TRIBUNE – La chute de la maison chiite

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Chute de Bachar Al-Assad
Montage Le Lab Le Diplo

Tribune de Julien Aubert

La chute de Bachar Al-Assad est un rude coup à l’alliance dont l’Iran est le pivot et qui se compose de la Syrie et du Hezbollah. Elle met en relief la faiblesse du réseau d’alliances qu’a voulu conclure l’Iran pour constituer « l’axe de résistance » contre Israël, une sémantique apparue dans les années 2000. 

Le cœur de la stratégie de Téhéran était de devenir le parrain de la communauté chiite, un réflexe identitaire et religieux qui assurait une cohérence culturelle et politique. 

L’Iran est cependant le seul pays où nation et chiisme se recoupe nettement. La Syrie est sunnite mais au plan religieux, Al-Assad appartient à la minorité alaouite, une secte chiite qui minimise l’importance de Mahomet. Le Hezbollah, crée en 1982, est de confession chiite, son principal mécène est Téhéran mais le Liban est à 40% chrétien et 30% sunnite. Quant à l’Irak, les chiites sont légèrement majoritaires (55%). 

Téhéran a utilisé la « solidarité chiite » pour tisser des liens dans tout le Moyen-Orient – et même au-delà puisqu’il a soutenu les Hazaras d’Afghanistan et les Houthis du Yémen. 

Cette stratégie d’alliance des minoritaires dans un Orient dominé par les sunnites a eu pour principal défaut de cliver les sociétés des pays considérés en dressant les sunnites contre les chiites. 

C’est en Irak, que l’Iran a maturé le cœur de sa stratégie et que les premières limites sont apparues. Rival géopolitique de l’Irak, l’Iran a surfé sur la guerre d’Irak de 2003 pour y implanter ses relais, aidant discrètement les Américains. En 2006, l’Irak est gouverné par le chiite Nouri Al-Maliki qui s’empresse de nouer des liens avec le parrain iranien et qui réprime les sunnites. À partir de 2007, l’Iran a mis fin au condominium de fait qu’elle avait avec Washington en Irak : les groupes chiites affiliés à Téhéran attaquèrent les troupes américaines. 

Cette stratégie a cependant suscité l’émergence de l’État Islamique en Irak, obligeant l’Iran à coopérer sans le dire avec Washington et à se rapprocher de Moscou. Les troupes chiites ont été ensuite intégrées en 2016 à l’armée régulière irakienne, puis utilisées pour sauver Bachar, lui aussi menacé par des forces islamistes. 

Une fois l’EI vaincue, l’Iran ne semble avoir vu que les avantages de sa stratégie. En effet, le cœur de son alliance était redoutablement soudée du fait de complémentarités d’intérêt entre les alaouites syriens, le Hezbollah libanais et l’Iran. 

La Syrie est en effet essentielle pour le Hezbollah car c’est par ce pays que transitent les armes envoyées par l’Iran. Le Hezbollah avait su de son côté se rendre utile au régime syrien, en s’engageant pour sa protection. Il avait notamment permis en mai – juin 2013 de conserver la maitrise du point névralgique de la ville de Qousseir. Cette ville contrôle la route entre Homs et la plaine du Bekaa, le cœur du Hezbollah, et où vivent des dizaines de milliers de chiites. Les rebelles de l’Armée syrienne libre, principale force armée opposée au régime de Bachar el-Assad, avaient ainsi affronté l’armée syrienne et plusieurs milliers de combattants du Hezbollah. Néanmoins, en défendant Assad, Nasrallah avait été critiqué dans le monde arabe. 

La Syrie est aussi importante pour l’Iran comme contrepoids au régime israélien, le plateau du Golan étant une zone disputée depuis la guerre des six jours. Le régime syrien a en sens inverse besoin de l’Iran car la guerre civile a saigné la population alaouite et Téhéran a œuvré pour sa la protection du régime, formant une milice religieuse Chiite-Alawite, dite du Hachd al-Chaabi, destinée à protéger Assad et financé par la rente du pétrole irakien. 

Là où l’Iran s’est perdu dans son écheveau d’alliances, c’est en considérant que le risque jihadiste sunnite était évanescent et que la priorité était la destruction du « régime sioniste ». Tout à cœur de bâtir une coalition capable de défier le monde occidental, l’Iran a donc complété sa stratégie chiite d’un réseau plus nébuleux d’alliances. 

Elle a su s’ouvrir à des mouvements sunnites en utilisant le conflit israélo-palestinien comme moteur. C’est ainsi que le Hamas sunnite est devenu un allié de fait. L’opération s’est faite en deux étapes. La première a débuté en 2007, date à laquelle il a mis la main sur la bande de Gaza. Le Qatar puis la Turquie ont tenté de concurrencer l’influence Iranienne, jusqu’à ce que le conflit syrien éloigne le Hamas de l’Iran, le mouvement rebelle choisissant de défendre le peuple syrien et allant même jusqu’à combattre le Hezbollah. Lorsqu’en 2017, le conflit syrien s’est imposé et que le Hamas a changé de chef, l’Iran est redevenu le grand parrain. Plus de 230 millions d’euros auraient été versés par l’Iran au Hamas depuis 2014 (source : The Times). L’Iran apporte aussi au Hamas une aide militaire, avec la livraison d’équipements et de grandes quantités d’armes – notamment les roquettes, drones et parapentes motorisés qui ont été utilisés lors du massacre du 7 octobre.

En plus du Hamas, l’Iran a continué à travailler avec la Russie de Poutine, membre comme elle du club des sanctionnés et qui partageait initialement son désir d’enrayer le djihadisme sunnite qu’ils estimaient nourri par Washington. La gestion en commun de la crise syrienne (2015) avait initié une concertation. Des accords de coopération ont scellé ce rapprochement stratégique, couplé avec une intensification des échanges économiques autour de la Caspienne ou de partenariats technologiques (nucléaire).

Ce second cercle d’alliés n’avait cependant ni la cohérence ni la solidité du premier cercle et ses tumultes ont fini par déstabiliser l’ensemble. 

La guerre en Israël, provoquée par le Hamas, a provoqué une onde de choc qui est en passe de détruire tout ce que l’Iran avait patiemment constitué. Non seulement le Hamas a été en partie démantelé, mais le Hezbollah a été décapité, privant la Syrie d’un allié utile. Les dominos se sont alors mis à basculer dans le mauvais sens jusqu’à titiller le dos de Poutine. 

Partenaire des monarchies pétrolières du Golfe, Moscou aimait l’Iran quand elle ouvrait un second front détournant les Américains de l’Ukraine mais ne voulait pas d’un nouveau conflit régional sur les bras, d’autant que la guerre en Ukraine a peu à peu détourné la Russie de la Syrie.

Ceci a redonné de la liberté à la Turquie, qui avait contribué à stabiliser la Syrie, mais qui avait dû s’asseoir sur sa volonté de changer le régime de Damas, soutenu par Téhéran et Moscou. Trump lui-même avait tenu tête à la CIA car sa priorité n’était pas de renverser Assad mais, d’après Julien Assange, d’éradiquer l’EI. 

La perspective du retour de Trump aurait précipité les plans de renversement d’Assad : la Russie est occupée ailleurs et concentrée sur son objectif d’occuper un maximum de territoire avant le 20 novembre (date de l’investiture de Trump), la CIA rêvait de renverser Assad mais savait que Trump l’en empêcherait, et Erdogan était prêt à mouiller la chemise. En effet, Ankara avait un problème de communication avec Damas qui refusait de reprendre les millions de réfugiés syriens sur son sol. 

C’est ainsi que le régime autoritaire syrien a perdu ses deux béquilles, la Russie puis le Hezbollah.  Lorsque l’Iran s’est retrouvé confrontée à une montée des tensions et sous le coup des menaces israéliennes, ces alliances plus fragiles se sont écroulées, déstabilisant Téhéran, incapable de venir en aide à Bachar. 

Alors que le trio Syrie / Iran / Russie avait étouffé l’EI, c’est un néo-djihadisme qui renaît désormais, non pas en Irak mais en Syrie. 

Au bilan, le cœur de la stratégie iranienne s’est effondré comme un château de cartes, et Téhéran se trouve encore plus dépendante de Moscou. 

À lire aussi : Grand entretien exclusif pour Le Diplomate avec Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la Direction générale de la sécurité extérieur (DGSE)


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