Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, ancien diplomate, Docteur en sciences politiques
« Œil pour œil, dent pour dent ». Même si comparaison n’est pas raison, l’on pourrait dire que la pratique de la réciprocité dans les relations internationales est à la diplomatie ce que la loi du talion est à la Bible et au Coran. Elle présente un avantage indéniable. Rappeler aux fauteurs de trouble que leur jeu des provocations connaît ses limites et peut entraîner des représailles ciblées ou massives dommageables ! Telle n’est pas la voie suivie par le Président de la République et son gouvernement dans le traitement des contentieux qui nous opposent à l’Algérie et à un certain nombre de pays africains du Sahel. À la diplomatie de l’action dans la discrétion, ils préfèrent la diplomatie de la parole dans l’inaction avec des résultats que l’on sait. Tel est le constat dressé oralement par celui qui fut notre ambassadeur à Alger à deux reprises (2008-2012 et 2017-2020), Xavier Driencourt, après l’avoir écrit dans un ouvrage passé inaperçu en son temps[1].
DIRE ET NE RIEN FAIRE : LA PIRE DES SOLUTIONS
La crise entre Alger et Paris n’en finit pas depuis la reconnaissance par Emmanuel Macron de la marocanité du Sahara occidental à la fin du mois de juillet 2024. Devant la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, Emmanuel Macron stigmatise le « déshonneur » dont se couvre l’Algérie en embastillant Boualem Sansal. Le ton monte au fil des jours et des semaines. Le Quai d’Orsay menace de « riposter » si Alger continue « l’escalade »[2]. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu fustige les attaques d’Alger contre la France. Toutes ces bonnes paroles ont l’effet d’un cataplasme sur une jambe de bois de l’autre côté de la Méditerranée[3].
Alger rejette aussitôt les accusations « d’escalade » et « d’humiliation » après le renvoi d’un influenceur algérien vers la France[4]. L’Algérie dénonce une « campagne de désinformation ». Et se paie le luxe de dénoncer l’expulsion de l’influenceur « Doualemn » par la France qui ne lui aurait pas accordé le droit à un procès équitable. La veille, elle le qualifiait de « terroriste » pour justifier son refus de l’accueillir. Applique-t-elle ce même droit à Boualem Sansal ? Pour sa part, la presse algérienne, aux ordres du pouvoir, se déchaine contre Bruno Retailleau qualifié de « pyromane », « d’islamophobe », tenant des « propos racistes ».
Manifestement, la pratique de la diplomatie de la parole ne porte aucun fruit. Au contraire, elle excite la clique du président Abdelmadjid Tebboune. Celle-ci ne boude pas son plaisir en constatant l’impuissance de la France à éteindre l’incendie allumé par Jupiter avec ses actions et propos peu diplomatiques. La même logique s’applique aux pays du Sahel qu’il traite de façon maladroite lors de la Conférence des ambassadeurs. Le chef de l’État n’a toujours pas compris qu’il valait mieux les prendre au mot et non polémiquer de manière stérile et contre-productive.
La pratique diplomatique jupitérienne ressemble à celle des parents qui menacent leurs enfants turbulents mais n’en font rien. Le gamin n’en fait qu’à sa tête, ayant bien compris que la menace verbale n’est qu’un vulgaire sabre de bois. Mutatis mutandi, la situation est comparable dans les relations entre États. La menace de l’emploi de la force n’est crédible que si l’adversaire comprend qu’il ne pourra pas échapper aux fourches caudines de son interlocuteur s’il franchit une « ligne rouge » bien établie à l’avance.
Les diplomates savent d’expérience que si la parole est d’argent, le silence est d’or.
À lire aussi : L’Ukraine, à l’heure du réalisme sarkozyste
FAIRE ET NE RIEN DIRE : LA MEILLEURE DES SOLUTIONS
Jupiter est aujourd’hui au pied du mur, confronté à ses propres contradictions dans la conduite de l’action extérieure de la France. Les chiens (français) aboient, la caravane (algérienne) passe. En dépit de ses rodomontades, Emmanuel Macron ne parvient pas à jouer les pompiers après avoir joué les pyromanes par ses déclarations publiques intempestives portant sur nos relations compliquées avec certains pays africains et du Maghreb. La France est-elle condamnée à encaisser les coups de boutoir d’Alger et autres sans pouvoir en donner de sérieux à l’envoyeur ? Nous ne le pensons pas dans la mesure où elle dispose d’importants leviers de pression contre le régime corrompu d’Alger à condition de vouloir les utiliser. Mais aussi, à la condition incontournable de changer de pied en privilégiant l’action dans la discrétion à l’inaction dans la parole débridée.
Mais, ce changement de paradigme de l’action diplomatique présidentielle suppose de réunir trois conditions préalables rappelées ad nauseam par Xavier Driencourt. La première condition est la préparation, le plus en amont possible, en interministériel et à froid, de toutes les mesures de rétorsion dont nous disposons à l’encontre d’Alger : dénonciation de l’accord de 1968 ; de tous les accords octroyant des dérogations au droit commun des visas aux citoyens algériens ; des accords sur les généreuses prestations sociales octroyées manu larga avec la reconnaissance que l’on sait ; de l’échange de lettres de 2013 sur les passeports diplomatiques ; mise au pas intelligente de la diaspora algérienne en France ; lancement de procédures de restitution des biens mal acquis de tous les affidés du régime ayant des biens en France ; restriction des conditions d’accès des enfants de la nomenklatura au lycée français d’Alger et dans les lycées et universités de France et de Navarre ; blocage des pensions et retraites ; fermeture de certains des vingt consulats algériens en France tant que nous n’obtiendrons pas la réciproque en Algérie ; arrêt de la politique à tout-va de repentance et des travaux de la commission Stora ; publication documentée des monstruosités commises par les membres du FLN contre nos militaires, les pieds noirs et les harkis de 1954 à 1962 …, blocage du renouvellement de l’accord UE-Algérie). Cela vaut également, dans une autre moindre mesure, pour les pays du Sahel accusateurs : octroi des visas et politique d’aide au développement. La deuxième condition est le respect de la discrétion la plus totale dans la préparation de toutes les mesures de rétorsion et dans leur mise en œuvre concrète qui doit créer un effet de surprise. La troisième condition est la graduation dans l’imposition des mesures de rétorsion aux pays concernés en montant en gamme au fil du temps dans un crescendo diplomatique savamment orchestré afin d’occasionner le maximum d’effet et d’efficacité à notre action. La meilleure défense est l’attaque !
C’est ce que l’on qualifie d’authentique diplomatie de la réciprocité. Celle que nous hésitons à mettre en œuvre à l’encontre de la cohorte du président Tebboune par pudeur de gazelle incompréhensible par nos concitoyens. Tous les derniers sondages d’opinion démontrent, s’il en était encore besoin, qu’ils sont très majoritairement partisans de cette forme de diplomatie qui sied à une puissance moyenne à vocation universelle comme la nôtre. Le voulons-nous ? Le pouvons-nous ? Là est la question centrale que nous devons nous poser à ce stade. Est-ce sur ce sujet de divergence avec Emmanuel Macron que son conseiller diplomatique, Emmanuel Bonne aurait décidé de claquer la porte (au plus tard le 1er février 2025) après plusieurs années de bons et loyaux services (il est en fonction depuis 2019) et de brimades permanentes de son vénéré maître de la diplomatie française ?[5] Nous le saurons prochainement.
À lire aussi : Décryptage de l’attaque aux bippers au Liban
ENCORE DES MOTS, TOUJOURS DES MOTS …
« Les diplomates ne sont utiles que par beau temps fixe. Dès qu’il pleut, ils se noient dans chaque goutte ». Cette saillie du général de Gaulle va comme un gant à la diplomatie jupitérienne. Adepte du coup de menton et du buzz permanent, elle se montre incapable de transformer l’essai grâce à une diplomatie de l’action efficace dans les périodes de montée aux extrêmes. La diplomatie du verbe non suivie d’action caractérise la puissance de l’impuissance. Nous avons plus que jamais besoin d’un retour à la diplomatie loin du brouhaha médiatique et des postures théâtrales que nous connaissons sous le règne empreint de munificence d’Emmanuel Macron. Faute de quoi, tout contribuera à alimenter la tension actuelle. In fine, la crise paroxystique des relations franco-algériennes, dans sa dimension présente, démontre à l’envi l’importance de la pratique de la diplomatie de la réciprocité pour y mettre un terme rapidement.
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Xavier Driencourt, L’énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger, éditions de l’Observatoire, 2022.
[2] Tension France-Algérie : le Quai d’Orsay menace de « riposter » si Alger continue « l’escalade », www.valeursactuelles.com , 11 janvier 2025.
[3] Frédéric Bobin/Julia Pascual, Nouvelle escalade entre Paris et Alger autour d’un influenceur, Le Monde, 12 13 janvier 2025, p. 10
[4] Caroline Coq-Chodorge, Des influenceurs soutiens du régime algérien au cœur des tensions entre Paris et Alger, www.mediapart.fr , 12 janvier 2025.
[5] Le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron remet sa démission, www.lalettre.fr ,10 janvier 2025.
#FranceAlgerie, #DiplomatieFrancaise, #RelationsInternationales, #Macron, #PolitiqueEtrangere, #CriseDiplomatique, #Algerie, #ReciprociteDiplomatique, #Sahel, #DiplomatieAction, #EmmanuelMacron, #RelationsBilaterales, #Tebboune, #Retorsion, #BoualemSansal, #Visa, #Diplomatie, #QuaiDOrsay, #SaharaOccidental, #AfriqueDuNord, #PolitiqueAfricaine, #RelationsFrancoAlgeriennes, #ActionDiplomatique, #StrategieDiplomatique, #MesuresRetorsion, #MaghrebFrance, #DiasporaAlgerienne, #PolitiqueEtrangere, #DiplomatieFrancaise, #RelationsInternationales