ANALYSE : La géopolitique du Vatican sous le pontificat du pape François

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Rôle géopolitique du Vatican
RéalisationLe Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). 

Alors que le chef de l’Église catholique, âgé de 88 ans, est hospitalisé depuis plus de deux semaines pour une pneumonie aux deux poumons, Giuseppe Gagliano revient dans une analyse approfondie, pour Le Diplomate, sur le pontificat du pape François et sur le rôle du Vatican dans un monde en plein bouleversement géopolitique…

 Relations internationales et diplomatie vaticane

Le pape François aux côtés d’autres dirigeants mondiaux lors du sommet du G7 en Italie (2024). Le Saint-Siège est un acteur diplomatique unique, entretenant des relations officielles avec la majorité des États du monde.

Sous le pontificat de François, la diplomatie vaticane a adopté une approche fondée sur le dialogue avec tous, privilégiant le soft power et le rôle de médiatrice dans les conflits. Dépourvu de puissance militaire ou économique, le Saint-Siège exerce une influence morale et symbolique, cherchant à persuader les dirigeants et l’opinion publique sur les grands thèmes éthiques et de la paix. Contrairement à l’anticommunisme affirmé de Jean-Paul II durant la Guerre froide, le pape François a fait preuve d’un plus grand réalisme géopolitique, nouant des liens même avec des pays qui ne partagent pas pleinement les valeurs catholiques. L’objectif est de maintenir ouverts des canaux de dialogue partout, dans la conviction que le Vatican peut servir de pont diplomatique et de conscience éthique internationale. Cette stratégie se reflète dans le choix des voyages papaux vers les périphéries du monde (comme l’Albanie, le Caucase, l’Afrique subsaharienne) et dans des gestes symboliques – par exemple, la visite à Lampedusa (2013) pour dénoncer la mondialisation de l’indifférence envers les migrants.

Le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, joue un rôle clé dans la mise en œuvre de la vision géopolitique du pape. Parolin, diplomate expérimenté, insiste sur le fait que la diplomatie vaticane est une extension de l’évangélisation, guidée par les principes de l’Évangile. Sous sa direction, le Saint-Siège a consolidé un réseau de relations sans précédent : 184 États entretiennent des relations diplomatiques pleines avec le Vatican (dont 89 avec des ambassades auprès du Saint-Siège). Cela inclut également des acteurs supranationaux comme l’Union européenne et des organisations internationales (ONU, Ligue arabe, OIM, UNHCR, etc.). Cette présence mondiale confère au pape un accès diplomatique unique – il est souvent qualifié de premier citoyen de la société civile globale – permettant au Vatican de participer aux grands débats mondiaux.

Dans ses rapports avec les grandes puissances, le pape François a cherché un équilibre délicat. Avec les États-Unis, par exemple, le pontife a collaboré sur des thèmes comme la lutte contre le changement climatique et la justice sociale, se rapprochant des positions des administrations Obama et Biden. En 2014, le Vatican a joué un rôle déterminant comme médiateur secret dans le dégel entre les États-Unis et Cuba, servant de canal officieux pour faciliter l’accord qui a conduit à la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Cependant, des frictions ont également émergé : en 2016, François a averti que ceux qui proposaient de construire des murs anti-immigrés n’étaient pas chrétiens, un commentaire interprété comme une critique des positions de Donald Trump, alors candidat. En général, toutefois, les liens entre le Vatican et les États-Unis restent solides ; cela est illustré par le discours historique du pape François au Congrès américain (2015) et sa participation au sommet du G7 (2024) – premier pape invité à un tel sommet.

Avec la Chine, François a cherché à résoudre la fracture de longue date concernant la nomination des évêques. En 2018, un accord provisoire a été signé entre le Saint-Siège et Pékin (renouvelé en 2020 et 2022), qui, bien que tenu secret, prévoit un mécanisme d’approbation papale des candidats sélectionnés par le gouvernement chinois. C’est une avancée historique : le Vatican a de fait reconnu un rôle aux autorités chinoises dans le choix des évêques, dans l’espoir d’unifier l’Église catholique chinoise et de mettre fin à des décennies de clandestinité. Cette politique de dialogue avec le régime communiste a été critiquée par certains (par exemple, le cardinal émérite de Hong Kong, Joseph Zen, très sceptique face à ces concessions), mais la ligne de François relève de la realpolitik : maintenir en vie la communauté catholique en Chine, même au prix de compromis. Parallèlement, le Vatican n’entretient pas de relations diplomatiques formelles avec Taïwan (les ayant de facto transférées à Pékin), confirmant son choix de privilégier le dialogue avec la République populaire de Chine.

Envers la Russie, le pape François a poursuivi l’effort de rapprochement avec l’Église orthodoxe russe, initié par ses prédécesseurs. En 2016, il a rencontré pour la première fois le patriarche de Moscou Kirill à La Havane, marquant un événement historique pour les relations catholiques-orthodoxes. Sur le plan politique, cependant, la guerre en Ukraine a représenté un défi diplomatique majeur. Au début du conflit (2022), François a adopté une posture très prudente, évitant de condamner explicitement Moscou ; il a même suggéré que les actions de l’OTAN aux frontières russes auraient pu provoquer la réaction de Poutine. Cette tentative de maintenir une position équilibrée – visant à préserver un canal avec le Kremlin – lui a valu des critiques, notamment en Europe de l’Est, où beaucoup ont perçu un manque de dénonciation claire de l’agression russe. À mesure que la guerre se prolongeait, le pape a néanmoins parlé avec une clarté croissante du peuple ukrainien martyrisé et a envoyé des émissaires de paix : en 2023, il a chargé le cardinal Matteo Zuppi de missions à Kiev, Moscou, Washington et Pékin pour explorer des voies de négociation possibles. Ces efforts n’ont pour l’instant pas donné de résultats concrets, mais ils témoignent de la volonté vaticane d’offrir une médiation, même dans les conflits les plus complexes. La position vaticane a toutefois irrité les dirigeants russes – qui voyaient d’un bon œil la neutralité pontificale – lorsque François a condamné l’utilisation instrumentale de la religion dans la guerre (une critique implicite du patriarche Kirill) et a de fait suspendu le dialogue œcuménique avec Moscou jusqu’à la fin des hostilités.

Avec l’Union européenne, François a entretenu un dialogue constant, exhortant l’Europe à redécouvrir ses racines solidaires. En 2014, il s’est adressé au Parlement européen à Strasbourg, appelant à une Europe qui ne soit plus une grand-mère fatiguée mais une protagoniste dans la défense de la dignité humaine. Il a soutenu les valeurs de l’intégration européenne, tout en mettant en garde contre les dérives technocratiques et les fermetures envers les migrants. En 2016, il a reçu le prix Charlemagne, une occasion où il a exposé sa vision d’une Europe fédératrice de paix, accueillante et attentive aux pauvres. Les relations avec l’UE restent positives, bien que la sécularisation avancée dans de nombreux pays européens représente un défi à l’influence de l’Église sur le continent. François n’a pas hésité à critiquer ouvertement certaines politiques européennes : par exemple, il a qualifié les naufrages de migrants en Méditerranée de honte pour l’Europe et a appelé à plus de solidarité entre les États membres pour faire face à la crise des réfugiés.

Au Moyen-Orient, le Vatican continue de soutenir fermement la solution à deux États pour le conflit israélo-palestinien et la protection des lieux saints. En 2015, le Saint-Siège a signé un accord bilatéral reconnaissant officiellement l’État de Palestine, un geste accueilli avec gratitude par les Palestiniens et avec réserve par Israël. François a maintenu des relations cordiales avec les dirigeants palestiniens (comme le président Abu Mazen) tout en dialoguant avec Israël, déplorant toute violence et appelant à garantir le statu quo de Jérusalem. Face aux guerres récurrentes au Moyen-Orient (Syrie, Irak, Yémen), le pape a inlassablement appelé au cessez-le-feu et au respect du droit humanitaire. Dans le récent conflit entre Israël et le Hamas (2023), le Vatican a demandé une trêve et la libération des otages, cherchant un équilibre difficile : François a condamné le terrorisme du Hamas mais a également mis en garde Israël contre la tentation d’une réponse indiscriminée frappant des civils innocents. Cette posture équilibrée – visant à préserver une possibilité de médiation – a suscité des réactions contrastées : certaines communautés juives ont critiqué le pape pour une équidistance jugée excessive, mais le Vatican revendique une ligne cohérente de défense de toutes les vies humaines et de promotion du dialogue, même dans les moments les plus tragiques.

En résumé, la géopolitique vaticane sous le pape François se caractérise par un style à la fois pastoral et pragmatique. Le pontife recherche la proximité des périphéries existentielles de la planète, se faisant porte-parole des peuples les plus faibles, et intervient parallèlement sur les grandes questions mondiales (des migrations au climat, en passant par le désarmement nucléaire), s’adressant aux puissants avec franchise. Cela, sans abandonner la tradition diplomatique vaticane de neutralité active : le pape propose la médiation du Saint-Siège dans chaque crise (du Venezuela à la péninsule coréenne) et maintient le dialogue ouvert avec tous, convaincu que même des décisions impopulaires peuvent servir à construire des ponts. Cette stratégie a produit des succès (comme l’accord USA-Cuba) ainsi que des échecs ou des critiques (la guerre en Ukraine, les relations avec la Chine), mais elle montre un Vatican présent sur tous les fronts internationaux. Comme l’a affirmé François lui-même, l’Église ne cherche pas le pouvoir politique pour elle-même, mais veut être une voix prophétique dans le concert des nations, rappelant les principes de paix, de justice et de dignité humaine.

L’influence du Vatican sur les politiques d’autres États

Le pape François visite les migrants dans le camp de Moria (Lesbos, 2016), rencontrant des réfugiés fuyant la guerre et la pauvreté. Le pontife a fait de la défense des migrants, des pauvres et de l’environnement des thèmes centraux, cherchant à influencer les consciences et les politiques mondiales.

Malgré sa nature religieuse et l’absence d’un pouvoir temporel étendu, le Vatican exerce une influence significative sur les débats éthiques et les politiques de nombreux pays. Le Saint-Siège intervient dans les instances internationales – comme l’ONU et l’Union européenne – pour promouvoir ce qu’il considère comme la dignité de la personne humaine, du commencement à la fin naturelle de la vie, la protection des droits fondamentaux et la solidarité envers les plus vulnérables. Cette influence se manifeste à travers le magistère du pape François (documents, discours, voyages) ainsi que par l’action diplomatique et pastorale des représentants du Vatican et des conférences épiscopales locales.

Sur la question de l’avortement, le Vatican maintient une position ferme en défense de la vie naissante, en continuité avec les pontificats précédents. Le pape François a employé des mots très durs, qualifiant l’avortement d’assassinat et le comparant à louer un tueur à gages pour éliminer une vie innocente. Ces déclarations ont un écho tant dans les pays majoritairement catholiques engagés dans des débats législatifs sur l’avortement qu’à l’échelle mondiale. Par exemple, le Saint-Siège a contesté les efforts d’organismes internationaux pour définir l’avortement comme un droit humain : à l’ONU, le représentant du Vatican a déclaré que parler de droit à l’avortement viole les principes moraux et juridiques et risque de détourner l’attention des véritables besoins des mères et des enfants. Dans une intervention aux Nations Unies, le délégué pontifical a rappelé que promouvoir des services de santé reproductive ne peut se traduire par l’élimination de vies humaines sans défense, exhortant plutôt les États à soutenir les familles et les mères en difficulté. Cette position influente a parfois contribué à freiner ou modérer des législations favorables à l’avortement : en Amérique latine, par exemple, l’Église catholique est souvent à la tête de mouvements pro-vie capables d’influer sur le débat public (comme on l’a vu lors des référendums en Argentine et au Chili). En Europe de l’Est, des pays comme la Pologne ont des lois restrictives sur l’avortement en partie attribuables au poids culturel et politique du catholicisme. Il convient de noter que le pape François, tout en réaffirmant la condamnation de l’avortement, invite à aborder la question non seulement sur un plan légal et punitif, mais surtout avec accompagnement et miséricorde envers les femmes, en renforçant les alternatives et le soutien à la maternité. Cela montre une tentative d’influence morale non conflictuelle mais persuasive.

En matière de droits humains, le Vatican promeut une conception intégrale qui inclut à la fois les droits à la vie et à la liberté religieuse, ainsi que les droits sociaux (nourriture, travail, santé) et environnementaux. Le pape François a élevé la voix de l’Église pour défendre les peuples opprimés et les minorités persécutées. Par exemple, il a dénoncé avec force les persécutions des chrétiens et d’autres minorités ethniques et religieuses au Moyen-Orient (Irak, Syrie) et en Asie (comme les Rohingyas musulmans au Myanmar, qu’il a qualifiés de frères persécutés en 2017). Ces appels ont contribué à sensibiliser l’opinion publique internationale et à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils offrent protection et asile aux réfugiés. De plus, François a accompli des gestes symboliques puissants en faveur de la liberté religieuse : en 2019, il a signé à Abu Dhabi avec le Grand Imam d’Al-Azhar un Document sur la Fraternité Humaine, promouvant le respect mutuel entre les religions et condamnant la violence fondamentaliste. Ce document est cité dans les instances de l’ONU comme un exemple d’engagement interreligieux pour les droits humains. Concernant la peine de mort, le pontificat de François a marqué une évolution doctrinale significative : en 2018, le Catéchisme a été mis à jour pour déclarer la peine capitale inadmissible, et le Saint-Siège s’est fait porte-parole de moratoires universels et d’abolitions dans divers pays. Cette position, exprimée également dans le discours papal au Congrès américain, a renforcé les mouvements abolitionnistes et trouvé un écho dans les résolutions de l’ONU pour un moratoire sur les exécutions. En somme, le Vatican de François cherche à influencer les politiques étatiques en rappelant toujours la primauté de la dignité humaine : par exemple, lors des négociations de l’Agenda 2030 de l’ONU, le Saint-Siège a insisté pour que le développement et les droits aillent de pair avec le respect de la loi naturelle et des différences culturelles.

Un domaine où l’influence de François a été particulièrement visible est celui des migrants et des réfugiés. Dès le début de son pontificat, le pape a placé au centre le drame de millions de personnes contraintes de migrer à cause des guerres, de la faim ou des crises climatiques. En juillet 2013, à Lampedusa, il a prononcé des paroles qui ont secoué les consciences européennes : il a parlé de mondialisation de l’indifférence face au sort des migrants morts en mer, demandant « Où est ton frère ? » pour réveiller responsabilités et compassion. Depuis lors, François a exhorté à plusieurs reprises les gouvernements à accueillir ceux qui fuient et à protéger les réfugiés, rappelant que le frère qui frappe à la porte mérite amour et hospitalité. Cette insistance morale a eu un impact sur le débat public, notamment en Europe : bien que les réponses politiques varient, l’appel papal à la solidarité a soutenu des initiatives humanitaires (comme les couloirs humanitaires promus par des communautés catholiques) et influencé des documents comme le Pacte Mondial sur les Réfugiés de l’ONU, où l’on retrouve des principes chers à la doctrine sociale de l’Église (partage des responsabilités, centralité de la personne). Des exemples concrets abondent : la décision de l’Italie de lancer des missions de sauvetage en Méditerranée (comme Mare Nostrum en 2013-2014) a été encouragée par le climat d’opinion sensibilisé, en partie grâce à la voix du pape. En Grèce, lors de la crise migratoire de 2015-2016, François a visité le camp de Lesbos et a accompli un geste extraordinaire en ramenant à Rome trois familles de réfugiés syriens, symbolisant ce que les États devraient faire. Ces actes ont une valeur diplomatique autant que pastorale : ils montrent que le Vatican est prêt à jouer son rôle et donnent au pape une grande autorité pour demander des politiques plus humaines. François a qualifié le refus de secourir les migrants en mer de péché grave de l’Occident, des mots qui pèsent sur la conscience des dirigeants politiques. En 2023, à l’occasion des 10 ans de Lampedusa, le pontife a réaffirmé que nous ne pouvons rester indifférents aux massacres silencieux qui transforment la Méditerranée en cimetière. Cette pression morale a contribué, par exemple, à la création de programmes de relocalisation des demandeurs d’asile dans l’UE et à un engagement accru de certaines nations dans la réinstallation des réfugiés des camps surpeuplés.

La protection de la création et la lutte contre le changement climatique représentent également un domaine où l’influence du pape François s’est faite fortement ressentir. En 2015, le pape a publié l’encyclique Laudato Si’, un texte historique où la crise environnementale est abordée comme une question morale et spirituelle globale. François y affirme qu’il existe un solide consensus scientifique sur l’origine humaine du réchauffement climatique et qu’y faire face est un impératif moral pour protéger les pauvres et les générations futures. L’encyclique a eu un impact immédiat sur la scène internationale : publiée quelques mois avant la Conférence de Paris (COP21) sur le climat, elle a contribué à créer un climat favorable à un accord ambitieux. Des dirigeants mondiaux et des responsables de l’ONU ont publiquement salué Laudato Si’ : le Secrétaire général Ban Ki-moon a accueilli le document en soulignant l’importance de placer le bien commun mondial au-dessus des intérêts nationaux dans les décisions climatiques. De nombreux chefs d’État, dont le président Obama, ont cité l’autorité morale du pape pour convaincre les opinions publiques de la nécessité d’agir contre le réchauffement global. En effet, Laudato Si’ a fourni un lexique éthique aux négociations de la COP21 et est considérée comme un facteur ayant facilité l’adhésion de pays réticents à l’Accord de Paris. Depuis lors, François est devenu une référence pour les mouvements écologistes modérés : son insistance sur l’écologie intégrale (qui unit justice sociale et environnementale) a influencé des politiques comme le Green Deal européen, où transparaît l’idée d’une transition écologique protégeant les plus faibles. En 2021-2022, le Saint-Siège a officiellement adhéré à l’Accord de Paris sur le climat et au Traité de l’ONU pour l’interdiction des armes nucléaires, en cohérence avec l’action papale sur l’environnement et la paix. De plus, l’engagement du Vatican a poussé les églises locales et les institutions catholiques à des choix concrets (du désinvestissement dans les énergies fossiles à la promotion des énergies renouvelables dans leurs infrastructures), donnant l’exemple et encourageant les gouvernements. On peut dire que François a redonné une voix prophétique à l’Église sur des thèmes comme le climat et le développement durable : son intervention, bien que non contraignante, oriente le débat public et offre souvent un appui à ces dirigeants politiques qui poussent pour des politiques plus éthiques. Par exemple, lors des difficiles négociations sur le Pacte Mondial pour les Migrations (2018) et sur les Objectifs de Développement Durable, le rappel du pape à privilégier le bien commun sur les égoïsmes nationaux est fréquemment cité par les diplomates comme un soutien autorisé.

Enfin, le poids de l’Église catholique dans les décisions politiques internationales se remarque également dans des domaines comme la diplomatie humanitaire et la construction de la paix. Le Vatican, fort de sa neutralité et de sa crédibilité morale, agit souvent comme un médiateur discret dans les crises locales : par exemple, il a facilité des pourparlers de paix au Venezuela (entre gouvernement et opposition) et accompagné les processus de réconciliation en Colombie (après l’accord avec les FARC en 2016, soutenant le difficile chemin de mise en œuvre). En Afrique, l’Église locale, avec le soutien du Saint-Siège, a contribué à la paix dans des pays comme la République centrafricaine – François s’est rendu à Bangui en 2015 en plein conflit, ouvrant la Porte Sainte de la cathédrale comme signe de pacification – ou le Soudan du Sud, où en 2019, le pape a accompli le geste spectaculaire de s’agenouiller pour baiser les pieds des leaders rivaux, demandant la fin de la guerre civile. Ces actions ont un fort impact symbolique et parfois politique : le gouvernement de Juba a ensuite formé un exécutif d’unité nationale, reconnaissant également l’élan moral venu de Rome. Le Saint-Siège, bien qu’il n’ait pas de vote délibératif à l’ONU (il est Observateur Permanent), influe sur les textes finaux de nombreuses résolutions par la persuasion morale et les alliances avec des pays sensibles à ses thèmes (notamment sur les questions éthiques et humanitaires). En définitive, le pontificat de François a accentué l’idée de l’Église comme hôpital de campagne au service de l’humanité blessée : cette attitude pastorale, traduite en lignes diplomatiques, a renforcé l’autorité du Vatican comme conscience morale globale, influençant les législations et les accords internationaux là où sont en jeu la protection de la vie, des faibles et de la création.

 Rapports internes à l’Église et répercussions sur la géopolitique ecclésiale

Au sein de l’Église catholique, le pontificat de François a vu émerger des tensions entre différents courants théologiques et culturels, et les réformes promues par le pape ont influé sur les équilibres mondiaux de l’institution ecclésiale, avec des effets potentiels sur son poids international. Dès l’élection de François (premier pape latino-américain et jésuite de l’histoire), son intention d’imprimer à l’Église un style plus collégial, simple et orienté vers les problèmes concrets de l’humanité est apparue évidente. Ce changement d’accent – par rapport aux pontificats précédents, davantage centrés sur la doctrine et l’identité catholique en opposition au monde sécularisé – a suscité un grand enthousiasme chez beaucoup, mais aussi des résistances dans certains secteurs de l’Église, notamment dans l’aile traditionaliste et conservatrice. Ces dynamiques internes ne sont pas de simples querelles locales : elles ont des répercussions géopolitiques, car une Église unie ou divisée influe différemment sur sa capacité d’influence extérieure et parce que les choix internes de gouvernance peuvent redéfinir les rapports de force entre les différentes régions du monde catholique.

Une première aire de réformes a été la Curie romaine – le gouvernement central de l’Église – que le pape François a voulu rendre plus agile, transparente et représentative. Après des années de commissions et de consultations, en mars 2022, il a promulgué la nouvelle Constitution Praedicate Evangelium, qui redessine la structure des dicastères du Vatican. Les nouveautés sont notables : Praedicate Evangelium établit, par exemple, que les dicastères (ministères) du Saint-Siège peuvent être dirigés également par des laïcs, hommes ou femmes, et non plus nécessairement par des cardinaux ou des évêques. Cela signifie que le pouvoir de gouvernance dans l’Église est reconnu comme ne découlant pas uniquement de l’ordination sacerdotale, mais d’une mission canonique conférée par l’autorité (c’est-à-dire le pape). Ce changement ouvre la voie à une plus grande implication des laïcs experts dans les hautes sphères du Vatican – un signe de décentralisation interne et de valorisation des compétences au-delà de la hiérarchie cléricale. De plus, François a fusionné ou réorganisé divers bureaux (par exemple, il a regroupé en un seul dicastère de nombreuses compétences sur le développement humain intégral, la famille et la vie) et a placé l’évangélisation comme priorité : symboliquement, dans le nouvel ordonnancement, le Dicastère pour l’Évangélisation précède celui pour la Doctrine de la Foi, inversant l’ordre traditionnel et indiquant que l’Église entend avant tout annoncer l’Évangile au monde. Ces réformes structurelles visent à rendre la machine vaticane plus fonctionnelle à la mission globale de l’Église, mais elles ont rencontré des résistances de la part de ceux qui craignaient une dénaturation de la Curie ou la perte de positions acquises. En effet, quelques frictions internes se sont manifestées : par exemple, la réduction du poids de certains dicastères historiques et le départ à la retraite de figures de la vieille garde curiale (liées aux pontificats précédents) ont provoqué des mécontentements. Cependant, François a poursuivi la réforme, soutenu par la majorité des cardinaux (qui l’avaient demandée lors des congrégations pré-conclave). Le résultat est une Curie plus internationale (aujourd’hui, les chefs des dicastères viennent de tous les continents, reflétant la catholicité globale) et plus attentive à la crédibilité éthique : parallèlement, le pape a mis en place des mesures anti-corruption et de transparence financière au Vatican, avec des procès impliquant même des cardinaux de la Curie mêlés à des scandales économiques. Une Curie renouvelée et purifiée peut renforcer l’autorité morale du Saint-Siège sur la scène mondiale, alors que les scandales l’avaient affaiblie. Ainsi, les réformes internes influent indirectement sur la géopolitique vaticane, car de la crédibilité et du bon fonctionnement du centre dépend la force diplomatique et spirituelle à l’extérieur.

La synodalité est l’autre grand chantier du pape François. Ce terme désigne l’implication active des évêques du monde entier (et en partie des laïcs) dans le gouvernement de l’Église, à travers le Synode des évêques et d’autres organes de consultation. François a convoqué des synodes sur des questions sensibles – la famille (2014-2015), les jeunes (2018), l’Amazonie (2019) – encourageant un débat franc, même au prix de faire émerger des divergences. En particulier, les deux synodes sur la famille ont vu s’affronter ouvertement des positions différentes sur des thèmes comme la communion pour les divorcés remariés, la pastorale envers les couples homosexuels, etc. À l’issue, dans l’exhortation Amoris Laetitia (2016), le pape a opté pour une ligne de compréhension pastorale renouvelée, ouvrant (sous certaines conditions précises) la possibilité d’absolution et de communion pour certains divorcés remariés civilement. Cette nouveauté, bien qu’exprimée avec prudence, a suscité la réaction critique des secteurs conservateurs : quatre cardinaux (Burke, Caffarra, Brandmüller, Meisner) ont publié en 2016 des dubia – des questions formelles au pape – exprimant des doutes sur la doctrine contenue dans Amoris Laetitia. C’était un acte exceptionnel de dissension publique de la part de hauts prélats. François a décidé de ne pas répondre directement aux dubia, réaffirmant toutefois qu’il ne s’agissait pas de changer la doctrine mais seulement la discipline pastorale. Cet épisode montre que les tensions internes ont atteint un niveau inhabituel : des membres de la hiérarchie ont exprimé une opposition ouverte aux orientations du pape, parfois en utilisant les médias et des canaux non officiels, créant de la confusion parmi les fidèles. Une analyse des jésuites dans La Civiltà Cattolica notait que cette opposition semble souvent maladroite, c’est-à-dire hors des canaux ecclésiaux habituels, et touche même des thèmes fondamentaux comme l’autorité du pape et la liturgie. Dans certains cas, le Bureau de presse du Vatican a dû intervenir pour démentir des interprétations erronées ou des fausses nouvelles diffusées sur des blogs traditionalistes. Cela indique que la polarisation interne est devenue une partie de la géopolitique interne de l’Église : une sorte de guerre culturelle menée aussi à travers les médias, avec un écho international (pensons aux critiques de François venant de certains milieux catholiques américains proches de positions politico-culturelles conservatrices).

Les courants en tension peuvent être grossièrement identifiés comme une aile progressiste ou réformatrice et une aile conservatrice ou traditionaliste. La première soutient avec enthousiasme l’agenda du pape François sur la miséricorde, la justice sociale, l’écologie intégrale, et espère des ouvertures supplémentaires (rôle des femmes, révision du célibat obligatoire, accueil des personnes LGBTQ, réforme de la morale sexuelle). La seconde craint que la doctrine ne soit relativisée et que l’identité catholique ne s’affaiblisse, critique des gestes comme la restriction de la messe tridentine (Motu proprio Traditionis Custodes, 2021) ou les concessions pastorales dans Amoris Laetitia, et souhaiterait un retour à une application plus rigoureuse de la discipline traditionnelle. Ces tensions se reflètent géographiquement : par exemple, en Allemagne, le Chemin synodal lancé en 2019 (qui propose des réformes audacieuses sur la morale sexuelle, le pouvoir dans l’Église, les ministères féminins) a poussé l’Église allemande vers des positions très avancées qui ont alarmé Rome, au point que certains redoutent un schisme si l’on persiste sur des lignes incompatibles avec le magistère universel. Le Saint-Siège a rappelé les évêques allemands à l’unité, envoyant des délégués romains pour dialoguer ; jusqu’à présent, le schisme a été évité, mais il reste que des différences doctrinales internes pourraient déboucher sur des divisions visibles et miner l’unité catholique. Aux États-Unis également, une fronde conservatrice significative a émergé : des figures comme l’archevêque Viganò ont même demandé (en 2018) la démission du pape, l’accusant d’une mauvaise gestion d’un cas d’abus (affaire McCarrick). Bien qu’il s’agisse d’un cas isolé et personnel, cela a montré jusqu’où pouvait aller l’hostilité de certains envers François. Cependant, François a tenu fermement la barre : il a répondu aux critiques indirectement, appelant tous à un esprit d’unité et de discernement. En 2019, lors du Synode sur l’Amazonie, certaines franges traditionalistes ont monté une polémique sur la présence de statuettes indigènes (pachamama) au Vatican, accusant le pape de syncrétisme idolâtrique. François n’a pas cédé à la provocation et a poursuivi le dialogue avec les peuples amazoniens, tout en décidant finalement de ne pas ouvrir (pour l’instant) aux prêtres mariés en Amazonie, signe qu’il cherche aussi à ne pas diviser l’Église avec des décisions précipitées.

Les réformes du pape François visent donc à une Église plus évangélique et moins mondaine, et elles transforment le visage du catholicisme mondial. Il a internationalisé le Collège cardinalice, nommant des cardinaux issus de pays périphériques (par exemple, les premiers cardinaux du Myanmar, de Brunei, de Tonga, etc.), de sorte que dans le futur conclave, les voix extra-européennes seront plus nombreuses que jamais. Ce déplacement vers le Sud global répond à la réalité d’une Église désormais majoritairement présente en Afrique, en Asie et en Amérique latine, et aura des effets géopolitiques : les sensibilités de ces régions pèseront dans les choix communs (pensons aux priorités différentes, comme les Africains plus conservateurs sur l’éthique familiale, les Latino-Américains plus engagés sur la justice sociale, etc.). La synodalité permanente, promue avec le Synode 2021-2024 sur la synodalité elle-même, tend à impliquer tout le Peuple de Dieu dans le discernement : cela pourrait rendre l’Église plus unie localement mais diversifiée dans ses expressions, et exige un équilibre pour ne pas compromettre l’unité doctrinale. Certains observateurs parlent de changements historiques possibles à l’horizon (comme le diaconat féminin ou une plus grande autonomie des conférences épiscopales) – des éléments qui modifieraient la dynamique du pouvoir interne et donc l’assise géopolitique de l’Église.

Il est indéniable que les tensions internes ont temporairement quelque peu terni l’image de cohésion de l’Église : là où auparavant les divergences restaient enfermées dans les Palais Sacrés, elles deviennent parfois publiques, offrant aux médias l’idée d’une Église divisée. Cela pourrait affaiblir sa voix internationale, car les dirigeants politiques peuvent percevoir une moindre incivilité si le monde catholique semble fragmenté. Cependant, le pape François semble convaincu qu’une Église en dialogue interne, même avec des moments de conflit, est en réalité plus forte et crédible qu’une Église monolithique mais éloignée de la réalité. Il soutient que l’unité prévaut sur le conflit, mais que le conflit doit être traversé et non évité. En effet, la décennie de François a également vu une vitalité notable : de nombreux catholiques se sont rapprochés, se sentant enfin écoutés, et l’Église a acquis un visage plus miséricordieux qui attire la sympathie dans le monde. L’équilibre mondial interne se déplace : moins eurocentrique et plus polycentrique. Cela influe sur l’influence internationale, car l’Église de François parle souvent avec un accent latino-américain (le pape lui-même) ou asiatique ou africain (pensons aux documents du Vatican sur l’économie signés par des cardinaux du Sud global). Cela la rend plus universelle et capable d’intercepter les problèmes mondiaux, mais peut aussi générer des malentendus avec des milieux occidentaux habitués à un style différent. Par exemple, l’insistance de François sur les thèmes sociaux et environnementaux est très appréciée par les églises des pays en développement, tandis que certains catholiques en Amérique du Nord l’ont critiquée comme trop politique ou de gauche.

En conclusion, les dynamiques internes du pontificat – réformes et tensions – ont des répercussions sur la géopolitique ecclésiale. D’un côté, les réformes de François visent à rendre l’Église plus fidèle à l’Évangile et plus proche des gens, ce qui, à long terme, pourrait renforcer sa crédibilité et donc son influence dans le monde. Une Église moins attachée aux privilèges, plus pauvre et synodale, peut parler avec plus d’autorité morale de paix, de justice et de soin de la création. D’un autre côté, les résistances internes rappellent que l’Église est aussi une réalité humaine avec des divisions : François lui-même a qualifié son pontificat de dramatique car marqué par des luttes spirituelles, comparant ces tensions à la bataille entre deux drapeaux de saint Ignace. Jusqu’à présent, le pape a réussi à maintenir une unité substantielle (aucun schisme formel n’a eu lieu) et à faire avancer une grande partie de son programme. Le prochain défi sera de s’assurer que le changement initié s’enracine également après lui. Quoi qu’il en soit, le pontificat de François a remis en lumière le rôle mondial de l’Église non seulement pour ce qu’elle dit au monde, mais aussi pour ce qu’elle fait en son sein : témoigner de la synodalité, de la justice et de la transparence en son sein rend le message du Vatican bien plus efficace aux yeux des nations. Comme le documente le récent livre autobiographique du pape, François veut faire entendre sa voix dans un monde qui s’éloigne des valeurs chrétiennes, et pour ce faire, il forge une Église en sortie, purifiée et fraternelle. Si ce processus réussit, l’influence internationale du Vatican ne pourra qu’en bénéficier, confirmant le pape comme un leader spirituel de stature mondiale capable d’influer tant sur la conscience des peuples que sur les décisions des puissants.

 Divisions internes et impact sur le prochain conclave

Ces dernières années du pontificat de François, des tensions significatives ont émergé entre les courants ecclésiaux progressistes, conservateurs et traditionalistes. Les cardinaux et évêques progressistes soutiennent les réformes lancées par le pape François – telles qu’une plus grande implication des laïcs, une Église en sortie vers les périphéries existentielles et une approche pastorale de miséricorde – et certains poussent pour des ouvertures supplémentaires (par exemple, dans le cadre du chemin synodal allemand sur des thèmes comme le rôle des femmes ou les unions homosexuelles). En revanche, les secteurs conservateurs et traditionalistes regardent ces changements avec inquiétude : ils dénoncent une certaine ambiguïté doctrinale et un style de gouvernement perçu comme centralisateur de la part de François. Un influent mémorandum anonyme circulant au Vatican (sous le pseudonyme Demos) soutient même que l’Église est aujourd’hui plus fragmentée qu’à aucun autre moment de son histoire récente, en raison de confusions doctrinales et de conflits internes. En particulier, les traditionalistes attachés à la messe en rite ancien ont vécu avec douleur les restrictions imposées par François (Motu Proprio Traditionis Custodes, 2021), faisant du rétablissement de la liturgie tridentine un combat symbolique (le même mémo note que le thème de la Latin Mass est prioritaire pour de nombreux ecclésiastiques conservateurs).

Ces divisions auront inévitablement un impact sur le conclave qui devra élire son successeur. On peut envisager une sorte de confrontation souterraine entre ceux qui souhaiteront un François II – c’est-à-dire un pape en continuité avec la ligne réformatrice – et ceux qui, au contraire, aspirent à un retour à un style plus traditionnel, dans la lignée de Jean-Paul II ou de Benoît XVI. En prévision d’une éventuelle vacance du siège, les deux camps se mobilisent : d’un côté, les cardinaux proches de François dialoguent informellement entre eux pour réfléchir à la manière de poursuivre son programme ; de l’autre, les cardinaux conservateurs ont commencé à se coordonner, notamment à travers des lettres ouvertes et des documents confidentiels, pour influencer le prochain conclave. Par exemple, cinq cardinaux (dont Burke, Sarah et d’autres) ont présenté des doléances au pape sur des questions doctrinales en octobre 2023, signe d’une fronde cherchant à marquer les limites de l’orthodoxie en vue de l’avenir.

Il faut noter que le pape François a nommé la majorité des cardinaux électeurs (environ 63 % d’ici 2025), dont beaucoup proviennent d’Églises périphériques d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Cela devrait, en théorie, favoriser l’élection d’un pontife en phase avec sa vision. Cependant, paradoxalement, la diversité géographique et la rareté des rencontres collégiales ont réduit la cohésion du Collège : nombre de cardinaux nommés par François viennent de contextes éloignés et se connaissent peu entre eux. Selon les observateurs, il n’existe pas de bloc bergoglien compact : en conclave, les progressistes pourraient manquer d’une stratégie unifiée, tandis que les conservateurs – bien que minoritaires – pourraient tirer parti de leur poids comme front de blocage. Il suffirait en effet d’un tiers des voix pour empêcher l’élection d’un candidat jugé inacceptable, et la faction traditionaliste dispose d’un pourcentage proche de ce seuil. En revanche, le courant ultra-traditionaliste nostalgique d’un retour à l’avant-2013 reste très limité et aura du mal à imposer un candidat pur. Un scénario de négociations et de compromis semble plus probable : les cardinaux alignés sur François pourraient converger sur un modéré perçu comme fiable, tandis que les conservateurs pourraient chercher des alliances transversales pour soutenir un papabile moins radical que François mais acceptable pour la majorité. Comme le soulignait un expert vaticaniste, en conclave, les cordées initiales se désagrègent souvent et les cardinaux finissent par élire un pape contraire à la volonté de chacun individuellement, fruit d’une convergence collective imprévisible. En somme, les tensions idéologiques seront un facteur important dans le prochain conclave, mais l’issue finale pourrait surprendre par rapport aux simples divisions progressistes/conservateurs, émergeant peut-être de nouvelles alliances et d’une recherche pragmatique d’un pape d’unité dans la continuité.

 Perspectives pour l’avenir de l’Église : Continuité ou tournant ?

Le pontificat de François a insufflé une forte impulsion pastorale et réformatrice : centralité des pauvres et des exclus, miséricorde envers les fragilités humaines, dialogue avec le monde contemporain et renouveau des structures ecclésiales (comme la réforme de la Curie avec la Constitution Praedicate Evangelium de 2022). Face à une possible fin de ce pontificat, la question se pose de savoir si l’Église poursuivra sur cette voie ou connaîtra un changement de direction. Deux scénarios principaux s’ouvrent, bien qu’ils ne soient pas mutuellement exclusifs : un de continuité avec la ligne de François, l’autre de retour partiel vers des positions plus conservatrices.

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Continuité bergoglienne

Dans ce cas, le nouveau pape poursuivrait le processus initié par François. Cela signifierait consolider un style de gouvernement plus synodal et collégial, en encourageant la participation par le bas (comme cela a émergé dans le récent Synode sur la synodalité). Sur le plan doctrinal, il n’y aurait pas de révolutions, mais les ouvertures pastorales déjà esquissées seraient approfondies : par exemple, une application plus systématique d’Amoris Laetitia dans l’accompagnement des familles blessées, une plus grande intégration des divorcés remariés et des personnes LGBT (tout en maintenant l’enseignement officiel sur le mariage), et peut-être des avancées comme l’étude d’un éventuel diaconat féminin. La vision sociale de l’Église resterait centrée sur les périphéries et la justice : le nouveau pape continuerait à dénoncer les inégalités mondiales, à s’engager sur les questions environnementales (dans la lignée de l’encyclique Laudato Si’) et à promouvoir une culture de la rencontre avec les croyants d’autres confessions et les non-croyants. En matière de gouvernance, l’application de Praedicate Evangelium se poursuivrait avec une Curie plus légère au service des Églises locales. Beaucoup de cardinaux électeurs partagent en effet les lignes du Concile Vatican II et du pontificat de François, de sorte qu’un successeur en syntonie garantirait une stabilité dans le chemin entrepris. Comme le souligne le vaticaniste Fabio Zavattaro, un retour total au passé est improbable, car même des pontifes considérés comme traditionnels, comme Benoît XVI, ont en réalité poursuivi les réformes de leurs prédécesseurs, bien qu’avec un style différent. En d’autres termes, l’Église du futur continuera à évoluer dans le sillon tracé par le Concile Vatican II, avec d’éventuelles variations d’accent mais sans renier l’orientation générale vers une Église pauvre, miséricordieuse et ouverte au dialogue.

Changement conservateur/modérateur

L’alternative serait l’élection d’un pape plus enclin à corriger le tir sur certains aspects du pontificat récent. Dans ce cas, il est difficile d’imaginer un bouleversement radical du magistère (personne ne remettrait en question, par exemple, l’engagement pour la défense de la vie ou les principes du Vatican II), mais le nouveau pape pourrait imprimer un changement de style et accentuer la continuité doctrinale avec le passé. Plusieurs cardinaux ont exprimé le souhait d’une plus grande clarté doctrinale : « le pape n’est pas un autocrate… il ne peut pas changer la doctrine à sa guise », lit-on dans le mémorandum The Vatican Tomorrow, exhortant le prochain pontife à restaurer une solide herméneutique de la continuité avec l’enseignement pérenne de l’Église. Un pape d’orientation plus conservatrice pourrait ainsi renforcer le rappel à la tradition en matière de morale et de discipline : par exemple, en réaffirmant avec fermeté l’indissolubilité du mariage et la doctrine sexuelle (mettant fin aux ambiguïtés interprétatives qui, selon certains, ont nourri des impulsions schismatiques) et en adoptant une plus grande prudence sur des thèmes comme les bénédictions des couples homosexuels ou l’intercommunion avec les protestants. Parallèlement, il pourrait renouer avec l’aile traditionaliste, peut-être en assouplissant les restrictions sur la messe ancienne pour favoriser une réconciliation avec les groupes liés au rite tridentin. Sur le plan de la gouvernance interne, un tournant conservateur impliquerait aussi de renouer avec des pratiques de collégialité formelle mises de côté : par exemple, convoquer des consistoires et des réunions régulières du Collège cardinalice, que François avait suspendues au début de son pontificat, pour restaurer la confiance et le dialogue entre les cardinaux. De plus, un pape plus modéré ou traditionnel pourrait accorder une attention accrue à l’Europe (comme certains le demandent, vu l’avancée de la sécularisation dans cette région) et modérer les voyages internationaux, en se concentrant sur la réévangélisation des racines chrétiennes du Vieux Continent.

Dans tous les cas, que la continuité l’emporte ou qu’un changement partiel s’opère, le nouveau pontife devra relever des défis urgents hérités de François. Tout d’abord, maintenir l’unité ecclésiale après des années de polarisation : il sera crucial de panser l’Église plus fracturée que jamais évoquée par le mémo Demos, en écoutant les différentes sensibilités et peut-être en nommant des figures de divers courants à des postes clés pour apaiser les divisions. Ensuite, il devra poursuivre le rôle géopolitique du Vatican sur des dossiers délicats : la guerre en Ukraine (où le Saint-Siège s’est engagé dans des médiations de paix), le dialogue avec la Chine (notamment la gestion de l’accord sur la nomination des évêques), les crises migratoires et climatiques mondiales. François laisse en héritage une Église plus présente dans le débat international (pensons aux encycliques Laudato Si’ et Fratelli Tutti), et le successeur – qu’il soit progressiste ou conservateur – pourra difficilement ignorer ces thèmes. L’approche pourrait toutefois varier : un pape en ligne avec François continuerait à parler d’écologie intégrale et de justice sociale avec des tons prophétiques, tandis qu’un pape plus traditionaliste pourrait privilégier les thèmes identitaires (liberté religieuse, défense de la famille) dans ses relations avec les gouvernements, sans pour autant abandonner l’engagement pour les pauvres, désormais partie intégrante de l’Évangile social de l’Église. En somme, la direction générale de la barque de Pierre – tracée par le Concile et les pontificats récents – ne sera pas inversée, mais le timonier pourra choisir quels aspects mettre en avant pour guider l’Église dans la prochaine étape de sa navigation.

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Les principaux successeurs possibles : Profils et effets géopolitiques possibles

Dans les spéculations sur le futur pape, plusieurs cardinaux se démarquent, chacun représentant des courants et des zones géographiques différentes. Voici une analyse des principaux candidats au papauté évoqués par les observateurs, mettant en lumière leurs positions théologiques, leur orientation intra-ecclésiale, leur influence continentale et leurs impacts potentiels sur la géopolitique vaticane :

– Cardinal Pietro Parolin (Italie) – 70 ans, Secrétaire d’État du Vatican. C’est le diplomate le plus expérimenté du Saint-Siège et l’un des plus proches collaborateurs de François. Théologiquement, il est considéré comme un modéré centriste et un homme de médiation : on dit de lui qu’il est prudent et pragmatique, peu enclin aux extrémismes. Au sein de l’Église, il est largement apprécié : certains cardinaux conservateurs le voient même comme le candidat le plus fiable pour contenir certaines exubérances réformatrices, preuve qu’il est perçu comme une figure d’équilibre. Sur le plan international, il a un profil très influent : il a contribué au rapprochement historique entre les États-Unis et Cuba en 2014 et a été l’artisan de dialogues complexes (de l’accord provisoire avec la Chine sur la nomination des évêques à sa récente visite en Ukraine en 2024 en plein conflit). Son éventuelle élection garantirait une continuité dans la ligne diplomatique vaticane – Parolin est qualifié de candidat à battre également pour sa notoriété et sa compétence – et probablement un pontificat sans bouleversements doctrinaux, mais attentif à maintenir la présence de l’Église dans les grands scénarios géopolitiques. D’un point de vue géopolitique, un pape Parolin chercherait à consolider le rôle de facilitateur du Saint-Siège dans les conflits (comme François a tenté de le faire en Ukraine) et les crises internationales, en utilisant le soft power du Vatican pour construire des ponts, même entre blocs opposés.

– Cardinal Matteo Maria Zuppi (Italie) – 68 ans, archevêque de Bologne et président de la CEI. Né à Rome, il est lié à la Communauté de Sant’Egidio, connue pour son engagement œcuménique, caritatif et de médiation de paix. Sur le plan théologique et pastoral, Zuppi incarne l’aile progressiste modérée : il a une vision très pastorale et sociale de l’Église, plaçant les pauvres, les migrants et les périphéries au centre, en pleine syntonie avec le pontificat de François. Il est considéré comme un homme de dialogue plutôt que de confrontation idéologique. Au sein de l’Église, il jouit d’une large estime : dans le conflit entre conservateurs et progressistes, il est vu comme une figure capable de poursuivre les réformes bergogliennes sans rupture, en guidant l’Église hors des sables mouvants de la polarisation grâce à des qualités de médiation et de paix universellement reconnues. À l’échelle continentale, bien qu’européen, son influence dépasse l’Italie : grâce à Sant’Egidio, il a acquis une expérience diplomatique en Afrique (négociations de paix au Mozambique dans les années 90) et a récemment été envoyé spécial du pape pour la guerre en Ukraine, visitant Kiev, Moscou et Washington dans un effort délicat de pacification. Un pape Zuppi poursuivrait probablement le style inclusif et missionnaire de François, avec une emphasis particulière sur la vocation pacificatrice de l’Église dans le monde (son pontificat renforcerait l’engagement du Vatican dans les conflits internationaux, grâce aux contacts de Sant’Egidio) et sur la collégialité ecclésiale. Son élection serait perçue comme un signe de continuité dans les réformes du Concile Vatican II (Zuppi est un fils spirituel de ces ouvertures conciliaires), mais aussi comme un choix d’unité interne : un pape italien, pasteur et diplomate à la fois, capable d’apaiser les tensions après les différends.

– Cardinal Luis Antonio Tagle (Philippines) – 66 ans, ancien archevêque de Manille, aujourd’hui pro-préfet du Dicastère pour l’Évangélisation. Depuis des années, il est désigné comme un papabile de premier plan, surnommé le François asiatique pour son style humble, joyeux et proche des pauvres, qui fait écho à celui de l’actuel pontife. Tagle est théologiquement aligné sur l’aile progressiste : il met l’accent sur la miséricorde, l’inculturation de l’Évangile et la justice sociale. Politiquement, dans le contexte ecclésial, il est considéré comme progressiste/libéral (il s’est par exemple exprimé en faveur d’une plus grande attention de l’Église aux minorités et aux pauvres, critiquant le cléricalisme) ; il a été décrit comme de gauche au sens large, compte tenu de ses appels à un catholicisme attentif aux oubliés. Son influence continentale est considérable en Asie : il est le visage de l’Église philippine dynamique et, plus largement, du catholicisme en expansion en Asie du Sud-Est. Il a également une stature internationale : sous François, il a présidé Caritas Internationalis, voyageant dans 200 pays, et dirige actuellement le dicastère clé pour l’évangélisation. Géopolitiquement, un pape asiatique constituerait une rupture historique : il apporterait la sensibilité des jeunes Églises asiatiques (dynamiques mais minoritaires dans des contextes souvent non chrétiens) au centre de l’agenda. Tagle poursuivrait probablement le dialogue avec le monde musulman et les autres religions asiatiques, et donnerait une voix aux revendications du Sud global au Vatican. Cependant, certains analystes signalent une possible faiblesse : sa gestion en tant que président de Caritas a été mise en doute par des scandales internes organisationnels, et le Vatican l’a relevé de ses fonctions exécutives en 2022 après une enquête sur des dysfonctionnements et des abus de pouvoir dans le personnel. Cela a quelque peu terni son image de gouvernance, faisant froncer les sourcils à certains cardinaux qui recherchent un administrateur solide. Malgré cet écueil, il reste l’un des papabili de premier plan : sa capacité de communication exceptionnelle (il est charismatique et parlerait efficacement aux médias et aux jeunes) et son profil de pasteur des pauvres pourraient le relancer fortement si le conclave cherchait un pontife en ligne avec François mais issu du monde émergent.

– Cardinal Péter Erdő (Hongrie) – 71 ans, archevêque d’Esztergom-Budapest et ancien président du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe. Il est souvent présenté comme le principal représentant de l’aile conservatrice européenne parmi les papabili. Erdő dispose d’une solide formation théologique et juridique ; doctrinalement, il est un ferme défenseur de la tradition : il s’est exprimé contre des ouvertures en matière de morale sexuelle (il a réaffirmé l’opposition de l’Église au mariage homosexuel et critiqué l’idée de donner la communion aux divorcés remariés civilement, la qualifiant de dérive vers l’erreur). Lors du Synode sur la famille en 2015, en tant que rapporteur général, il a maintenu une ligne rigoureuse sur l’indissolubilité du mariage. Au sein de l’Église, Erdő représente une voix autorisée pour les secteurs traditionnels, mais il n’est pas perçu comme un ultra : c’est un conservateur pragmatique qui connaît les dynamiques synodales et peut dialoguer avec diverses réalités. Il a également tissé des alliances au-delà de l’Europe : il a cultivé de solides relations avec les évêques africains, organisant des rencontres euro-africaines alternées entre les deux continents. Ce réseau pourrait lui être utile en conclave, où un axe possible pourrait être précisément Europe-Afrique. En effet, en additionnant les cardinaux européens et africains, on approche le seuil des deux tiers (72 cardinaux sur environ 120), et Erdő est un nom qui pourrait fédérer ce groupe transversal grâce à la confiance qu’il inspire à de nombreux prélats africains et d’Europe de l’Est. Sur le plan géopolitique, un pape Erdő accentuerait probablement le dialogue avec les gouvernements d’Europe centrale et orientale et donnerait une voix aux préoccupations de ces pays sur l’identité chrétienne et la sécularisation. Il entretient de bonnes relations avec le Premier ministre hongrois Viktor Orbán – connu pour ses politiques identitaires – et incarne généralement une Église prête à se confronter avec franchise à l’Occident libéral. Cela pourrait signifier une Église plus assertive en Europe sur les valeurs traditionnelles (famille, vie, racines chrétiennes), tout en maintenant une continuité solide avec la doctrine sociale dans les relations Nord-Sud global (il faut rappeler qu’Orbán, par exemple, a soutenu les Églises en leur restituant des propriétés et en promouvant des écoles catholiques, des éléments qu’Erdő valorise en termes de liberté religieuse). En somme, Erdő serait vu comme un pontife capable de parler à la fois à l’Occident déchristianisé et à la chrétienté africaine émergente, tout en tenant fermement la barre de la tradition.

– Cardinal Fridolin Ambongo Besungu (Rép. Dém. du Congo) – 63 ans, archevêque de Kinshasa. Il est l’une des voix les plus influentes de l’Église africaine contemporaine. Franciscain avec une forte sensibilité sociale, Ambongo s’est engagé au Congo pour la défense des droits des pauvres, l’environnement (Amazonie et forêt pluviale congolaise) et la paix dans un pays en proie aux troubles. En même temps, sur le plan doctrinal, il est conservateur en matière d’éthique familiale : récemment, il s’est imposé comme le porte-parole du mécontentement des évêques africains face à des ouvertures jugées inacceptables sur la morale sexuelle. En particulier, en janvier 2024, il s’est rendu à Rome pour remettre au pape François les critiques des évêques africains concernant le document Fiducia Supplicans (par lequel le pape a clarifié la possibilité de bénir des couples non mariés, y compris des fidèles homosexuels dans certaines circonstances). Ce geste l’a de facto placé à la tête d’un bloc africain de cardinaux (17 électeurs de moins de 80 ans) très attentif à défendre la doctrine traditionnelle. Son influence continentale est donc notable : Ambongo est vice-président du SECAM (Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar) et est vu comme la voix d’une Afrique catholique jeune, en croissance et fière de son identité. En conclave, il pourrait recueillir des soutiens non seulement de ses confrères africains, mais aussi de cardinaux d’autres régions partageant le besoin d’un pape ferme sur des principes non négociables. Un pape Ambongo porterait pour la première fois l’Église universelle sous la direction d’un Africain subsaharien, avec des implications géopolitiques majeures : il donnerait une visibilité énorme aux défis de l’Afrique (pauvreté extrême, conflits oubliés, exploitation des ressources, rôle des puissances mondiales sur le continent). Il élèverait probablement la voix prophétique de l’Église contre les injustices du système économique mondial, fort de son expérience directe dans un contexte postcolonial. En même temps, il maintiendrait une ligne ferme sur les valeurs morales, en phase avec la sensibilité partagée par de nombreuses sociétés africaines. Son élection pourrait ainsi rééquilibrer l’attention de l’Église vers le Sud global, faisant du Vatican un acteur encore plus critique des dynamiques Nord-Sud, mais avec le risque potentiel d’accentuer la divergence culturelle avec l’Occident si une posture très rigide était adoptée sur des questions comme les unions LGBT. En définitive, Ambongo représente la synthèse d’une Église socialement progressiste mais doctrinalement conservatrice, typique de beaucoup de l’Afrique catholique contemporaine.

– Cardinal Robert Sarah (Guinée) – 78 ans, préfet émérite de la Congrégation pour le Culte divin. Figure emblématique pour les traditionalistes, le cardinal Sarah jouit d’un grand prestige parmi ceux qui, dans l’Église, souhaitent un retour à une plus grande sacralité et à une continuité avec la tradition. Né dans une famille très pauvre en Guinée, il s’est formé en France et à Rome, alliant une sensibilité africaine à une orthodoxie romaine solide. Théologiquement, il insiste sur la centralité de Dieu et de la prière : il a écrit des livres à succès appelant au silence contemplatif dans un monde chaotique et a critiqué la dérive séculariste en Occident. Il est un ardent défenseur de la liturgie traditionnelle et de l’herméneutique de la continuité (nommé par Benoît XVI, il partage sa vision selon laquelle le Concile Vatican II doit être lu en continuité avec le magistère antérieur). Durant le pontificat de François, Sarah est devenu un porte-parole courtois mais ferme de l’opposition conservatrice sur des points cruciaux : il a par exemple exprimé des réserves sur Amoris Laetitia et défendu les fidèles attachés au rite ancien après Traditionis Custodes. Au sein du Sacré Collège, Sarah pourrait compter sur le soutien de l’aile plus traditionaliste (cardinaux comme Burke, Müller, etc.), mais sa candidature souffre de deux handicaps : son âge avancé (il aura 80 ans en juin 2025) et une certaine polarisation de son nom, perçu presque comme anti-Bergoglio. Cela rend difficile l’obtention des deux tiers des voix, mais en tant que faiseur de roi moral, son influence est indéniable. S’il était hypothétiquement élu, son pontificat marquerait une nette inversion de tendance stylistique : accent sur le silence, la prière, la liturgie solennelle ; moindre exposition médiatique ; rappel constant aux racines spirituelles de l’Europe déchristianisée. Géopolitiquement, un pape africain traditionaliste serait une singularité : d’un côté, il renforcerait la voix de l’Église en défense des valeurs non négociables (ce qui pourrait créer des frictions avec l’UE sur des questions éthiques), de l’autre, son expérience personnelle de la pauvreté le rendrait crédible pour parler de justice globale. Sarah, bien que conservateur, a en effet un cœur pour les pauvres (il a dirigé pendant des années Cor Unum, organisme caritatif du Vatican). En somme, il représenterait un retour à l’essentiel de la foi, avec moins d’interventions politiques directes mais un fort impact testimonial. Il n’est pas anodin que le mémo Demos semble faire écho à nombre de préoccupations chères à Sarah : le besoin de restaurer la discipline canonique, de limiter l’usage de décrets papaux arbitraires et de redonner une centralité à une doctrine claire. Même si son élection reste peu probable, sa figure incarne l’aspiration à une discontinuité la plus nette avec François au sein du collège.

– Cardinal Jean-Claude Hollerich (Luxembourg) – 65 ans, archevêque de Luxembourg et rapporteur général du Synode sur la synodalité. Jésuite, avec une longue expérience missionnaire au Japon, Hollerich représente l’aile libérale et novatrice de l’Église européenne. Il a suscité des débats par ses positions ouvertes : il a affirmé que l’enseignement traditionnel sur l’homosexualité devrait être revu, estimant que le fondement sociologico-scientifique de cette doctrine n’est plus correct. Tout en précisant qu’il ne souhaite pas changer la doctrine pendant le Synode, il aspire clairement à un langage et une approche nouvelle envers les personnes LGBT. Cette franchise lui a valu des critiques de la part des conservateurs (certains l’ont accusé de vouloir déstabiliser la doctrine), mais Hollerich bénéficie de la confiance du pape François, qui l’a voulu comme figure clé du processus synodal mondial. Au sein de l’Église, il est donc le papabile de l’aile progressiste européenne : proche du cardinal allemand Reinhard Marx, favorable à des réformes structurelles et à un rôle accru des laïcs et des femmes. Il entretient également d’excellentes relations avec les Églises asiatiques (grâce à son expérience au Japon) et connaît bien la réalité des jeunes européens, en tant que président des évêques de l’UE (COMECE). S’il était élu, Hollerich serait probablement un François 2.0 sur le front des réformes : il donnerait un fort élan à la synodalité comme mode ordinaire de gouvernement de l’Église, peut-être en convoquant plus souvent des assemblées synodales continentales. Il pourrait ouvrir des chantiers de discussion sur des sujets jusqu’ici tabous (célibat sacerdotal, rôle des femmes dans les ministères, enseignement sur la sexualité), tout en avançant avec gradualité pour éviter des fractures. Géopolitiquement, un pape luxembourgeois renforcerait l’engagement de l’Église sur les droits humains, l’environnement et le dialogue interculturel, en phase avec les démocraties occidentales avancées. Il serait probablement bien vu dans l’Union européenne et aux Nations Unies pour ses positions progressistes, renforçant le soft power du Vatican sur des questions comme les migrations, le développement durable et la paix. En revanche, il pourrait rencontrer de fortes résistances internes : par exemple, de nombreux catholiques africains et asiatiques, plus conservateurs, pourraient se sentir mal à l’aise avec un pape perçu comme trop occidental dans ses idées. En conclusion, Hollerich est le candidat de rupture sur des questions doctrinales délicates, mais il incarne aussi la vision d’une Église en dialogue radical avec le monde contemporain, fidèle à l’esprit du Concile Vatican II dans la lecture des signes des temps.

D’autres noms parfois cités incluent des figures comme le cardinal Christoph Schönborn de Vienne (78 ans, théologien renommé et modéré, bien que son âge joue contre lui), le cardinal Óscar Rodríguez Maradiaga (Honduras, désormais octogénaire et hors course), le cardinal Gérald Lacroix de Québec (66 ans, proche de François et apprécié pour une gestion pastorale équilibrée, récemment blanchi d’accusations infondées) ou le cardinal patriarche Pierbattista Pizzaballa de Jérusalem (58 ans, franciscain, expert de la Terre Sainte et du dialogue judéo-islamique, nommé cardinal en 2023). Cependant, les dynamiques réelles du conclave restent imprévisibles. Souvent, le papabile le plus en vue à la veille du scrutin s’efface durant les votes, tandis qu’émerge une figure de compromis. L’histoire le montre – de Jean-Paul II élu par surprise en 1978, à Benoît XVI choisi dans la continuité en 2005, jusqu’au choix inédit d’un Latino-Américain en 2013 – : l’Esprit Saint peut réserver des résultats inattendus.

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 En conclusion

La fin du pontificat de François ouvrirait une phase cruciale pour l’Église catholique. Les divisions internes entre réformistes et traditionalistes pourraient s’accentuer dans l’immédiat, mais le conclave offrira l’occasion de chercher une nouvelle synthèse. Les perspectives futures oscillent entre une continuité avec l’agenda de François – consolidant les réformes pastorales et synodales en cours – et un éventuel rééquilibrage plus conservateur, visant à recomposer les fractures doctrinales. Beaucoup dépendra de la personnalité du nouveau pape. Les candidats ne manquent pas et couvrent tout le spectre des sensibilités ecclésiales, des progressistes mondiaux aux gardiens de la tradition. Quel que soit le successeur, il devra assumer les grands héritages de François – les pauvres, la miséricorde, l’espérance – tout en redonnant un élan unitaire à la mission de l’Église dans le monde. Il sera appelé à être, à sa manière, un pontifex, un constructeur de ponts : entre les différentes âmes internes et entre l’Église et l’humanité contemporaine.


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