Tribune – L’étrange conférence des Ambassadrices et des Ambassadeurs

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Conférence des ambassadeurs 2025
Capture d’écran – Conférence des Ambassadrices et des Ambassadeurs du 6 janvier 2025

Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, ancien diplomate, Docteur en sciences politiques

« L’immobilisme est en marche, et rien ne pourra l‘arrêter » (Edgard Faure). Voilà bien le mal mortel qui guette toute institution au fil du temps ! En paraphrasant l’historien Jean-Baptiste Duroselle, l’on pourrait proclamer « Toute institution périra ». La conjugaison du poids des habitudes et de l’inertie administrative conduit souvent à une marginalisation progressive toute structure pérenne (comité, commission …) ou éphémère (conférence).

Tel semble être le cas de la Conférence des ambassadeurs portée sur les fonts baptismaux en 1994 par Alain Juppé ! La 29ème édition de ce temps fort de la diplomatie se tient du 28 au 30 août 2023 à Paris. Annulée en raison des l’accueil des Jeux paralympiques du 28 août au 8 septembre 2024, la 30ème édition de la désormais Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs se tient finalement les 6 et 7 janvier 2025. N’est-elle pas en passe de se transformer en relique du passé tant, au fil du temps, après s’être cherché une utilité, n’est-elle pas à bout de souffle ?

UNE CONFÉRENCE EN QUÊTE D’UTILITÉ

Conférence utile. Quatre ans après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, un regard nouveau, clairvoyant sur le monde d’après, sur l’évolution des relations internationales et de la diplomatie s’impose. Telle est l’une des principales motivations de la réunion annuelle de la Conférence des ambassadeurs à la fin du mois d’août, depuis sa création en 1994. Avant de reprendre le chemin de leur pays de résidence, les chefs de mission diplomatique sont avides de prendre connaissance de la voix autorisée de leurs dirigeants sur le positionnement de la France dans le concert des nations. Le président de la République et le chef de la diplomatie – parfois le premier Ministre et tel ou tel ministre concerné – s’adressent à eux pour fixer les grandes orientations de politique étrangère, les priorités internationales de la diplomatie de la France, ses défis globaux, ses ambitions de rayonnement économique, sportif, culturel… Outre ces exposés ex cathedra, les ambassadeurs sont conviés à participer à des tables rondes interactives portant sur diverses thématiques : géographiques, transversales, économiques, culturelles … sans oublier les questions de ressources humaines. Après cinq journées d’intense activité, les diplomates rejoignent leurs postes respectifs avec une feuille de route bien claire. Un diplomate averti est un diplomate éclairé. Année après années, la conférence des ambassadeurs se perfectionne avec l’ajout de nouvelles réflexions induites par les rapides développements et nouveaux défis que connaissent les relations internationales au XXIe siècle. Tout va très bien, mais à part ça, madame la marquise, on déplore un tout petit rien.

Conférence futile. Avec le temps, tout naturellement, l’intérêt de la Conférence s’émousse. Et cela pour toute une série de raisons objectives que subjectives : rapidité d’évolution des paradigmes des relations internationales ; poids des (mauvaises) habitudes ; inertie de la machine administrative portée au misonéisme (hostilité à la nouveauté et au changement) ; poids de la médiatisation de cette institution (importance de la formule choc au détriment du raisonnement structuré) ; absence de discussions libres sur les sujets sensibles (quel ambassadeur prendrait le risque pour la suite de sa « Carrière » d’interpeller, voire de critiquer des positions « baroques » défendues par sa plus haute hiérarchie ?) ;  conformisme de la pensée ambiante au détriment de la recherche d’une réflexion plus iconoclaste et stimulante (« L’imbécile est d’abord un être d’habitude et de parti pris », Georges Bernanos) ; pratique très répandue dans l’Administration de la « proskynèse » (rituel de de prosternation destiné à s’assurer les faveurs de l’empereur dans la Rome antique, repris d’une pratique d’origine perse) … On l’aura compris, cette liste est loin d’être exhaustive. Tous les ambassadeurs ne disposent malheureusement pas des facultés d’analyse d’un Marc Bloch. Hormis une réforme cosmétique dans l’air du temps, à savoir l’adoption de l’appellation de Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, cette rencontre annuelle joue de moins en moins son rôle original de tempête sous les crânes. Bon an mal an, la Conférence poursuit son petit bonhomme de chemin jusqu’à ce qu’un tsunami la déstabilise sérieusement.

UNE CONFÉRENCE À BOUT DE SOUFFLE

Conférence disruptive. À l’évidence, le cru 2017 de la Conférence marque une rupture de taille, avec les deux décennies précédentes. Il la déstabilise durablement. En effet, le nouveau président de la République, Emmanuel Macron entend marquer de son empreinte cette institution ringarde. D’une part, il privilégie le discours long verbeux, ennuyeux, sans priorités claires, manquant de profondeur stratégique, de clairvoyance à l’exposé plus concis et plus percutant de ses prédécesseurs. En un mot, il fait le choix de la diplomatie des apparences, de la diplomatie de « l’esbroufe »[1]. Il transforme le coup d’éclat permanent en bruit médiatique épuisant[2]. D’autre part, il marque d’entrée de jeu, le peu d’estime dans lequel il tient le Quai d’Orsay. Il entend dépoussiérer la manière qu’a la France de jouer sa partition dans le concert des nations. L’été 2019, il fait la leçon à quelques 200 ambassadeurs chevronnés. Rien ne trouve grâce à ses yeux dans la maison des bords de Seine : une lourde bureaucratie freinant ses initiatives, un repaire de « néocons » lesté d’une forme d’immobilisme et sans imagination, des diplomates qui se mettent en travers de sa route …[3] En un mot, il fait le choix de la diplomatie du mépris vis-à-vis du corps diplomatique. Cela se traduira par la suppression du corps diplomatique à l’occasion de la transformation de l’ENA en INSP. La Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs n’est perçue que comme la scène d’un théâtre sur laquelle Jupiter improvise sa propre partition sans concertation préalable avec les principaux intéressés. On imagine aisément l’utilité relative qu’il accorde à cette Conférence.

Conférence élusive. Après son report, la Conférence est réunie les 6 et janvier 2025 sans que l’on soit assuré de l’intérêt que le chef de l’État y attache vraiment. N’estime-t-il pas que son discours aura un meilleur[4] impact devant l’Assemblée générale de l’ONU à la fin du mois de septembre ? Comme à l’accoutumée, Emmanuel Macron déclame durant une heure quarante sans que l’on parvienne à déceler les linéaments d’une politique étrangère cohérente et structurée autour de quelques priorités claires (21 pages denses)[5]. Son exposé s’apparente à un inventaire à la Prévert truffé de digressions et tournant à l’exercice d’autosatisfaction. Il privilégie les formules chocs : « Ce courage, il en faut dans les fracas du monde compte tenu de tous ces désordres (affaiblissement des règles internationales, désordres des démocraties, des révolutions technologiques, des défis globaux ») dénonçant au passage Elon Musk à la tête « d’une nouvelle internationale réactionnaire ». Après les désordres, il énumère « les dérèglements : stratégique, technologique et politico-philosophique ». Pour surmonter tous ces défis et tenir tête à Donald Trump, il nous faut « de la force », du « volontarisme », plus d’Europe à la Française, ne rien « céder à l’esprit de défaite » Il en arrive à ses trois priorités pour 2025 : sécurité de la France et des Français, prospérité de la France et de l’Europe et défense de l’ordre international et de nos valeurs. Il disserte à perte de vue sans clarté sur la lutte contre le terrorisme, l’évolution de la situation au Proche-Orient, le conflit en Ukraine…. Tout cela, pour nous asséner, après quarante-cinq minutes, que « nous sommes face à un changement d’environnement stratégique qui est le nôtre » qui nécessite d’aller plus vite et plus fort au niveau européen ! Et, il repart sur de nouveaux mots d’ordre européens : simplifier, repenser le commerce, assumer une politique industrielle et d’innovation, augmenter les investissements et les budgets. Son exposé sur la politique africaine de la France frise le ridicule. Et de nous annoncer, en fin de discours, de nouvelles priorités : climat, santé, finance internationale, défense des démocraties. Il nous sert le couplet incontournable de la diplomatie soutenant la cause des femmes et défendant les combattants de la liberté.

Cette interminable homélie part dans tous les sens, ne parvenant pas à faire la juste part entre diagnostic et remèdes. Elle donne le tournis par ses énumérations fastidieuses mais ne nous éclaire pas ou peu sur la spécificité de la politique étrangère de la France en 2025. Du Jupiter pur jus mais du mauvais jus de crâne en décalage total avec les enseignements de la rue Saint-Guillaume d’antan !

UN ODNI[6] : LA CONFÉRENCE S’AMUSE

« Paris vaut bien une messe ! ». Quelle pourrait être l’utilité réelle d’une telle grand-messe à l’heure du numérique ? Apporter aux chefs de mission diplomatique français une feuille de route cohérente et pérenne pour leur action quotidienne future qu’elle soit bilatérale ou multilatérale. Or, nous en sommes loin tant la confusion entre politique étrangère (la stratégie) et la diplomatie (la tactique) est grande. Qui plus est la diplomatie perd tous ses repères traditionnels ! La morale remplace le réel. L’émotion remplace la raison. L’incantation remplace l’action. La communication remplace la discrétion. L’inconstance remplace la continuité. L’insouciance remplace l’intérêt. Hormis, servir de tribune médiatique à un président de la République discrédité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, nul ne perçoit l’intérêt de ce raout pour les ambassadrices et les ambassadeurs. Pour son cru 2025, nous pourrions qualifier cet objet diplomatique non identifié d’étrange conférence.

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur


[1] Philippe Ricard, Emmanuel Macron et les risques de la diplomatie de « l’esbroufe », Le Monde, 25 octobre 2024, p. 28.

[2] Robert Zarader/Noé Girardot Champsaur, L’ancien maître des horloges est devenu le spectateur du sablier, Le Monde, 9 août 2024, p. 24.

[3] Raphaëlle Bacqué/Ariane Chemin/Ivanne Trippenbach, Le président et son double (3/4). La diplomatie à lui seul, Le Monde, 22-23 décembre 2024, pp. 18-19.

[4] La conférence de janvier 2025 est placée sous le titre ronflant suivant : « Une diplomatie en action pour la France et les Français (30 ans) ».

[5] Discours du Président de la République à l’occasion de la Conférence des ambassadrices et de ambassadeurs, https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-23793-fr.pdf , 6 janvier 2025.

[6] Objet diplomatique non identifié.

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