
Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
« L’avenir n’appartient à personne. Il n’y a pas de précurseurs, il n’existe que des retardataires » (Jean Cocteau). Dans un monde en plein bouleversement et marqué au sceau de l’imprévisibilité, rares sont les dirigeants clairvoyants, prescients. Ceux qui connaissent le passé pour comprendre le présent et anticiper l’avenir pour mieux s’y préparer ! Malheureusement, une majorité de décideurs s’enferme dans une vision irréelle, irréaliste du monde et des rapports de force qui les sous-tend.
Entre dans cette catégorie d’aveugle et de sourd, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le chouchou du clergé médiatique moralisateur. Hier, sûr de son fait, il prédisait la victoire écrasante de son pays face à une Russie en voie d’effondrement. Aujourd’hui, pris à son propre piège de la communication, il en est contraint de quémander un strapontin dans la future négociation américano-russe. Du temps béni de la présidence flamboyante chevauchant des chimères, nous sommes insensiblement passés au temps maudit de la présidence larmoyante face au réel.
LE TEMPS BÉNI DE LA PRÉSIDENCE FLAMBOYANTE
Fort de ses succès des deux premières années du conflit avec la Russie, Volodymyr Zelensky peine à anticiper un avenir incertain.
Le président chef de guerre. Depuis le lancement de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine le 24 février 2022 (il y a bientôt trois ans), le président ukrainien Volodymyr Zelensky force le respect d’une partie de la communauté des nations. Inexpérimenté dans le domaine international, l’homme qui incarne le président de l’Ukraine à l’écran, puis élu chef de l’État dans la vie réelle, apparaît comme « The right man at the right place ». Il parvient à mobiliser son peuple et ses soutiens occidentaux (Otan, Union européenne et États) pour résister à l’avancée russe. L’acteur, déguisé en militaire d’opérette, tient la dragée haute au locataire du Kremlin. Alliant la parole à l’action, il déjoue tous les pronostics les plus pessimistes annonçant l’imminence de l’effondrement ukrainien. Inlassablement, il réclame de nouvelles armes à ses soutiens occidentaux. Il prend de sérieux coups au moral mais défie l’ogre russe. Il symbolise le combat de David contre Goliath, celui du Bien contre le Mal, de la morale contre l’immoralité. Comment celui qui défend une juste cause pourrait-il perdre le combat contre celui qui veut faire prévaloir la force contre le droit ? Tel est le mantra de la bien-pensance que nos folliculaires omniscients et autres pseudo-experts des relations internationales, voire diplomates français[1], nous servent sur les plateaux des chaînes d’abrutissement en continu. Aucun doute ne les habite tant ils sont sûrs de leur fait.
Le président Deus ex machina. Pour sa part, comme investi d’une mission quasi-divine, Volodymyr Zelensky s’enferme dans ses certitudes. Rien ne lui résiste. Les purges à bas bruit de ses opposants (dans la classe politique et surtout dans l’armée) se poursuivent. Après chaque échec militaire, les responsables sont évincés. Ces téméraires prennent seulement la liberté de faire savoir que le temps ne fait rien à l’affaire[2]. Ils égrènent inlassablement les multiples obstacles qui rendent illusoire une victoire à court terme : disproportion des forces, des munitions, atermoiements dans les livraisons d’armes (en particulier américaines), absence de profondeur stratégique, limites inhérentes à la stratégie du coup d’épingle sur le sol russe, pays et économie ukrainiennes à la limite de l‘effondrement, lassitude de la population face à un conflit meurtrier et à l’issue plus qu’incertaine, des opinions publiques occidentales, effacement de l’Union européenne, coups de menton sans lendemain de l’OTAN, résilience russe, augmentation des désertions dans les rangs de l’armée ukrainienne …sans parler de la possible élection de Donald Trump, partisan d’une paix rapide avec Moscou. Mais rien n’y fait. Volodymyr Zelensky est têtu. Il ne veut rien entendre de ceux qu’ils considèrent comme d’indécrottables munichois. Il estime qu’ils ont tort de l’inciter à la prudence élémentaire et de lui conseiller d’explorer les voies tortueuses d’une paix peu glorieuse mais ayant au moins l’immense mérite de mettre fin à cette guerre sans fin. Il croit toujours pouvoir bouter hors du territoire ukrainien la soldatesque poutinienne grâce à une guerre de longue haleine.
Au fil du temps, le président est confronté au réel, celui sur lequel on se cogne, pour reprendre la formule de Jacques Lacan surtout depuis la prise de fonctions du 47ème président des États-Unis.
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LE TEMPS MAUDIT DE LA PRÉSIDENCE LARMOYANTE
Depuis le début de l’année 2025, le ton change tant les cartes sont rebattues sur le terrain militaire et sur la scène internationale.
L’étrange défaite. Sur le théâtre des opérations militaires, l’armée russe avance lentement mais sûrement en dépit des actions héroïques des soldats ukrainiens. Elle occupe 20% du territoire de l’Ukraine. Elle sème la terreur parmi la population civile en lançant des raids de représailles meurtriers, mettant à mal les infrastructures énergétiques du pays. Ce ne sont pas quelques opérations coup de poing menées sur le territoire russe qui peuvent inverser le cours de la guerre. Et cela quoi qu’en disent nos Rouletabille experts patentés des micro-analyses de micro-évènements sans approche stratégique. Même si les alliés de Kiev livraient aussitôt et manu larga toutes les armes que réclament le président ukrainien, rien ne permet de dire que ce coup de pouce permettrait d’inverser durablement le cours des évènements sur le long terme. Les stocks d’armes des Européens sont limités, parfois épuisés. L’armée ukrainienne est épuisée par trois années de guerre (rares sont les rotations indispensables faute d’effectifs suffisants). Par ailleurs, Moscou menace d’utiliser ses armes nucléaires dans l’hypothèse où son ennemi dépasserait une ligne rouge. In fine, l’Ukraine arrive militairement en position d’extrême faiblesse à la table de négociation … à laquelle elle n’est, à ce jour, pas conviée, quoi qu’en disent certains de ses ministres rêveurs[3]. La pire des situations pour un négociateur lorsque les militaires cèdent la place aux diplomates.
La pilule amère. Sur le plan diplomatique, la situation n’est guère encourageante depuis l’entrée en fonction de Donald Trump qui stoppe de façon drastique les livraisons de certaines armes et les aides de toutes sortes. Qui plus est, il menace de réductions encore plus importantes de l’aide américaine si son homologue ukrainien montrait quelques velléités de se mettre en travers de la voie de la négociation américano-russe esquissée depuis le 20 janvier 2025[4]. Le message est tellement clair que Volodymyr Zelensky en est réduit à s’agiter dans tous les sens pour être associé, d’une manière ou d’une autre, au marchandage entre Moscou et Washington. Il accepterait désormais des échanges de territoires avec la Russie (11 février 2025). Ce que Moscou refuse ! C’est peu dire que notre militaire d’opérette se trouve dans la pire des situations pour aborder la phase diplomatique du règlement du conflit, pressé d’aller à Canossa alors qu’il promettait la victoire militaire, il y a peu encore. À la conférence sur la sécurité à Munich, le 14 février 2025, le vice-président J. D. Vance élude l’Ukraine mais sermonne les Européens sur la démocratie et les valeurs (la liberté d’expression serait menacée). Il les invite à prendre leur part du fardeau en Europe.
Moscou refuse de voir le président ukrainien impliqué dans le processus bilatéral. Washington n’entend pas le voir jouer les trouble-fêtes dans un exercice réservé aux Grands comme au temps de la Guerre froide[5]. Le cadre de la négociation préparée par l’envoyé spécial de Donald Trump ne fait guère de doute : Crimée et Donbass tomberont dans l’escarcelle russe, les autres territoires occupés risquent d’être perdus, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’est plus d’actualité alors que celle à l’Union européenne l’est … Reste à régler la question des garanties de sécurité (présence d’une force de sécurité, de quelle nationalité ?) à donner à Kiev en contrepartie du reste de la pilule à avaler ! Kiev devra prendre sa part du fardeau, Washington envisageant de s’approprier les terres rares disponible sur le sol ukrainien en guise de dédommagement de l’argent dépensé pour contribuer à la défense du pays. L’addition de la reconstruction d’une Ukraine dévastée par trois années de guerre reviendra aux idiots utiles européens (en dépit de leurs rodomontades). Les Européens nous font le coup de la sidération stratégique alors que Donald Trump n’a jamais fait mystère de ses intentions depuis belle lurette. Une fois de plus, ils se retrouvent sur la touche lorsque les choses sérieuses débutent. Mais, ils se permettent de jouer les gros bras et de publier d’invraisemblables déclarations (« l’Ukraine et l’Europe doivent faire partie de toute négociation »). Le ridicule ne tue pas surtout pour une Union qui n’est en réalité que désunion.
L’avenir n’appartient à personne. Au-delà de la question générale du devenir de l’Ukraine et de la négociation de paix (qualifiée il y a peu encore de « trahison » par le président ukrainien !) qui est désormais lancée (Cf. entretien Trump/Poutine du 12 février 2025)[6], est posée en filigrane la question de l’avenir de Volodymyr Zelensky dans la redistribution actuelle des cartes au sein d’un pays où une campagne électorale a commencé et où la question du cessez-le-feu fait débat.
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MALHEUR AUX VAINCUS
« La roche Tarpéienne est proche du Capitole » (consul romain, Marcus Manlius Capitolinus). Hier encensé, aujourd’hui dénigré. Hier porté au pinacle, aujourd’hui, voué aux gémonies. Il a bien débuté la guerre mais il ne pas su/pu la conclure. Aujourd’hui, c’est la débandade. Tel est le fabuleux destin de Volodymyr Zelensky. Le futur du président ukrainien apparaît sombre tant il risque de payer intérêt et principal les pots cassés de l’étrange défaite. Trois options peuvent être envisagées : outre un maintien en place, hypothèse à laquelle nous ne croyons pas, (1) une exfiltration vers l’étranger dans un pays à trouver ; (2) l’embastillement en Ukraine à l’issue d’une mise en cause – avec ou sans procès – organisée par ses nombreux détracteurs ou (3) son élimination physique pure et simple pour traîtrise ou autre incrimination de cet acabit par tous ceux – et ils sont nombreux – à le tenir responsable de cette catastrophe annoncée avec son lot de morts, de blessés, d’handicapés à vie. Telles sont les hypothèses envisageables/probables pour l’avenir de Volodymyr !
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
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[1] Telle est la thèse brillamment défendue par l’ex-ambassadeur de France en Ukraine (au début de la guerre) dans ses mémoires : Etienne de Montaigne de Poncins, Au cœur de la guerre. Le récit exceptionnel de l’’ambassadeur de France en Ukraine, XO éditions, 2022.
[2] Chanson de Georges Brassens.
[3] Philippe Ricard (propos recueillis par), Andrii Sybiha, ministre ukrainien des Affaires étrangères : « Rien ne doit être discuté sur l’Ukraine sans l’Ukraine », Le Monde, 14 février 2025, p. 2.
[4] Thomas d’Istria/Philippe Ricard, L’Ukraine panique et fait appel aux donateurs européens, Le Monde, 2-3 février 2025, p. 3.
[5] Sylvie Kauffmann, L’Ukraine prise entre deux égos, Le Monde, 13 février 2025, p. 31.
[6] Ukraine : accélération subite des pourparlers pour un cessez-le-feu, AFP, 13 février 2025.
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