Par Olivier d’Auzon
Le sommet d’Astana, qui se tiendra le week-end du 7 et 8 décembre 2024, pourrait bien être la dernière chance de trouver une solution politique à la guerre en Syrie. Alors que le pays est plongé dans une nouvelle série d’offensives jihadistes, les discussions entre la Russie, l’Iran et la Turquie s’annoncent cruciales pour tenter de désamorcer la crise.
L’imbroglio syrien
La situation sur le terrain est de plus en plus tendue, avec récemment la prise de Hama par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS), soutenu par la Turquie.
Cette avancée fait suite à la capture d’Alep, où les forces gouvernementales syriennes ont montré une faible résistance, en grande partie à cause du manque de soutien de leurs alliés, la Russie, absorbée par le conflit en Ukraine, et l’Iran, affaibli par ses propres enjeux régionaux et la pression israélienne.
Or avec cette reprise des combats contre le pouvoir d’Assad, la Turquie a mis fin au statu quo qui existait depuis mars 2020 entre les acteurs clés du conflit syrien – la Turquie, la Russie et l’Iran – dans le cadre du “processus d’Astana”, qui avait pour objectif de maintenir les lignes de front en l’état jusqu’à ce qu’une véritable négociation soit entamée. Bien qu’il existe un dialogue officiel entre Ankara et Damas, celui-ci est au point mort depuis plus d’un an, provoquant l’irritation de la Turquie.
En réalité, Bachar el-Assad a été contraint par Vladimir Poutine à engager des discussions avec Recep Tayyip Erdogan dans le but de trouver une issue à la guerre en Syrie, souligne le géographe et auteur de l’ouvrage très remarqué : Les Leçons de la crise syrienne publié en 2024 chez Odile Jacob, Fabrice Balanche, spécialiste des dynamiques syriennes.
Pour autant, Assad refuse d’entamer des pourparlers avec Erdogan tant que les forces turques ne se retirent pas du territoire syrien, ce que ce dernier refuse catégoriquement.
En parallèle, Erdogan a entrepris un rapprochement avec le PKK, dans l’espoir de relancer le processus de paix avec les Kurdes, qui disposent de forces en Syrie. En lançant cette offensive, tout en déniant toute responsabilité, Erdogan réalise un coup stratégique, cherchant à renforcer sa position et à imposer ses conditions tout en exerçant une pression supplémentaire sur Damas.
La Fédéralisation de la Syrie, est-elle incontournable ?
Face à cette situation, de nombreux analystes estiment qu’une solution politique est indispensable pour éviter une escalade supplémentaire. Un modèle souvent évoqué est celui d’une fédéralisation du pays, inspiré d’un projet de constitution proposé par la Russie en 2017. Ce plan, rejeté à l’époque par Damas, repose sur une décentralisation qui pourrait aujourd’hui satisfaire les exigences des différentes parties prenantes, notamment la Turquie et les Kurdes.
Des zones autonomes pourraient être créées dans le nord du pays pour les factions soutenues par Ankara et les forces kurdes, tandis que la région côtière alaouite, bastion du régime, pourrait bénéficier d’un statut spécial.
Pour garantir la stabilité, la Ligue arabe pourrait déployer des forces de maintien de la paix sur les lignes de contact entre l’armée syrienne et les factions soutenues par la Turquie.
La Turquie, en soutenant une nouvelle offensive contre Bachar el-Assad en Syrie, joue un jeu à haut risque. En apportant son soutien à des groupes militants, notamment salafistes, qui ont récemment remporté des victoires importantes contre les forces pro-Assad, Ankara cherche à exercer une pression stratégique sur le régime syrien et à consolider son influence dans la région. Cependant, cette approche pourrait avoir des conséquences imprévues.
Le régime de Bachar el-Assad se retrouve donc dans une position délicate, devant choisir entre des concessions politiques ou risquer une intensification du conflit. D’un côté, le président turc pousse pour une large autonomie pour les factions islamistes qu’il soutient, tout en cherchant à mener des actions conjointes contre les Kurdes, qu’il considère comme des terroristes. De l’autre, Assad refuse, on l’a dit, tout dialogue tant que les troupes turques ne se retirent pas de Syrie.
La Turquie « joue avec le feu »
Comme évoqué plus haut, Erdogan soutient les offensives de HTS, ce qui pourrait permettre à Ankara de renforcer sa position lors des négociations. Mais selon le Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie, la Turquie « joue avec le feu » en soutenant ces groupes. Quant à l’armée syrienne, bien qu’appuyée par l’Iran, elle peine à contenir ces avancées, ce qui expose la vulnérabilité du régime d’Assad, en particulier dans des zones comme on l’a vu à Alep et à Hama.
En soutenant cette nouvelle offensive, la Turquie prend un risque important. Son soutien aux groupes extrémistes pourrait renforcer le chaos dans le pays et rendre la résolution du conflit encore plus difficile. De plus, Ankara s’expose à des tensions avec ses « partenaires » du moment, notamment la Russie et l’Iran, ce qui pourrait entraîner une nouvelle escalade du conflit avec des conséquences à long terme pour la stabilité de la région.
Fabrice Balanche souligne que la stratégie turque comporte de nombreux enjeux : outre la lutte contre l’influence kurde, la Turquie cherche à s’imposer comme un acteur majeur de l’après-guerre en Syrie. Pour autant, son soutien aux factions anti-Assad pourrait déstabiliser davantage la Syrie et compliquer les efforts de paix.
Ainsi, bien que la Turquie puisse chercher à tirer parti de cette situation pour accroître son influence, son soutien aux groupes anti-Assad pourrait déstabiliser davantage la Syrie et compliquer les efforts de paix.
Les enjeux pour la Russie et la région
Pour Moscou, l’enjeu est double : préserver son influence en Syrie, mais aussi dans la région, tout en évitant que le régime d’Assad ne s’effondre, ce qui porterait un coup à sa crédibilité internationale en tant que protecteur. Une solution politique fondée sur une décentralisation pourrait permettre à la Russie de maintenir sa position de puissance médiatrice au Moyen-Orient.
Dans le même temps, la résolution du conflit syrien pourrait également servir de levier dans les négociations avec les États-Unis sur d’autres dossiers, notamment l’Ukraine…
Malgré la pression croissante, Bachar el-Assad pourrait choisir de rejeter une fois encore les concessions demandées, comme il l’a fait par le passé. Mais cette fois, il ne peut plus compter sur un soutien inconditionnel de ses alliés russes et iraniens, déjà affaiblis sur plusieurs fronts.
Et s’il persiste dans son refus, la Russie pourrait réévaluer son soutien au régime….
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