Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
L’affaire impliquant Nvidia, sous enquête en Chine pour un présumé abus de position dominante, est un exemple paradigmatique de ce que Christian Harbulot définit dans ses travaux sur l’école de guerre économique comme une “bataille stratégique pour la domination technologique”. Il ne s’agit pas d’une simple enquête réglementaire, mais bien d’une pièce dans le puzzle d’un affrontement économique et géopolitique plus vaste entre la Chine et les États-Unis, où la technologie est devenue le principal champ de bataille.
Contexte de l’enquête
L’enquête lancée par les autorités chinoises contre Nvidia concerne l’acquisition de Mellanox Technologies, une entreprise israélienne spécialisée dans la conception d’équipements réseau, réalisée en 2020. L’accusation, selon le communiqué de l’Administration d’État pour la régulation des marchés chinois, serait celle de ne pas avoir respecté les engagements pris au moment de la fusion. Parmi ces engagements figurait la garantie de conditions commerciales équitables et non discriminatoires pour les clients chinois.
Cependant, cette initiative réglementaire ne peut être interprétée comme un simple cas d’application de la législation antitrust. Elle s’inscrit plutôt dans une escalade de mesures de rétorsion entre Pékin et Washington, où le secteur technologique, et plus particulièrement celui des semi-conducteurs, est devenu l’épicentre d’une guerre économique mondiale.
Un exemple classique de guerre économique
En suivant les enseignements de Harbulot, on peut identifier dans cette affaire tous les éléments clés d’une stratégie de guerre économique. La Chine, face aux restrictions de plus en plus strictes imposées par les États-Unis sur l’exportation de puces avancées, réagit en ciblant un symbole de l’excellence technologique américaine. Nvidia, leader mondial dans le domaine des puces pour l’intelligence artificielle, est l’un des acteurs les plus vulnérables dans cette guerre : d’un côté, sa domination mondiale en fait une cible privilégiée ; de l’autre, sa difficulté croissante à pénétrer le marché chinois limite sa capacité de défense.
Les États-Unis, quant à eux, n’ont jamais caché l’objectif de leurs restrictions : freiner la croissance technologique chinoise, perçue comme une menace directe à leur suprématie mondiale. Les limitations à l’exportation de puces avancées comme les A100 et H100 ne sont pas seulement une mesure de sécurité nationale, mais également un instrument pour maintenir le contrôle des secteurs les plus stratégiques de l’économie mondiale.
Les implications pour Nvidia et le marché mondial
Les conséquences de cette enquête pourraient être moins significatives qu’il n’y paraît pour Nvidia, du moins à court terme. Comme l’ont souligné les analystes, sa part de marché en Chine a déjà été fortement réduite par les restrictions américaines, qui ont empêché l’exportation de ses puces les plus avancées. Cependant, l’attaque chinoise revêt une nette valeur symbolique : elle montre au monde que Pékin n’entend pas rester passive et qu’elle est prête à utiliser tous les leviers à sa disposition pour répondre aux coups portés par Washington.
De plus, cette affaire constitue un avertissement pour d’autres entreprises technologiques occidentales, qui pourraient être ciblées à l’avenir. L’objectif de la Chine est double : d’une part, protéger et encourager le développement d’acteurs nationaux comme Huawei, et d’autre part, dissuader les entreprises étrangères de considérer la Chine comme un marché sûr et rentable.
La Chine et le modèle de guerre économique
La réponse chinoise, comme le montre l’école de guerre économique de Harbulot, repose sur une approche asymétrique. Alors que les États-Unis utilisent le contrôle des technologies avancées comme une arme pour étouffer la croissance chinoise, Pékin frappe avec des mesures ciblées et symboliques, comme l’interdiction d’exporter des matériaux critiques (gallium, germanium et antimoine) ou l’ouverture d’enquêtes antitrust contre des géants étrangers. Cette approche est typique des stratégies de guerre économique adoptées par des puissances émergentes cherchant à rééquilibrer une situation d’infériorité structurelle.
L’avenir de la guerre technologique
L’affaire Nvidia n’est que le dernier chapitre d’un conflit qui s’annonce long et de plus en plus complexe. La technologie, en particulier celle liée à l’intelligence artificielle et aux semi-conducteurs, constitue le cœur battant de l’économie du XXIe siècle. Pour les États-Unis et la Chine, le contrôle de ces ressources est une question existentielle, une bataille pour déterminer qui dirigera le monde dans les décennies à venir.
L’école de guerre économique nous enseigne que ces dynamiques ne se résolvent pas par des actions isolées, mais nécessitent des stratégies à long terme, où l’économie, la politique et la défense s’entremêlent. L’affaire Nvidia est un parfait exemple de cette nouvelle réalité : un monde où les entreprises ne sont plus seulement des acteurs économiques, mais deviennent des pièces maîtresses sur l’échiquier géopolitique mondial.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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