Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
Dans le paysage médiatique et politique occidental, le conflit en Ukraine est souvent présenté comme une lutte pour la survie de l’Europe face à une agression russe sans précédent. Cependant, en analysant les faits avec une approche moins idéologique et plus géopolitique, des scénarios émergent, renversant cette narration. Une victoire de la Russie dans le conflit contre Kiev, loin d’être une catastrophe pour l’Europe, pourrait ouvrir à la France un horizon stratégique nouveau et inattendu, à condition que Paris saisisse cette opportunité.
Un conflit saturé de propagande
La narration dominante affirme que la défaite de l’Ukraine équivaudrait à une défaite de toute l’Europe. En réalité, ce schéma reflète une vision américaine visant à maintenir le Vieux Continent sous la tutelle de Washington. La véritable crainte de l’establishment euro-atlantique n’est pas tant la “menace russe”, mais la possibilité qu’une victoire de Moscou remette en question le projet d’une Europe solidement intégrée dans la sphère d’influence américaine.
Depuis 2022, l’opération militaire russe a clairement affiché un objectif : empêcher l’expansion de l’OTAN et de l’UE vers l’Est, consolidant ainsi une sphère de sécurité protégeant les frontières russes des infrastructures militaires occidentales. Ce n’est pas une nouveauté : c’est la logique des grandes puissances défendant leur espace vital. Pourtant, en Occident, on feint de considérer les raisons de Moscou comme étant insignifiantes, voire illégitimes.
Le risque d’une vassalisation définitive
Imaginons un instant le scénario inverse : une victoire de l’Ukraine. Cela ne signifierait pas seulement une défaite pour la Russie, mais surtout une victoire pour les États-Unis, consolidant encore davantage leur hégémonie sur l’Europe. L’intégration de Kiev dans l’OTAN et l’UE transformerait l’Ukraine en un avant-poste stratégique américain, enfermant définitivement l’Europe dans le réseau géopolitique de Washington.
Pour la France, ce scénario serait désastreux. Non seulement elle serait marginalisée par l’axe Washington-Londres-Varsovie-Kiev, mais elle se retrouverait confinée dans une Europe de plus en plus américaine et de moins en moins souveraine. Ce serait la fin définitive de la vision gaullienne d’une Europe des nations, capable de faire le pont entre Orient et Occident.
La Russie n’est pas une menace pour l’Europe
Le principal danger pour la stabilité européenne n’est pas la Russie, mais l’expansion continue de l’OTAN. Moscou n’a jamais montré d’intention d’attaquer les pays membres de l’Alliance atlantique. Les Russes savent pertinemment qu’en vertu de l’article 5 de la charte de l’OTAN, cela signifierait le déclenchement de la IIIe Guerre mondiale ! Sa politique a toujours été de prévenir la création d’une ceinture d’États hostiles le long de ses frontières. Si l’Occident cessait de percevoir la Russie comme un ennemi existentiel et acceptait de négocier sur des bases réelles, de nombreuses tensions pourraient être apaisées.
Une opportunité pour la France
Une victoire russe en Ukraine, en plus de rétablir un équilibre géopolitique sur le continent, offrirait à la France une fenêtre d’opportunité pour récupérer sa souveraineté et redéfinir son rôle en Europe. Dans un scénario multipolaire, Paris pourrait redevenir une puissance d’équilibre, capable de dialoguer avec Moscou sans le filtre imposé par Washington.
Cette perspective permettrait à la France de s’affranchir du projet d’une Europe germano-centrée et américano-dépendante, retrouvant sa capacité à influencer la politique continentale de manière indépendante. Une nouvelle entente entre Paris, Berlin et Moscou, orientée vers la stabilité eurasiatique, serait non seulement souhaitable mais nécessaire pour construire un avenir de prospérité et de sécurité.
La menace de l’immobilisme européen
Le véritable danger aujourd’hui est que l’Europe, prisonnière de ses élites atlantistes, continue de poursuivre une stratégie qui ne sert que les intérêts américains. Si la France et les autres grandes nations européennes ne parviennent pas à se détacher de cette dépendance, l’Union européenne risque de perdre toute capacité d’influence sur la scène mondiale. Elle deviendra une périphérie géopolitique, fragmentée en son sein et incapable de relever les défis externes.
Un pivot vers la Russie
Si la France veut retrouver sa place dans le monde, elle doit adopter une vision plus réaliste et moins idéologique des relations internationales. La victoire de la Russie en Ukraine pourrait être l’occasion de repenser le projet européen, dépassant les paradigmes obsolètes de l’OTAN et de l’UE, et ouvrant la voie à une Europe des nations plus indépendante.
En quoi cela serait-il avantageux pour la France dans une perspective gaulliste ?
1. Récupération de l’indépendance face à la subordination atlantiste
Charles de Gaulle a toujours considéré l’indépendance de la France comme une valeur primordiale, refusant la soumission aux États-Unis et retirant la France du commandement intégré de l’OTAN en 1966. Une victoire russe réduirait le rôle hégémonique de Washington en Europe, créant les conditions d’une Europe moins dépendante du parapluie stratégique américain et plus libre de poursuivre des politiques autonomes.
2. Une Europe des Nations, pas une Europe germano-centrée
De Gaulle soutenait une “Europe des Nations” fondée sur la coopération entre États souverains, plutôt qu’une structure supranationale dominée par des puissances comme l’Allemagne. Une victoire russe freinerait l’expansion de l’UE en tant qu’instrument de consolidation du pouvoir américain en Europe, favorisant un rééquilibrage du projet européen au profit de la France.
3. Un axe eurasiatique pour un équilibre multipolaire
De Gaulle envisageait une Europe s’étendant “de l’Atlantique à l’Oural”, intégrant la Russie comme partenaire essentiel. Une Russie victorieuse pourrait devenir un acteur clé d’un nouvel équilibre continental, dans lequel Paris jouerait un rôle de médiateur entre l’Occident et l’Orient.
4. Contraste à l’unipolarisme américain
Une victoire russe affaiblirait le modèle unipolaire américain, favorisant l’émergence d’un monde multipolaire dans lequel la France pourrait jouer un rôle autonome et distinctif.
5. Souveraineté stratégique européenne
Une défaite de l’Ukraine offrirait à l’Europe une occasion de redéfinir ses priorités stratégiques, en s’émancipant de l’obsession américaine de containment de la Russie.
6. Marges de manœuvre pour relever les défis internes
Dans un contexte moins dominé par les logiques atlantistes, la France pourrait se concentrer sur des enjeux internes tels que la gestion de l’immigration, la lutte contre le terrorisme et la cohésion sociale.
Une France souveraine au cœur de l’Europe
Dans une interprétation gaullienne, la victoire de la Russie ne serait pas une fin en soi, mais un moyen de dessiner une Europe plus équilibrée et souveraine. Paris pourrait reprendre un rôle central en tant que médiatrice et garante de la stabilité européenne, libérée de la subordination à Washington.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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