ANALYSE – Syrie, gaz et géopolitique : Le rêve du gazoduc qui pourrait redessiner le Moyen-Orient

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Gazoduc Syrie
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Parmi les nombreuses raisons qui ont poussé Vladimir Poutine et l’Iran à soutenir le régime de Bachar al-Assad pendant la guerre civile syrienne, l’une des moins discutées mais des plus stratégiquement pertinentes est la question énergétique. L’intérêt de Moscou à préserver le pouvoir d’Assad ne se limitait pas à l’alliance géopolitique traditionnelle avec Damas ou à la possibilité de projeter sa puissance dans la Méditerranée via les bases militaires syriennes. Une question cruciale demeure celle du gaz naturel et du contrôle des routes d’approvisionnement énergétique vers l’Europe.

Le gazoduc qui n’a jamais vu le jour

L’un des scénarios qui terrifiait le Kremlin, et qui a joué un rôle significatif dans la guerre civile syrienne, était la possibilité que le gaz naturel provenant du Qatar, ou le pétrole et le gaz des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, puissent atteindre l’Europe via un gazoduc passant par la Syrie. Cette route aurait été non seulement économiquement plus avantageuse, mais aurait offert à l’Europe une alternative concrète à sa dépendance au gaz russe fourni par Gazprom et les gazoducs Nord Stream.

Du point de vue de Poutine, garantir la dépendance énergétique de l’Europe à l’égard de la Russie a été pendant des années l’un des principaux objectifs de sa politique étrangère. La Syrie d’Assad, dans ce contexte, représentait une barrière fondamentale contre la construction de telles infrastructures énergétiques. Ce n’est pas un hasard si le régime de Damas a refusé en 2009 un projet de gazoduc soutenu par le Qatar qui aurait traversé la Syrie pour se connecter au réseau turc et, de là, à l’Europe. Une décision qui a conduit le petit mais riche émirat à soutenir les forces rebelles contre Assad pendant la guerre civile.

Un Moyen-Orient déstabilisé mais crucial pour l’énergie

Avec la chute du régime d’Assad, une possibilité de plus en plus concrète, la question énergétique reviendra au centre de la scène. La stabilisation de la Syrie (un objectif encore lointain) pourrait permettre la construction de gazoducs traversant le pays et se connectant au réseau turc, garantissant à l’Europe de nouvelles sources d’approvisionnement. Une perspective qui intéresse non seulement le Qatar, mais aussi l’Arabie saoudite et les Émirats, désireux de diversifier leurs exportations énergétiques et de réduire leur dépendance aux routes maritimes vulnérables du Golfe persique.

Dans ce cadre, la Turquie joue un rôle clé. Ankara a un double intérêt à voir Assad destitué : accéder directement aux ressources énergétiques du Moyen-Orient et percevoir des taxes de transit lucratives provenant du passage des gazoducs sur son territoire. Ce projet, en plus de renforcer la position économique de la Turquie, consoliderait encore davantage son rôle de hub énergétique entre le Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie.

Le rôle des États-Unis et l’alternative du GNL

Les États-Unis ne sont pas des spectateurs passifs dans cette partie. Washington, depuis longtemps, promeut l’exportation de son gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe, une option toutefois nettement plus coûteuse que celle des gazoducs du Moyen-Orient. Le contrôle de la Syrie et la gestion des routes énergétiques qui pourraient en découler représentent, pour les États-Unis, un double enjeu : contenir l’influence russe dans le secteur énergétique et maintenir l’Europe dans une position de dépendance contrôlée par les alliés occidentaux.

Les détails techniques du « rêve du gazoduc » à travers la Syrie

L’idée d’un gazoduc traversant la Syrie s’inscrit dans un réseau complexe de projets et d’intérêts énergétiques liés aux ressources naturelles du Moyen-Orient.

1. Les principales options de gazoduc

Deux projets ont dominé le débat géopolitique concernant la Syrie ces dernières années :

            •          Le « Gazoduc Qatar-Turquie » (proposé par le Qatar)

Ce projet visait à transporter le gaz naturel du champ North Field (que le Qatar partage avec l’Iran) à travers l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie et enfin la Turquie, pour atteindre l’Europe. Le gazoduc aurait été long d’environ 5 000 kilomètres. Cette route aurait permis d’éviter les coûts élevés du transport de GNL et les vulnérabilités du détroit d’Hormuz.

            •          Le « Gazoduc Iran-Irak-Syrie » (proposé par l’Iran)

Aussi appelé « Islamic Gas Pipeline », il aurait connecté les champs de gaz iraniens de South Pars (également partagés avec le Qatar) via l’Irak et la Syrie, se terminant dans les ports syriens de la Méditerranée. De là, le gaz aurait été transporté en Europe par navire ou via des connexions avec le réseau turc. Ce projet aurait mesuré environ 1 500 kilomètres.

2. Les défis techniques

Un gazoduc traversant la Syrie pose plusieurs défis :

            •          Terrain et climat

La Syrie présente un mélange de terrains montagneux (surtout à la frontière turque) et désertiques, rendant la pose de conduites complexe. Le projet nécessiterait des technologies avancées pour surmonter ces obstacles naturels.

            •          Sécurité des infrastructures

Après des années de guerre civile, le territoire syrien est jonché de mines, d’infrastructures détruites et de zones instables. Tout projet nécessiterait des investissements massifs pour garantir la sécurité des opérations.

            •          Capacité de transport

Les deux projets proposés auraient une capacité estimée entre 30 et 40 milliards de mètres cubes de gaz par an, soit une part significative de la demande européenne, qui était d’environ 400 milliards de mètres cubes en 2022.

L’impact géopolitique du gazoduc

Un gazoduc à travers la Syrie aurait des répercussions énormes :

            •          Il réduirait la dépendance européenne au gaz russe.

            •          Il alimenterait une compétition entre le Qatar et l’Iran.

            •          Il renforcerait le rôle stratégique de la Turquie en tant que plaque tournante énergétique.

            •          Il ferait face à une opposition américaine, car cela menacerait leur domination sur les exportations de GNL.

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Le gazoduc syrien reste un « rêve » improbable à court terme, mais il pourrait, à moyen et long terme, redessiner les équilibres énergétiques mondiaux. Toutefois, l’Europe doit se concentrer sur les énergies renouvelables et réduire sa dépendance aux sources instables, en intégrant également des solutions nucléaires.

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