TRIBUNE – 2024, année érotique

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Dissolution politique
Réalisation Le Lab Le Diplo

Tribune de Julien Aubert

D’avance, veuillez m’excuser pour ce titre gainsbourgien quelque peu racoleur qui n’a d’autre intérêt, en cette année finissante, que d’arracher des bribes d’intérêt à un lecteur las des querelles politiques. 

C’est que, voyez-vous, l’année 2024 me fait penser – toutes proportions gardées – à l’année 69, qui fut marquée par la première guerre civile de l’Empire romain et qui est restée comme « l’année des trois empereurs ». Cette année-là, trois prétendants (Galba, Othon, Vitellius) se succèdent au poste d’empereur, avant l’avènement d’une nouvelle dynastie. 

Un peu d’histoire. Tout commence en juin 68, lorsque l’empereur régnant, Néron se suicide face au soulèvement d’une partie de l’Empire. Galba, gouverneur de la province espagnole de Tarraconaise et représentant de l’aristocratie sénatoriale, proclamé empereur dès le mois d’avril, se rend à Rome. Mais son gouvernement rigoureux suscite le mécontentement du peuple et de la garde prétorienne, qui l’assassine pour le remplacer par Othon, ancien favori de Néron. Celui-ci sera ensuite détrôné par Vitellius, qui sera à son tour renversé. 

Ne peut-on pas voir dans la faute politique qu’a représenté la dissolution d’Emmanuel Macron, une forme de suicide politique néronesque, le geste malheureux d’un empereur confronté au mécontentement populaire ? Le Mozart de la Finance aura suicidé avec lui Attal, qui n’en demandait pas tant. « Quel artiste meurt avec lui ! »

On serait tenté de voir, dans la figure de l’aristocratique Galba, qui incarna la tentative de l’élite ancienne de Rome de stabiliser les choses après les frasques de Néron, l’ombre portée de Michel Barnier, cet homme de l’ancien monde, dont les tentatives maladroites de rétablir les finances publiques ont fini par causer la perte. 

Filons la métaphore, et considérons qu’Othon était, comme François Bayrou, un ancien favori de Macron porté au pouvoir par la garde prétorienne, c’est à dire ceux qui avaient forgé la victoire de 2017. Au surplus, les détracteurs du béarnais qui sont nombreux, glousseront en lisant le portrait d’Othon par Suétone qui le dépeint comme un personnage assez peu recommandable et disposé à tout pour parvenir à ses fins. Les défenseurs du Palois préfèreront retenir d’autres auteurs antiques qui dépeignent Othon comme digne et désintéressé. 

Il nous reste encore un rôle à distribuer – celui de Vitellius, mais de toutes façons, il a mal fini, confronté à une révolte en Germanie et a fini par se suicider. 

Le point important est qu’une nouvelle dynastie est née de ce chaos : les Flaviens ont remplacé les Julio-Claudiens. Faut-il en déduire que la Vème République est en train d’agoniser ? 

Une telle instabilité de l’Exécutif n’avait plus été observée depuis la IVème République, plus exactement depuis 1948. Cette année-là, en effet, quatre gouvernements se succèdent avec trois présidents du conseil différents (Schuman, André Marie et Queuille). C’est encore en dessous du record de 2024, qui se termine sans budget. 

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Plus grave encore, le régime des partis semble s’être insidieusement rétabli, à la faveur de l’affaiblissement du Président. La nomination de Bayrou lui a quasiment été arrachée en créant un rapport de forces inédit. Ses adversaires les plus déterminés appellent désormais à une présidentielle anticipée. Enfin, si les forces politiques sont en capacité de se coaliser pour détruire (le vote d’une motion de censure, inédit depuis 1962, en est l’exemple le plus parfait) et éventuellement se répartir les postes, personne ne semble trop s’inquiéter du cirque perpétuel que montre une Assemblée nationale enfermée sur elle-même et qui tranche avec le recul tous azimuts du pays. 

Je veux plaider ici pour dire que le problème n’est pas institutionnel. Ce n’est pas la Ve qui agonise, mais le macronisme.

Ceux qui pensent que c’est le signe qu’il faut passer à la VIème République inversent les causalités. En réalité, nos institutions nous empêchent de plonger dans le chaos le plus total, et … ces barrières fonctionneraient mieux si on ne s’était pas acharné à les affaiblir. 

En instaurant le quinquennat, nous avons plongé l’Élysée dans un rythme politique corrélé au rythme parlementaire, ce qui pousse ensuite à plaider pour que le président s’en aille si la majorité législative change. L’impatience des forces politiques à être en 2027 les conduit à tenter d’en précipiter l’échéance, en faisant comme si rien ne pouvait être fait en 2025 et 2026. 

Si Macron avait été élu pour 7 ans, avec un terme en 2029, la question de sa démission ne se poserait évidemment pas. Du reste, avec un septennat, son bail de 2017 se serait probablement terminé en 2024, et nous aurions économisé une dissolution hasardeuse… 

Autre erreur : celle d’avoir voulu tordre le scrutin majoritaire pour empêcher un adversaire de gagner. Cette manœuvre, habituelle de la IVe République, très ingénieuse en son temps pour faire barrage aux communistes et aux gaullistes, a conduit à générer une assemblée faussement proportionnelle et sans majorité claire. Sur ceci, Michel Barnier a commis l’erreur de s’appuyer sur l’article 49 alinéa 3 de la constitution alors que c’était politiquement risqué. 

Troisième coup de canif dans le contrat de 1958 : la question de la responsabilité politique. Emmanuel Macron semble considérer que la seule source de sa légitimité est l’élection présidentielle. Ce faisant, il s’accroche à son poste. De Gaulle pourtant avait théorisé que la pratique du référendum permettait de ressourcer cette légitimité et c’est bien son abandon depuis 2005 qui a progressivement appauvri la fonction présidentielle. Pour prolonger mon propos, le fondateur de la Vème avait aussi clairement expliqué que la perte de la confiance du peuple ne pouvait que conduire à son départ. Macron se barricade derrière les éléments constitutionnels pour empêcher cette perspective. C’est un contresens : si le président dispose de prérogatives aussi larges, c’est parce que leur contrepartie est un dialogue direct avec le peuple dont il est le mandataire. Ces prérogatives ne sauraient fonctionner pour se protéger du peuple.

En conclusion, le moment de vérité approche. Vingt années de pratique constitutionnelle dévoyée ont conduit à ce que la Ve fonctionne comme la IVe, un peu comme si une Ferrari était utilisée pour tirer une caravane. Elle s’abîme. Emmanuel Macron est désormais confronté à son moment gaullien, et il n’aura que trois possibilités sur la table. 

La première serait de choisir l’épreuve de force pour braver le régime des partis. Macron pourrait donc recourir à l’article 16 pour artificiellement se repositionner au-dessus de la mêlée après avoir laissé l’assemblée s’épuiser en vaines querelles. Son calcul pourrait être que les Français après un an de vaudeville finiront par se rallier au seul pôle de stabilité du régime. J’en veux pour preuve que dans sa dernière allocution, Macron a laissé planer le doute en affirmant : « Le mandat que vous m’avez démocratiquement confié est un mandat de cinq ans, et je l’exercerai pleinement jusqu’à son terme. Ma responsabilité exige de veiller à la continuité de l’État, au bon fonctionnement de nos institutions, à l’indépendance de notre pays, et à votre protection à tous ».  Comment ne pas y voir une référence implicite à l’article 16 « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances » ? Faire ce choix serait cependant une folie, une lourde erreur, car c’est bien le défaut de légitimité présidentielle qui a créé le chaos politique, et non l’inverse. 

La seconde serait de tirer les conséquences de la crise de confiance et d’opter pour un grand final gaullien en démissionnant. Ses adversaires en rêvent, mais j’y crois peu, essentiellement pour des motifs psychologiques. Les propos tenus par le président à ce sujet sont clairs. Ce serait sans doute aussi une grave erreur, car elle créerait un précédent et rendrait le président responsable devant le Parlement. Macron a déjà commis un impair en faisant du résultat des européennes un motif de législatives, sans qu’il soit besoin de continuer ainsi à brouiller les frontières politiques. 

La dernière, intermédiaire, et que j’appelle de mes vœux, serait de résoudre la crise institutionnelle en proposant par référendum un projet de réforme constitutionnelle qui pourrait rééquilibrer le régime : rétablir un septennat pour l’avenir ; conditionner le dépôt d’une motion de censure à la condition expresse que ses signataires s’entendent sur un remplaçant ; reconnaître le vote blanc ; fluidifier le recours au RIC ; supprimer certains éléments du parlementarisme rationnalisé (comme le recours massif au 49.3) pour libérer le rôle du parlement. Cette proposition pourrait être soutenue par l’ensemble des forces politiques pour permettre au débat politique de se dérouler dans de meilleures conditions. 

Il y a différentes manières d’en revenir au peuple et avant de recourir à une législative ou une présidentielle, on peut restaurer la confiance et fluidifier autrement le système politique. Sinon, ce sera Vitellius.

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