Mandats d’arrêt de la CPI : Entre droit et diplomatie !

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Diplomatie française et droit international
Réalisation LeLab Diplo.

Par Jean Daspry pseudonyme d’un haut fonctionnaire

Docteur en sciences politiques

« Le mieux est le mortel ennemi du bien ». Attribuée à Montesquieu, cette citation signifie qu’à trop rechercher la perfection, on s’éloigne du but initial ou bien que l’on peut contrarier tous ses efforts en voulant les rendre parfaits. Tel est le dilemme auquel est confronté tout diplomate adepte de la Realpolitik quand il doit interpréter ou prendre quelque liberté avec les avis/Diktats des juristes. Retranchés derrière une approche liturgique de la norme, ces derniers estiment impensable l’affaiblissement du dogme. Ce choix cornélien du diplomate ne relève ni de la spéculation intellectuelle ni du cas d’école. Les mandats d’arrêts délivrés par la Cour pénale internationale CPI) à l’encontre du premier ministre israélien, de son ex-ministre de la Défense et du chef de la branche armée du Hamas pour crime de guerre et crime contre l’humanité en sont la preuve. À la certitude des juristes privilégiant le droit par rapport à la paix, opposons le doute des diplomates qui font primer la recherche de la paix par rapport à une interprétation pavlovienne du droit !

LA CERTITUDE DES JURISTES : LE DROIT AVANT LA PAIX

« Ubi societas, ubi jus » (là où il y a une société, il y a du droit). Nourris par la substantifique moëlle de cet adage connu de tous les étudiants en droit, les juristes en font leur miel. Ils considèrent que les relations au sein d’une société (entre êtres humains) et parmi les sociétés (entre États) doivent être régies par le triangle magique : norme/violation/sanction. L’Histoire démontre que, si la norme est nécessaire, elle n’est jamais suffisante pour assurer une bonne gouvernance. Nonobstant cet utile retour sur le passé, les juristes ne sont jamais aussi heureux que lorsqu’ils doivent appliquer une norme internationale. Tel est le cas, aujourd’hui, de la Cour pénale internationale (CPI). Le Statut de Rome prévoyant la création de la Cour pénale internationale est signé le 17 juillet 1998. La Cour, créée le 1er juillet 2002, date à laquelle le Statut de Rome (102 articles) entre en vigueur, est une juridiction permanente chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre[1]. La Cour est compétente pour statuer sur les crimes commis à compter de cette date. Le siège officiel de la Cour est situé à La Haye, aux Pays-Bas, mais les procès peuvent se dérouler en tous lieux. À ce jour, 124 États sur les 193 États membres de l’ONU ont ratifié le Statut de Rome et acceptent l’autorité de la CPI. Trente-deux États supplémentaires, dont la Russie et les États-Unis d’Amérique, ont signé le Statut de Rome mais ne l’ont pas ratifié. Certains, dont la Chine, l’Inde et Israël émettent des critiques au sujet de la Cour et n’ont pas signé le Statut. La question prend un tour nouveau avec le lancement de mandats d’arrêts émis à l’encontre du premier ministre israélien, son ex-ministre de la Défense et le chef de la branche armée du Hamas (il serait mort).

Que se passerait-il si Benjamin Netanyahou se rendait dans l’un des États ayant signé et ratifié le Statut de Rome ? Une majorité de politiques, de professeurs, de juristes, d’avocats, d’ONG, de médias … estiment d’un doute, qu’il devrait être livré à la Cour de La Haye pour être embastillé dans les geôles de cette dernière avant d’être jugé, le moment venu. Pour conforter leur démarche, ils s’appuient sur l’article 1er du Statut ainsi libellé : « Il est créé une Cour pénale internationale (« la Cour ») en tant qu’institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l’égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale, au sens du présent Statut. Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales. Sa compétence et son fonctionnement sont régis par les dispositions du présent Statut »[2]. L’affaire ne ferait pas débat tant les textes sont clairs, sans ambiguïté. Qui plus est la Cour est naturellement indépendante et impartiale dans ses jugements ! Toutes les conditions objectives sont donc remplies pour que les États signataires du Statut de Rome procèdent, le cas échéant, au renvoi à La Haye de Benjamin Netanyahou s’il mettait un seul orteil sur leur sol. Le droit doit primer toutes les considérations géopolitiques et diplomatiques pouvant conduire à adopter une position plus souple. Or, la position de la France « patrie des droits de l’homme » est moins claire qu’il aurait pu paraître à prime abord sur le sujet[3].

Pour être complet sur l’histoire de la CPI, rappelons l’une de ses plus grosses déconvenues. Après plus de sept années passées en détention à La Haye dans l’attente d’une décision des juges (elle lui a été favorable), Laurent Gbagbo est reconnu non coupable de crimes commis entre 2010 et 2011 au cours des violences post-électorales en Côte d’Ivoire. Il arrive à la CPI de faire fausse route, elle qui expliquait que la culpabilité de l’ancien président ivoirien ne faisait aucun doute.

LE DOUTE DES DIPLOMATES : LA PAIX AVANT LE DROIT

« Appuyez-vous sur les principes, ils finiront bien par céder ». Cette boutade attribuée à Talleyrand reste toujours d’actualité. Qu’en est-il de la position de la France sur la mise en œuvre des mandats émis par la CPI ? Alors que les relations entre Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahou sont au plus bas, il ne faisait aucun doute que la patrie autoproclamée des droits de l’homme allait prendre clairement position en faveur de l’interprétation dominante. La France avait répété qu’elle appliquerait ses obligations au titre du droit international mais sans dire clairement si elle irait jusqu’à arrêter Benjamin Netanyahou. Or, la réalité s’avère plus complexe.

Le 27 novembre 2024, le porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères souligne que le premier ministre israélien bénéficie d’une « immunité » qui « devra être prise en considération ». Sa déclaration entraîne de vives condamnations de la gauche, d’ONG militantes dans le domaine des droits de l’homme, d’universitaires experts de la CPI[4]. Leurs critiques (honte, capitulation, mensonge, ignominie …) se résument ainsi : manque de connaissance juridique et faute morale[5].

Pour être comprise – sans pour cela la justifier -, la position française mérite d’être contextualisée pour mieux en apprécier ses tenants et aboutissants[6]. Elle se trouve au croisement de considérations juridiques et diplomatiques. Les premières reposent sur le fait qu’Israël n’est pas partie au statut de la CPI et sur une interprétation de l’article 98 du statut de la Cour intitulé « Coopération en relation avec la renonciation à l’immunité et le consentement à la remise » auquel fait référence le porte-parole du Quai d’Orsay (ce texte « prévoit également qu’un État ne peut être tenu d’agir d’une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne les immunités des États non parties à la CPI »). Les secondes traduisent la volonté du président de la République de voir la France jouer un rôle diplomatique dans la mise en œuvre du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah. L’envoyé spécial français pour le Liban, Jean-Yves Le Drian souligne, le 29 novembre 2024, l’urgence d’élire un président. Prendre position pour la mise en œuvre effective du mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahou aurait conduit à exclure la diplomatie française du processus lancé par l’émissaire de Washington ! Emmanuel Macron fait le choix de la diplomatie contre le droit, de la paix avant le droit. L’Histoire jugera avec le recul du temps du bienfondé ou non de cette approche.

JUSTICE EST FAITE

« Justice extrême est extrême injustice » (Terence). Et c’est bien le cas – quoi que l’on puisse penser de l’actuel Premier ministre israélien et de sa manière d’exercer son droit de légitime défense après les attentats terroristes du 7 octobre 2023 – avec les mandats d’arrêt émis par la CPI. À ce stade, deux remarques peuvent être formulées à propos de la position d’Emmanuel Macron. La première est qu’elle nourrit les critiques du Sud global à l’endroit des doubles standards pratiqués par l’Occident dans la mise en œuvre des principes et valeurs dont il se rengorge (Cf. Russie). La seconde est que l’interprétation du droit international n’est pas une science exacte tant elle peut conduire à dire tout et son contraire comme le souligne Jean Giraudoux (diplomate écrivain) dans La guerre de Troie n’aura pas lieu. À ceux qui pensent que l’application du droit international est automatique, la voie empruntée par la France démontre, s’il en était encore besoin, que l’application du Statut de Rome est souvent le résultat d’un subtil arbitrage entre droit et diplomatie.

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_pénale_internationale .

[2] https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf  

[3][3] Philippe Ricard, Le malaise de Paris face au mandat d’arrêt contre Netanyahou, Le Monde, 27 novembre 2023, p. 3.

[4] Stéphanie Maupas/Philippe Ricard, CPI : la France donne des gages à Netanyahou, Le Monde, 29 novembre 2024, p. 2.

[5] Éditorial, Le droit international et l’opportunisme de la France, Le Monde, 1er – 2 décembre 2024, p. 34.

[6] Armin Arefi, Immunité devant la CPI : les dessous de l’entente entre Macron et Netanyahou, www.lepoint.fr , 28 novembre 2024.

À lire aussi : Mandat d’arrêt de la CPI requis contre Netanyahou : « Une honte historique dont on se souviendra à jamais » pour les autorités israéliennes


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