Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
« La patience doit être un des premiers principes de l’art de négocier » (Talleyrand). Patience peu conciliable avec la quête d’immédiateté des temps modernes. La conférence sur le changement climatique (COP29) réunie à Bakou (11 au 23 novembre 2024) s’inscrit dans une longue lignée de conférences des Parties organisées par l’Organisation des Nations unies. Elles se concluent régulièrement sur des résultats mitigés. Ce n’est pas une mince affaire de concilier des objectifs contradictoires entre 190 États : prévenir un désastre climatique tout en protégeant le modèle économique existant. La COP21 de Paris en 2015 fait figure d’exception. Elle réussit à concilier l’inconciliable. C’est du moins le narratif (récit en français) que nous impose l’équipe de François Hollande mobilisée durant des semaines. Mais, en matière de négociation diplomatique, les faits sont têtus ! Une décennie plus tard, le quasi-échec de la COP 29, qui se tient sous la férule de l’autocrate azéri Ilham Aliev, démontre la fragilité de l’édifice construit à Paris. Le triomphe de l’ambiguïté constructive d’hier ne parvient pas à masquer la revanche de la clarté destructrice d’aujourd’hui.
COP21 DE PARIS : LE TRIOMPHE DE L’AMBIGUÏTÉ CONSTRUCTIVE
Que n’a-t-on entendu de la bouche du Ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius après la conclusion de l’accord de Paris de décembre 2015 ? L’homme, qui préside aux destinées de la COP21, n’a pas de mots assez élogieux pour qualifier le succès inespéré qu’il vient de remporter[1]. Le plus jeune Premier ministre de la France parvient à venir à bout des résistances de tous les empêcheurs de négocier en rond. Et, ils sont aussi nombreux au Nord (qui veulent éviter de se lier les mains par des accords trop contraignants) qu’au Sud (qui veulent toucher les dividendes de la lutte pour le climat en espèces sonnantes et trébuchantes). Laurent Fabius imagine des formules ménageant tous les intérêts, toutes les susceptibilités, faisant appel à la théorie de l’ambiguïté constructive (trouver un consensus sur des mots susceptibles de signification différente). Mais qu’en est-il du contenu de l’accord, seul étalon de référence du succès ou de l’échec de la COP21 ? Alors que les optimistes se paient de mots pour soigner les maux de la planète, les réalistes se montrent plus circonspects sur la prouesse diplomatique de l’actuel président du Conseil constitutionnel. Ces derniers ont l’outrecuidance de mettre en avant un certain nombre de points qui posent problème. Et ils ne sont pas anodins pour les vieux routiers des négociations onusiennes. Caractère peu contraignant, voire vague des engagements souscrits par les États (le fameux 1,5°C pour limiter les gaz à effet de serre ou GES) ; absence de dispositif de vérification, de sanctions contre les violeurs avérés ; traitement impressionniste de la question des financements[2]. Résultat : comme par enchantement, les mêmes questions lancinantes reviennent en boomerang à la figure des négociateurs de la conférence de Bakou.
COP29 DE BAKOU : LA REVANCHE DE LA CLARTÉ DESTRUCTRICE
Que n’a-ton entendu de la bouche des climato-béats à la veille de Bakou ? La réunion de la dernière chance, la conférence du sursaut et autres discours melliflus de bons samaritains. Il est vrai que les conférences qui se succèdent depuis celle de Paris sont des échecs, ne parvenant pas à s’accorder sur les conditions pratiques de mise en œuvre des engagements souscrits en 2015. Pourquoi ? Elles ont pour objectif de résoudre la quadrature du cercle. Traduire en formules concrètes et claires les engagements flous de Paris. La diplomatie multilatérale ne fait pas de miracles lorsque les approches des différentes parties sont opposées. Les faits sont têtus. Faute de traiter de la substance, les négociateurs s’écharpent sur des questions mineures. Exercice favori des diplomates dans le système de Nations unies pour masquer leur incapacité à règle des questions de fond[3]. À Bakou, ils parviennent in extremis à surmonter les divergences entre pays du Sud, Occidentaux et Chine, sur la question sensible de l’augmentation de la « finance climatique »[4]. Mais à quel prix (300 milliards de dollars par an sur les 1000 milliards escomptés jusqu’en 2035 !) ? Celui des promesses non contraignantes qui n’engagent que ceux qui les reçoivent[5]. Sur les GES, la situation est grave, les États ne parvenant pas à confirmer l’engagement souscrit à la COP28 de Dubaï en 2023. Qui plus est, le lobby des ONG (« Climate Action Network » fédérant 1900 associations de 130 pays) fait pâle figure pour contrer l’action discrète mais ô combien efficace des groupes de pression climato-sceptiques et autres porte-paroles des grands groupes pétroliers et gaziers. « Les COP sont devenues des machines à négocier dans le vide » (Brice Lalonde)[6]. Le résultat est là : « accord décevant, sans ambition ». Un exemple d’accord en trompe-l’œil tant le réel ne pardonne pas aux marchands d’illusions. Tout le processus de ces rituelles conférences annuelles est à revoir tant dans sa périodicité que dans son approche de la problématique du changement climatique. La machine est à bout de souffle.
BONS BAISERS DE BAKOU
« L’art de la diplomatie consiste à réussir à trouver un accord qui produira les meilleurs résultats ». Acquiesçons à ce jugement de Madeleine Albright sous une réserve de taille. Que l’environnement international soit propice. En 2024 le compte n’y est pas. Sur un plan général, le monde est fracturé avec deux conflits, des oppositions est-ouest, nord-sud et marqué par une crise de confiance. Sur le plan particulier de la défense de l’environnement, jamais le dissensus n’a été aussi important entre les principaux acteurs du concert des Nations. L’élection de Donald Trump risque de ne pas résorber ces fractures béantes[7]. La dernière conférence sur la biodiversité de Cali (21 octobre-1er novembre 2024) se termine sur un constat d’échec. Quant au président de la COP29 – l’homme qui vient de commettre crimes de guerre et contre l’humanité à l’encontre des populations arméniennes du Haut-Karabakh – ses propos introductifs auraient pu être tenus par les opposants aux thèses défendues lors des COP. Tout ceci n’augure rien de bon pour la suite. Outre, la chronique d’un échec annoncé, la Conférence de Bakou marquera la fin des illusions perdues
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[1] Laurent Fabius, Rouge carbone, éditions de l’Observatoire, 2020.
[2] Guillaume Berlat, COP21 : les détails du diable, www.prochetmoyenorient.ch , 25 décembre 2015.
[3] J.-L. P., Une COP déjà carbonisée, Le Canard enchaîné, 20 novembre 2024, p. 8.
[4] Mathieu Goar, Les Européens en première ligne à la COP29, Le Monde, 22 novembre 2024, p. 14.
[5] Mickaël Correia, La COP29 douche les espoirs de justice climatique pour les pays du Sud, www.mediapart.fr , 24 novembre 2024.
[6] Géraldine Woessner, Brice Lalonde : « Les COP sont devenues des machines à négocier dans le vide », www.lepoint.fr , 23 novembre 2024.
[7] Matthieu Goar, Face à l’élection de Donald Trump, la COP29 entre déni et espoir, Le Monde, 21 novembre 2024, p. 6.
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