ANALYSE – Mozambique : crise politique, violences urbaines et enjeux des intérêts mondiaux

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Crise politique au Mozambique
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Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Le Mozambique traverse une crise politique et sociale sans précédent, déclenchée par les élections du 9 octobre 2024, qui ont donné lieu à une série d’événements dramatiques. La confirmation de la victoire du Frelimo, parti au pouvoir depuis près de cinquante ans, a profondément divisé le pays, alimentant des accusations de fraude, des protestations violentes et une intervention croissante d’acteurs mondiaux. Les tensions internes se mêlent aux intérêts économiques internationaux, en particulier ceux liés au projet de gaz naturel liquéfié (GNL), impliquant des acteurs comme les États-Unis, la Chine et l’Union européenne.

L’échec du dialogue entre Nyusi et Mondlane

Le 18 décembre, le président sortant Filipe Nyusi et Venâncio Mondlane, leader du parti d’opposition Podemos, se sont entretenus lors d’un dialogue virtuel de 90 minutes. Cette rencontre, attendue comme une dernière chance de résoudre la crise électorale, s’est soldée par un échec. Mondlane, qui s’est autoproclamé vainqueur des élections, a accusé Nyusi de vouloir déclarer l’état d’urgence pour prolonger son mandat. Selon lui, cette mesure viserait à justifier les troubles qui secouent le pays, ayant déjà causé plus de 130 morts et des centaines de blessés, principalement des civils.

Nyusi a publiquement démenti ces accusations, déclarant : « Je n’ai pas l’intention de rester au pouvoir ni de déclarer l’état d’urgence. » Cependant, ces assurances n’ont convaincu ni Mondlane ni la population, qui perçoivent Nyusi et le Frelimo comme les symboles d’un système corrompu et incapable de représenter la volonté populaire. L’entretien, loin d’apaiser les esprits, a accentué les tensions, plongeant le pays dans un climat d’incertitude et de suspicion.

Le verdict du Conseil constitutionnel

Le 23 décembre, le Conseil constitutionnel, présidé par Lúcia Ribeiro, a rendu son verdict attendu, confirmant la victoire du Frelimo et de son candidat Daniel Chapo avec 65 % des voix. Venâncio Mondlane a obtenu 24 %, Ossufo Momade de la Renamo 6,6 % et Lutero Simango du Mouvement démocratique du Mozambique 4 %. Le Frelimo a remporté 169 sièges sur 250, une majorité absolue mais réduite par rapport aux résultats initialement annoncés par la Commission électorale nationale (CNE).

La présidente Ribeiro a mis en évidence de graves irrégularités à toutes les étapes du processus électoral, du recensement au dépouillement des votes. Elle a signalé 279 cas documentés de crimes électoraux, y compris des manipulations dans les bureaux de vote, des intimidations et des falsifications de documents. Malgré ces graves irrégularités, le Conseil a décidé de ne pas annuler les élections, renforçant ainsi la perception d’une subordination de l’organe au Frelimo. Ribeiro a appelé à une réforme de la CNE pour garantir son indépendance, mais ses propos ressemblent davantage à une critique formelle qu’à une réelle impulsion pour le changement.

Les protestations et les violences urbaines

Après l’annonce du verdict du Conseil, les principales villes du Mozambique, notamment Maputo, Beira, Nampula et Boane, ont été le théâtre de manifestations violentes. Les manifestants ont incendié des sièges du Frelimo, des institutions judiciaires et bloqué les routes avec des barricades improvisées. La colère de la population est dirigée contre un système perçu comme corrompu, incapable d’assurer des élections transparentes et de respecter la volonté populaire.

Mondlane, actuellement en exil volontaire, a qualifié les prochains jours de « question de vie ou de mort » pour le pays. L’absence d’une direction claire dans les manifestations transforme les protestations en une guérilla urbaine spontanée, marquée par des violences généralisées et une répression brutale des forces de l’ordre. Des organisations comme Amnesty International ont dénoncé de graves violations des droits humains, notamment des arrestations arbitraires, des tortures et des exécutions extrajudiciaires.

Les intérêts mondiaux et le projet Afungi

En pleine crise, le Mozambique reste au centre des intérêts mondiaux liés au projet de GNL de TotalEnergies. Avec un investissement prévu de plus de 20 milliards de dollars, le projet représente l’une des plus grandes opportunités économiques pour le pays, mais aussi une source de tensions géopolitiques.

La banque Exim des États-Unis examine un financement de 4,7 milliards de dollars pour relancer le projet Afungi, suspendu depuis 2021 en raison de l’instabilité dans la province nord de Cabo Delgado. Les États-Unis considèrent le GNL mozambicain comme une alternative stratégique pour réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis de l’Europe et contrer l’influence chinoise en Afrique. Cependant, les hésitations liées aux priorités climatiques et aux préoccupations sécuritaires ralentissent le processus.

Cabo Delgado reste une zone à haut risque, malgré les progrès réalisés par les forces rwandaises et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), qui ont repris le contrôle de plusieurs zones occupées par des jihadistes. Les milices extrémistes continuent de représenter une menace, alimentée par la pauvreté et des inégalités profondément enracinées.

Un avenir incertain

Le Mozambique se trouve dans une situation d’extrême vulnérabilité. D’un côté, les tensions politiques et sociales risquent de se transformer en conflit civil ; de l’autre, le projet Afungi pourrait métamorphoser l’économie du pays, améliorant les infrastructures et les services essentiels. Cependant, la capacité du gouvernement à gérer les tensions internes et à garantir la transparence économique sera cruciale pour éviter que les revenus du gaz n’alimentent davantage la corruption et les inégalités.

L’Union européenne et d’autres acteurs internationaux doivent maintenant décider s’ils souhaitent intervenir pour soutenir le Mozambique en ce moment critique. Le risque est qu’une inaction laisse le pays à la merci d’intérêts internes corrompus et de pressions géopolitiques externes, transformant une crise évitable en une catastrophe humanitaire et politique de longue durée.

À lire aussi : TotalEnergies reprend son projet d’exploitation de gaz naturel de 18 milliards d’euros au Mozambique


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