Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
Au cœur du système financier mondial se trouve une triade de pouvoir que peu remarquent, mais qui façonne chaque aspect de l’économie moderne : les Big Three. BlackRock, Vanguard et State Street sont les noms derrière les chiffres, les protagonistes d’un capitalisme qui s’autoalimente et s’entrelace dans un cycle apparemment infini. Avec des actifs sous gestion dépassant les 26 000 milliards de dollars, ces géants ne sont pas de simples acteurs du marché, mais de véritables moteurs immobiles du capitalisme global.
Les Big Three détiennent des participations directes ou indirectes dans presque toutes les principales entreprises américaines et dans de nombreuses entreprises européennes. Leurs parts ne sont pas marginales : par exemple, ils contrôlent plus de 37 % de Berkshire Hathaway, le géant financier dirigé par Warren Buffett. Leur influence s’étend à des entreprises emblématiques telles que JPMorgan Chase, Johnson & Johnson, Tesla, ExxonMobil et même le New York Times. Dans 88 % des 500 plus grandes entreprises américaines incluses dans l’indice Standard & Poor’s, au moins l’un des Big Three est le principal actionnaire. Cette présence omniprésente transforme leur rôle : de simples investisseurs, ils deviennent de véritables arbitres du marché.
La domination de Vanguard, BlackRock et State Street repose sur une structure de participations croisées unique en son genre. Vanguard détient une part significative de BlackRock, tandis que cette dernière possède des parts importantes de State Street et de Geode Capital. Le réseau de relations entre ces fonds renforce non seulement leur pouvoir, mais les rend pratiquement indissociables du tissu économique mondial. Ce système, où le capital possède lui-même, rappelle la métaphysique aristotélicienne : une pensée qui pense à elle-même, une entité qui s’autoalimente et se perpétue.
Cette structure est encore renforcée par les fonds passifs, des instruments financiers qui répliquent les indices boursiers. Grâce à des systèmes avancés tels qu’Aladdin, un logiciel de gestion de BlackRock, les Big Three peuvent optimiser les investissements tout en éliminant le coût humain des décisions. Aladdin, considéré comme un précurseur de l’intelligence artificielle, analyse d’énormes quantités de données de marché, les combinant avec des simulations aléatoires pour gérer des portefeuilles de milliards de dollars. Parmi les clients d’Aladdin figurent des institutions de renom telles que la Banque centrale d’Israël et Deutsche Bank.
Bien que ces fonds passifs semblent neutres, leur influence est loin d’être anodine. La pratique du buy-back – le rachat de ses propres actions – en est un exemple emblématique. Entre 1998 et 2020, les entreprises américaines ont dépensé 8 500 milliards de dollars en buy-back, un montant qui détourne des ressources des investissements productifs pour gonfler artificiellement la valeur des actions. Ce phénomène a contribué à l’explosion de l’indice Dow Jones, qui est passé de 10 000 points en 2010 à plus de 44 000 aujourd’hui.
L’expansion explosive des Big Three a été alimentée par deux sources principales : les politiques d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) des banques centrales et la privatisation des fonds de pension et des assurances santé. Entre 2007 et 2021, les banques centrales ont injecté au moins 14 000 milliards de dollars dans le système financier mondial, créant d’énormes flux de capitaux qui se sont déversés dans les fonds gérés par les Big Three. Parallèlement, les fonds de pension et les assurances – même en Europe – garantissent un flux constant de liquidités. Même en Italie, les Big Three détiennent des participations stratégiques dans des entreprises telles que Snam, Leonardo, Enav et Poste Italiane, ainsi que dans des multi-utilities comme A2A, Hera, Iren et Acea, qui gèrent des services essentiels tels que l’énergie, l’eau et les déchets.
Ce pouvoir diffus n’est pas seulement économique, mais aussi politique. Les Big Three influencent les décisions stratégiques des entreprises dans lesquelles ils investissent et siègent souvent au sein des conseils d’administration. En 2018, un conseiller de Vanguard s’est opposé à l’augmentation du salaire d’Elon Musk, mais six ans plus tard, il a approuvé une rémunération décennale de 45 milliards de dollars. Cet épisode montre à quel point leur prétendue neutralité est en réalité très discutable.
Cependant, la domination des Big Three n’est pas à l’abri des défis. Leur expansion a été favorisée par la mondialisation, mais le paysage géopolitique est en train de changer. Les politiques de démondialisation, les guerres commerciales et les tensions internationales pourraient redessiner les dynamiques économiques mondiales. Aux États-Unis, par exemple, plusieurs États républicains ont commencé à retirer des fonds gérés par BlackRock, l’accusant de promouvoir des politiques ESG (Environmental, Social and Governance) jugées incompatibles avec les intérêts locaux. Ce changement marque un possible tournant pour un système qui, jusqu’à présent, semblait inarrêtable.
Les Big Three représentent donc bien plus que de simples acteurs du marché financier : ils sont le cœur invisible du système, un moteur immobile qui guide l’économie mondiale. Pourtant, leur pouvoir, ancré dans la complexité des marchés et des politiques mondiales, pourrait être mis à l’épreuve par un monde de plus en plus fragmenté. La question est la suivante : le capital qui possède saura-t-il s’adapter aux nouveaux défis du XXIe siècle ?
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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