SOCIÉTÉ – La théorie du genre s’est-elle installée dans nos écoles ?

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Par Philippe Pulice

En 2014, Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Éducation nationale, déclarait : « La théorie du genre n’existe pas ». Cette déclaration s’inscrivait dans les vifs débats autour du programme ABCD de l’égalité, testé dans certaines écoles avant d’être abandonné en juin de la même année, environ six mois après le début de sa phase pilote. Ce dispositif visait à promouvoir l’égalité filles-garçons dès l’école primaire en combattant les stéréotypes de genre.

Le 28 novembre 2024, Anne Genetet, ministre de l’Éducation nationale pour une courte période (du 21 septembre au 23 décembre 2024), reprenait la ligne de Najat Vallaud-Belkacem en réponse à Alexandre Portier, ministre délégué à la Réussite scolaire. La veille, devant les sénateurs, celui-ci avait affirmé : « Le projet de programme d’éducation à la sexualité n’est pas acceptable en l’état. Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles. » Anne Genetet lui répondit : « La théorie du genre n’existe pas, elle n’existe pas non plus dans ce programme. »

Quand la question « Qu’est-ce qu’un homme ? » ou « Qu’est-ce qu’une femme ? » devient problématique et source de tensions…

Mais qu’en est-il réellement ? La théorie du genre existe-t-elle ? Le cas échéant, s’insinue-t-elle dans l’école, notamment dans le programme d’éducation à la sexualité ? Pour y répondre, il convient d’abord de cerner le cœur du problème, au centre de toutes les polémiques : une nouvelle conception du genre, où celui-ci est désormais défini comme indépendant du sexe biologique, sans ancrage dans la nature, et considéré avant tout comme une construction sociale et culturelle. Si le genre n’a pas de rapport avec le sexe biologique, alors on peut se définir par exemple homme tout en ayant un sexe féminin, ou femme tout en ayant un sexe masculin.

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Force est de constater que cette nouvelle conception du genre s’est massivement installée dans l’espace public. Elle trouve son origine dans les études de genre, développées principalement par des universitaires américains, dont la figure la plus emblématique est sans doute Judith Butler, qui publia en 1990 l’ouvrage Troubles dans le genre. Des auteurs américains certes, mais largement inspirés par les travaux des années 70 de philosophes français tels que Michel Foucault, Gilles Deleuze et Jacques Derrida. Un soft power intellectuel français dont il ne faut surtout pas sous-estimer l’importance lorsqu’on évoque les piliers idéologiques du wokisme.

Le genre : une théorie pour ses opposants, un champ d’études scientifiques pour ses partisans…

Mais cette nouvelle conception du genre est loin de faire l’unanimité. Ses détracteurs voient dans les études de genre une dérive militante, dénuée de fondement scientifique, et la qualifient de théorie : en l’occurrence, la théorie du genre. À l’inverse, ses partisans insistent sur la dimension scientifique des études de genre, y voyant une source de crédibilité et de légitimité. Les uns parlent donc de théorie, les autres d’études. Une distinction sémantique d’une extrême importance faisant toute la différence, car elle agit en réalité comme un puissant marqueur idéologique. Chaque camp rejette délibérément l’existence du terme employé par l’autre.

Pour éviter les pièges sémantiques, mieux vaut s’attarder sur le fond. En s’y penchant, il apparaît clairement que cette nouvelle conception du genre s’est imposée et a été adoptée par une part significative de la classe politique, du monde culturel, médiatique, de la santé et de l’enseignement. Elle s’est progressivement immiscée dans l’ensemble de nos institutions, y compris l’Éducation nationale.

Quand Jean-Michel Blanquer prétendait lutter contre le wokisme mais, en même temps, le faisait entrer à l’école…

N’en déplaise à Anne Genetet, la circulaire Blanquer, toujours en vigueur, est explicite et sans équivoque. Intitulée Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire, elle donne des lignes directrices pour l’accueil et l’accompagnement des élèves transgenres ou en questionnement sur leur identité de genre dans le système éducatif français. Signée le 29 septembre 2021 par Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, cette circulaire recommande de respecter l’identité de genre affirmée par l’élève, sans exiger de certificat médical. Cela implique l’usage du prénom choisi, le respect des pronoms (il, elle, iel…) et, dans certains cas, l’accès aux infrastructures correspondant au genre déclaré, comme les toilettes et vestiaires.

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Quand Anne Genetet choisit délibérément de jouer sur les mots…

Maintenant, le programme d’éducation à la sexualité véhicule-t-il cette nouvelle conception du genre ? La réponse est clairement oui, comme nous allons le voir.

Ce programme, inscrit dans le cadre légal défini par l’article L.312-16 du Code de l’éducation, impose trois séances annuelles pour tous les élèves, de l’école primaire (cycle 2 et 3), du collège et du lycée, avec pour objectif de favoriser l’égalité entre les sexes, de lutter contre les discriminations et de promouvoir une éducation fondée sur le respect mutuel. Les cours seront dispensés par les enseignants mais aussi par des partenaires extérieurs, sous la supervision des équipes pédagogiques. Ces partenaires, associations spécialisées ou professionnels de la santé agréés, interviendront ponctuellement pour compléter l’enseignement. Même si l’Éducation nationale s’engage à veiller à l’absence de tout militantisme, l’intervention de ces partenaires extérieurs inquiète encore davantage de nombreux parents et observateurs.

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La nouvelle conception du genre est bien présente dans ce programme, et celle-ci est amenée de manière progressive. Concrètement, dès le cycle 3, en CM1 et CM2 (9 à 11 ans), les élèves seront sensibilisés aux stéréotypes de genre. Ils apprendront à les repérer par exemple dans les catalogues de jouets, les publicités, le choix des couleurs dans les emballages de jeux, etc. L’objectif pédagogique vise à déconstruire progressivement les préjugés et à initier une réflexion sur les différences perçues entre les sexes, sans aborder directement la notion de genre comme construction sociale. Puis, à partir de la classe de 5ème (12 à 13 ans), l’approche change de nature et devient explicite. Les élèves seront invités à distinguer clairement le sexe biologique du genre, présenté comme une construction influencée par des facteurs sociaux et culturels.

Quand l’État veut s’occuper de l’éducation sexuelle des plus jeunes et de la « rééducation » des parents…

Mais dans le cadre de leur éducation à la sexualité, les élèves auront tout le loisir d’aller consulter le site OnSexprime.fr. Développé par Santé publique France sous l’égide du ministère de la Santé, ce site s’inscrit dans une démarche globale d’éducation à la sexualité, en cohérence avec les objectifs du ministère de l’Éducation nationale. Il s’adresse principalement aux adolescents, bien qu’il soit accessible à tous.

Et dès qu’on parcourt le site, il devient clair que la nouvelle conception du genre ne se contente pas d’être présente : elle y occupe une place centrale. D’ailleurs, sur la page d’accueil, l’onglet Les genres et les orientations apparaît en première position. Voici, entre autres, ce que l’on peut y lire.

« Se sentir fille ou garçon, ou les deux, ou ni l’un ni l’autre, c’est personnel et intime. C’est l’identité de genre. On t’explique. »

C’est la victoire du « Moi » tout puissant qui l’emporte sur tout le reste : le sexe biologique n’a aucun rapport avec le genre au cas où certains ne l’auraient pas encore compris. Quant à se sentir ni fille ni garçon, j’avoue que cela me laisse perplexe…

« À la naissance, les médecins classent les bébés dans deux « cases » en fonction de leur organe sexuel, ce qui se voit physiquement. Si tu nais avec un vagin, qui est le sexe femelle, tu vas être désigné-e comme appartenant au genre femme. Si tu nais avec un pénis, qui est le sexe mâle, tu vas être désigné-e comme appartenant au genre homme. »

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Il est difficile de ne pas y voir une charge contre la médecine, accusée par certains militants de perpétuer des stéréotypes porteurs de discriminations : les individus seraient arbitrairement assignés au genre masculin « tout simplement » parce qu’ils naissent avec un pénis. Insupportable pour les fervents défenseurs de la nouvelle conception du genre !

Quand sur le site onsexprime.fr, on retrouve l’empreinte du militantisme…

L’une des particularités du site réside dans la présence d’une étrange forme d’écriture inclusive… qui n’en est pas vraiment une. Plutôt que les traditionnels points médians, on y trouve des tirets. Un choix qui ressemble à s’y méprendre à un clin d’œil appuyé à certains militants, tout en feignant de respecter la directive Blanquer, laquelle interdit l’écriture inclusive dans le cadre scolaire et la déconseille dans les documents administratifs. Une manière habile de contourner les règles, sur un site pourtant géré par un organisme public.

« Pénis = homme, vulve = femme ? Parfois, ce n’est pas si simple. Aujourd’hui, on sait que les organes sexuels de naissance (le sexe) ne correspondent pas forcément à l’identité « homme » ou « femme » (le genre) ressentie par la personne. »

Les mots comptent. Ce « on sait » donne un caractère scientifique à l’affirmation, renforçant ainsi sa crédibilité et sa légitimité… comme s’il s’agissait d’une vérité incontestable.

« Homo, hétéro, bi : ça veut dire quoi ? On parle d’orientation sexuelle pour désigner par qui on est attiré-e sexuellement. Pour te repérer, voici la description de cinq orientations différentes : asexuelle (asexualité) : c’est n’avoir aucune attirance pour personne, quel que soit le sexe ou le genre des personnes ; bisexuelle (bisexualité) : c’est avoir une attirance à la fois pour des personnes du même genre et celles du genre opposé ; hétérosexuelle (hétérosexualité) : c’est avoir une attirance pour des personnes du genre opposé ; homosexuelle (homosexualité) : c’est avoir une attirance pour des personnes du même genre ; pansexuelle (pansexualité) : c’est avoir une attirance pour des personnes quel que soit leur genre ou leur sexe. La différence avec la bisexualité, c’est que la pansexualité prend aussi en compte les personnes non-binaires par exemple. Il existe une multitude d’orientations sexuelles. Certaines personnes ne se reconnaissent pas dans ces cases-là. »

Que certaines personnes ne parviennent toujours pas à se reconnaître dans l’ensemble de ces catégories me laisse, là encore, perplexe…

« Comment faire pour accepter ton identité de genre ? Certaines personnes ne se posent jamais de question sur leur identité de genre. Mais d’autres s’interrogent, très jeunes ou plus tard dans la vie. Tu peux te poser des questions sur ton identité de genre et ne plus savoir où tu en es. Ça arrive. »

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Les mots comptent, encore une fois. N’y a-t-il pas là une forme d’invitation implicite à douter ? La formule « certaines personnes ne se posent jamais de question » semble porter une connotation négative. Comme si l’absence de doute relevait d’une forme de naïveté ou de manque de profondeur.

Il faut arrêter de faire avaler des couleuvres aux gens, et de leur faire prendre des vessies pour des lanternes…

Affirmer que la théorie du genre n’existe pas relève d’une stratégie militante visant à discréditer toute opposition. Souvenons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, certains niaient aussi l’existence du wokisme, allant jusqu’à le qualifier de fantasme. Depuis la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques et l’élection de Donald Trump, ce discours s’est fait curieusement plus discret…

L’expression théorie du genre entretient la confusion et permet à certains de noyer le poisson en jouant sur les mots. Pourtant, la réalité est limpide : la nouvelle conception du genre s’est bel et bien installée dans nos écoles. Là-dessus, difficile pour ses partisans de prétendre le contraire. Il est temps d’appeler les choses par leur nom et d’aller droit au but.

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