La chute de Bachar el Assad et l’effarante stupidité française

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Chute de Bachar el-Assad
Capture d’écran JT 20 Heures France 2 du 14 juillet 2008, Archives INA/ https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/2008-bachar-el-assad-au-14-juillet-syrie-france

Par François Martin    

Article à paraître également dans la revue Le Nouveau conservateur, n°17, janvier 2025

Si la chute de Bachar el Assad n’est qu’un épisode de plus dans une cruelle guerre relancée et encore très loin de son terme, les commentaires occidentaux et notamment français montrent une effarante méconnaissance de la géopolitique, et aussi du Moyen-Orient. Il y a toutes les chances que nous nous en mordions bientôt les doigts.

La rapide attaque du groupe djihadiste syrien Hayat Tahrir al-Sham (HTS), menée avec audace depuis Idlib sur Alep, jusqu’à la prise de Damas et la chute du régime de Bachar el-Assad en quelques jours, a plusieurs causes :

  • Une opportunité, attendue et préparée de longue date, offerte par plusieurs facteurs qui aujourd’hui se conjuguent :
    • L’affaiblissement, momentané ou non, de « l’arc chiite » composé par l’Iran d’un côté et le Hezbollah libanais de l’autre, tous deux très engagés dans le théâtre principal de leur guerre contre Israël
    • L’absence et/ou le désintérêt possible de la Russie, occupée elle aussi, prioritairement, par la fin de son opération en Ukraine,
    • Une perte de légitimité de Bachar vis-à-vis de son propre peuple
  • Une ambition, celle de la Turquie, qui rêve d’élargir son influence vers le sud et de reconstituer progressivement son ancien empire ottoman
  • Une nécessité, celle d’Israël, de desserrer la « mâchoire » fabriquée par l’Iran, celle du quadruple conflit incluant le Hamas, le Hezbollah, le Yémen et l’Iran lui-même
  • Enfin une stratégie, celle de l’État profond démocrate américain, qui cherche, dans cette période qui précède de peu l’arrivée de Trump au pouvoir, à allumer tous les brasiers possibles sur la planète, de façon à lui « savonner la planche » et à rendre l’œuvre de pacification à laquelle il s’est engagé la plus difficile et la plus problématique possible.

Bachar n’était peut-être pas un enfant de chœur, mais certainement pas non plus le pire des « dictateurs sanguinaires » que nos médias et intellectuels aimaient tant dénoncer, alors même que nos propres régimes condamnent aisément les peuples, par leurs décisions ou leurs silences, à des millions de morts. Il avait su résister, en 2011, aux terribles révolutions fomentées par Obama, si poétiquement nommées « printemps arabes ». Avec l’aide décisive des Russes, des Pasdarans iraniens et du Hezbollah, il avait pu sauver son régime alaouite, non pas de la révolte de son peuple, mais des appétits des milices embrigadées par l’occident. Mais sans doute n’a-t-il pas, ensuite, fait suffisamment œuvre de fermeté pour reconstruire son pays, même si c’était très difficile. Bien que religieusement très peu islamiste, très modéré et même laïc, et respectueux des minorités chrétiennes en particulier (10% de la population), il n’avait cessé, après la guerre, de subir pourtant l’opprobre de l’occident, et spécialement celui de la France. Celle-ci suivait en cela, comme un caniche, une obsession américaine : chasser les russes de la Méditerranée orientale, en leur faisant perdre leurs bases aériennes et navales stratégiques de Lattaquié et de Tartous. Car c’est là tout le fond de l’affaire, depuis le début.

La traduction de cette « haine » tenace contre Bachar, pour n’avoir pas accepté son remplacement par les « forces démocratiques » d’Al-Nosra et de leurs complices, si chères au cœur de Laurent Fabius, avait été une pluie de sanctions, qui ont duré jusqu’à présent. Celles-ci ont peu à peu fragilisé, puis pourri et détruit le régime. Aujourd’hui, en chassant Bachar, l’occident est enfin parvenu à ses fins.

Quelle va être la conséquence de cette victoire du « bien » et de la « morale » sur la « dictature » ? Que va-t-il maintenant se passer ?

D’abord, c’est une illusion totale de penser, même s’il fait aujourd’hui « patte de velours » pour ne pas se faire critiquer d’emblée par l’occident, que le vainqueur Al-Jolani, un ancien des monstrueux Al-Qaida et Al-Nosra, ne reviendra pas rapidement au djihad et à la charia. C’est clairement annoncé dans la charte de HTS, même s’il prône, intelligemment et momentanément, une ligne « souple » et « moyennement rigoriste »… Quels imbéciles peuvent croire à cela ? Bientôt, cette coalition hétéroclite volera en éclat, chacun de ces chefs de guerre s’attribuant une parcelle de territoire où il pourra à loisir piller et rançonner « sa » population. Le peuple syrien, qui souffre tant depuis 2011 grâce à nos sanctions, vivra le martyre encore quelques dizaines d’années de plus, comme nous l’avons imposé aux peuples d’Irak, du Soudan, de la RDC ou de Palestine, en toute bonne conscience. Il ne fait aucun doute que parmi de multiples factions, qui se feront dès demain une féroce concurrence, certaines voudront « sortir du lot » avec une doctrine plus rigoriste encore de la charia et du djihad, et seront très tentées de porter la violence sur notre sol, puisque nous avons montré urbi et orbi notre appétence avec le cruel régime de Netanyahu, au lieu de nous en tenir à une prudente et gaullienne réserve. Les choses ont d’ailleurs déjà commencé, avec l’ouverture des prisons qui ont libéré les pires des tueurs…

Ceci est d’autant plus grave que le « dictateur » Bachar, si haï, ne nous en voulait en aucune façon. Si les dignitaires de son régime ont certainement abondamment profité des pénuries causées par les sanctions, s’il n’a pas su se donner une stature internationale, ni se rapprocher de son peuple, ni, plus grave, forger et maintenir un corps d’armée digne de ce nom, cela ne suffisait pas, pour autant, à en faire un ennemi ou un paria, sauf à épouser la stratégie américaine anti-russe, une stratégie qui, à l’instar de celle d’Israël, se satisfait parfaitement du morcellement et du chaos politique et social. Ce chaos, les européens, par l’immigration ou par les attentats, ou le chantage d’Erdogan, en subiront seuls les conséquences.

L’affaire n’est certainement pas finie car la Russie n’a pas dit son dernier mot. Trop impliquée, pour l’instant, dans la fin de sa partie d’échec ukrainienne, elle a simplement sacrifié sa tour à Damas pour ne pas obérer la prise de la reine adverse à Kiev. Mais elle reviendra, pour mieux sécuriser ses bases et restaurer son influence. En attendant, nous paierons cher le prix de notre inconséquence. Et le pire, c’est que suivant, une fois encore, les stratégies américaines, nous avons qualifié le HTS de mouvement « rebelle », mais le Hezbollah de « terroriste », alors que jusqu’ici, ce dernier avait empêché la catastrophe en protégeant Bachar. En somme, nous avons poussé Hitler au pouvoir et choisi le chaos parce que notre allié naturel, Staline, nous semblait trop peu présentable. Quelle effarante stupidité !

Et paradoxalement, l’autre partie qui risque de perdre très gros, à terme, c’est peut-être Israël lui-même. Pour avoir détruit le régime laïc de Bachar, pour avoir largement sacrifié à son goût pour le chaos et à son rêve expansionniste, il risque de voir s’unir un jour contre lui les trois composantes de l’islam : la Turquie, l’Iran et le nouveau pouvoir syrien. « Damas aujourd’hui, Jérusalem demain ! » ont déjà crié les vainqueurs. Pour Tel Aviv, le pas de trop ? 

À lire aussi : La chute Bachar El-Assad : Un sévère coup de massue pour la Russie


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