad et l’ouest de a région de Qamishli. Il est vraisemblable que l’ANS va tenter d’occuper cette zone de Jarabulus à la frontière irakienne. L’objectif fixé par le président Recep Tayyip Erdoğan il y a des années de contrôler toute le frontière sud de la Turquie avec la Syrie sera alors atteints. Le PYD n’aura plus qu’une portion congrue avec les pro-Turcs à son nord et les pro- HTS à son sud. Sa seule liaison avec l’extérieur sera le Kurdistan irakien à l’est.

Chute de Bachar el-Assad

Au sud du pays, profitant de la situation délétère dans laquelle se trouvait le pouvoir, des rebelles (dont de nombreux Druzes) se sont organisé en une « salle d’opération sud » (SOR) qui s’est emparée de villages dans la région poussant jusqu’à la frontière israélienne sur le Golan. Le seul point de passage de Qouneitra a été évacué par l’armée syrienne et occupé par les rebelles. Ensuite, Les forces du SOR sont montées sur Damas (qu’elles auraient été les premières à pénétrer).

Chute de Bachar el-Assad

Mais même ces rebelles dont le positionnement politique est mal connu ne paraissent s’être réunis que sous l’effet des circonstances. Des villages druzes qui craignent les salafistes du HTS ont même demandé à Israël d’annexer leur région pour vivre en sécurité.

Chute de Bachar el-Assad

Enfin, des forces rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) implantées dans  la région d’Al-Tanf à la frontière syro-jordano-irakienne (formées par les Américains) se sont également lancées dans la curée en poussant vers le nord-ouest puis vers Damas où elles auraient été les secondes à entrer (après les SOR citées plus avant).

Les forces des SOR et de l’ASL auraient ensuite été rejointes dans la capitale par celles des HTS et de l’ANS. Après les effusions de joie, la coexistence va être délicate à gérer.

Les États-Unis, comme beaucoup d’autres pays, sont satisfaits de la chute d’Assad condamné unanimement sur la scène occidentale. Mais ils sont certainement inquiets de la suite des évènements. Pour eux, une solution « à la libyenne » peut leur convenir tant qu’elle ne déborde pas. Leur adversaire principal reste le groupe État islamique (EI) dont des cellules sont toujours présentes dans le centre et l’est de la Syrie. À cette fin, l’aviation américaine a conduit des frappes aériennes contre l’EI le 8 décembre. Des bombardiers B-52 Stratofortress, des F-15E Strike Eagle et des A-10 Thunderbolt II ont lancé des dizaines de frappes aériennes contre des dirigeants, des activistes et des camps de Daech dans le centre de la Syrie. Le commandement central américain (CENTCOM) a précisé que les appareils ont largué environ 140 munitions sur plus de 75 cibles repérées. Ces frappes surviennent alors que les États-Unis tentent d’empêcher les militants de l’EI d’exploiter la situation actuellement chaotique en Syrie.

La Russie vient encore de subir un revers. Elle va perdre son point d’appui en Méditerranée orientale mais ce n’est plus une zone qui semble l’intéresser depuis la rupture avec l’Occident. Elle s’est tournée vers le Caucase, l’Asie centrale, la Chine et l’Arctique. Mais elle perd aussi une escale vitale vers le continent africain où elle a déployé de nombreux « mercenaires »…

L’Iran est le grand perdant de l’affaire. Depuis la mort du général Qassem Soleimani en janvier 2020 en tant que chef de la force Al-Qods des pasdarans qui charpentait les milices chiites au Proche-Orient, la situation s’est dégradée progressivement car aucun remplaçant à la hauteur n’a pu le remplacer. Le régime des mollahs englué dans une situation intérieure difficile vient de perdre son accès direct au Liban via la Syrie. Le Hezbollah va s’en trouver fort démuni surtout pour ses approvisionnements en missiles et autres drones. Ni le Hamas, ni le Jihad islamique palestinien (dont la direction a fui Damas où elle était implantée), ni le Hezbollah ne représentent désormais une menace existentielle pour l’État hébreu qui a occupé l’ensemble du plateau du Golan et a poussé au nord jusqu’à une trentaine de kilomètres de Damas. La sécurité de sa frontière va cependant devoir être renforcée car il ne faut pas qu’un « 7 octobre 2023 » se renouvèle depuis le territoire syrien.

Ce n’est pas mieux pour l’Irak qui est concentré sur ses propres problèmes et ne souhaite pas s’engager dans une aventure extérieure.

Les Houthis du Yémen doivent se poser des questions sur la poursuite de leurs actions en bordure des côtes yéménites. Servent-elles encore à quelque-chose ?

Le grand gagnant est la Turquie qui va parvenir à ses fins : neutraliser la frontière syrienne (pour l’Irak, la Turquie déjà présente en permanence sur place verra plus tard). L’armée turque est techniquement tout à fait capable de s’emparer des installations portuaires de Tartous et de la base aérienne de Khmeimim (à quelques 150 kilomètres de la frontière turque) pour en faire des « postes avancés ». Il suffit que l’ordre en soit donné et, à la différence des Russes en Ukraine, elle sera bien accueillie par les rebelles – du moins au départ -.

Et le risque terroriste ?

Pour le moment, toutes les factions sont concentrées sur la Syrie tentant de gagner un maximum de terrain et d’influence. Il n’est pas question d’exporter la violence à l’étranger et particulièrement en Europe qui est vue comme la « vache à lait » pour l’avenir – en dehors de Daech mais qui a d’autres soucis à l’heure présente -.

Par contre, les expatriés syriens et les partisans du jihad international peuvent être tentés de passer à l’action en soutien à tel ou tel mouvement. C’est ce que l’on qualifie de terrorisme endogène.

Mais la question que se posent nombre d’experts : est-ce qu’Al-Qaida n’est pas en train de revenir discrètement sur le devant de la scène via al-Joulani qui peut très bien avoir joué à fond l’art de la dissimulation, la Taqiya ? Pour le moment, la réponse est non car si Al-Qaida souhaitait vraiment (et en avait les moyens) de frapper en dehors de ses zones d’influence (Afghanistan, Pakistan, Yémen, Philippines, etc.), il l’aurait déjà fait.

À lire aussi : Le Sommet d’Astana : Opération de la dernière chance pour la Syrie 


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