Fatema Al Nuaimi : Une direction stratégique pour ADNOC Gas dans le nouvel échiquier géopolitique de l’énergie

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RéalisationLe Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). 

Un nouveau visage à la tête d’ADNOC Gas

Depuis le début de l’année 2025, Fatema Al Nuaimi est la PDG d’ADNOC Gas, une entité du géant pétrolier d’Abou Dhabi spécialisée dans le gaz naturel et le GNL. Ingénieure chimiste de formation, titulaire d’un MBA, elle dirigeait déjà ADNOC LNG depuis 2018, contribuant à l’élaboration du « Gas Master Plan » qui a intégré les activités gazières d’ADNOC. Sa nomination marque un tournant historique : elle est l’une des rares femmes à occuper un poste de direction dans une grande entreprise énergétique du Golfe, et elle prend les rênes à un moment où le gaz joue un rôle géopolitique de plus en plus central. ADNOC Gas, née en 2023 de la fusion des activités de traitement du gaz, de GNL et de gaz industriels d’ADNOC, a fait une entrée remarquée en bourse avec une introduction record de 2,5 milliards de dollars. Al Nuaimi hérite donc d’une entreprise tout juste consolidée, avec des projets « ambitieux » axés sur la croissance, la décarbonation et la préparation aux besoins futurs.

Sur le plan stratégique, Al Nuaimi promeut une vision qui allie développement des activités gazières et durabilité, en phase avec les objectifs des Émirats arabes unis (EAU). Sous sa direction, ADNOC Gas redéfinit son rôle dans un paysage énergétique en mutation, misant sur un mélange d’expansion productive, de transition vers un modèle « bas carbone » et de partenariats mondiaux ciblés. Nous analysons ci-dessous trois aspects clés de son approche : les relations avec les compagnies pétrolières internationales, l’engagement dans la décarbonation et la stratégie pour les marchés du GNL en Asie et en Europe. Enfin, nous évaluons comment son leadership influence la position d’ADNOC et le rôle géopolitique des EAU dans le secteur énergétique.

Engagement des compagnies internationales (IOC) et partenariats stratégiques

Dès son arrivée, Al Nuaimi a dû clarifier la posture d’ADNOC Gas vis-à-vis des grandes compagnies pétrolières internationales (IOC). Historiquement, le secteur gazier émirati a impliqué des partenaires étrangers dans des projets majeurs : par exemple, l’expansion de la capacité GNL repose sur le nouvel terminal de Ruwais LNG, dont ADNOC a ouvert le capital à des majors occidentales et asiatiques. En juillet 2024, Reuters rapportait qu’ADNOC avait attribué 40 % de Ruwais LNG à quatre géants – Shell, TotalEnergies, BP et le japonais Mitsui, chacun avec 10 % – tout en conservant 60 % pour elle-même. Un autre 5 % pourrait être cédé à un cinquième partenaire. Cette démarche reflète une stratégie d’engagement sélectif des IOC : ADNOC Gas garde le contrôle majoritaire tout en attirant des capitaux et des compétences extérieures pour partager les coûts et sécuriser des débouchés pour son gaz. En échange, les partenaires obtiennent des approvisionnements dédiés à des prix préférentiels (bien qu’avec moins de flexibilité), garantissant des volumes à long terme. Ce modèle de partenariat gagnant-gagnant, déjà éprouvé aux Émirats, voit les capitaux et technologies internationaux soutenir des projets stratégiques, tandis qu’ADNOC renforce des liens commerciaux durables.

Fatema Al Nuaimi semble poursuivre cette voie de collaboration ciblée. « L’accent se déplace vers un mélange stratégique d’expansion, de durabilité et de partenariats mondiaux sélectifs », note une analyse sectorielle. Concrètement, cela signifie impliquer des partenaires internationaux là où ils apportent une valeur ajoutée – comme investisseurs dans les infrastructures ou acheteurs clés – tout en préservant l’agilité de l’entreprise et son ancrage dans les objectifs nationaux d’autosuffisance énergétique. Parmi les priorités affichées par Al Nuaimi figure la sécurité des approvisionnements internes : grâce aux vastes réserves de gaz d’Abou Dhabi, les EAU visent à répondre à leurs besoins domestiques et à soutenir l’industrialisation sans dépendre des importations. L’État émirati conserve une présence forte (ADNOC détient environ 90 % d’ADNOC Gas), mais l’ouverture via l’IPO et l’entrée de partenaires industriels dans des projets spécifiques témoignent d’un équilibre entre contrôle public et participation internationale. Sous la direction d’Al Nuaimi, ADNOC Gas ajuste donc l’implication des IOC pour maximiser les investissements et les débouchés, tout en préservant la souveraineté sur ses ressources énergétiques.

Leadership dans la campagne de décarbonation d’ADNOC

Un pilier central de la stratégie d’Al Nuaimi est l’alignement d’ADNOC Gas sur les ambitions de décarbonation des EAU. En 2023, ADNOC a avancé ses objectifs climatiques, visant zéro émission opérationnelle d’ici 2045 (au lieu de 2050) et l’élimination des émissions de méthane d’ici 2030. Cet engagement national encadre la campagne de décarbonation où Al Nuaimi joue un rôle clé, le gaz étant perçu comme une source plus propre que le pétrole et un « pont » vers les énergies renouvelables. La PDG met souvent en avant le rôle du gaz naturel dans la transition : un GNL à faible teneur en carbone et des technologies propres peuvent réduire l’empreinte climatique tout en répondant aux besoins énergétiques de l’économie.

Sous sa direction, ADNOC Gas met en œuvre des mesures concrètes pour réduire les émissions tout au long de la chaîne gazière. Le projet Ruwais LNG en est un exemple phare : conçu pour être le premier terminal de liquéfaction du Moyen-Orient et d’Afrique alimenté entièrement par de l’électricité propre, il deviendra l’un des sites GNL les moins carbonés au monde, fournissant un gaz « bas carbone » aux clients internationaux sensibles à la durabilité. Par ailleurs, ADNOC Gas investit dans le numérique et l’intelligence artificielle pour optimiser ses opérations et réduire les gaspillages : des systèmes avancés seront déployés à Ruwais pour améliorer la sécurité, minimiser les émissions et accroître l’efficacité. Ces initiatives s’inscrivent dans un plan d’investissement de 15 milliards de dollars d’ici 2029, visant à moderniser les infrastructures et à soutenir des projets clés durables.

Al Nuaimi a également poussé des accords intégrant des objectifs de décarbonation dans l’utilisation du gaz. En janvier 2025, ADNOC Gas et EWEC (la compagnie émiratie d’eau et d’électricité) ont signé un partenariat décennal de 10 milliards de dollars pour une fourniture flexible de gaz aux centrales électriques nationales, visant à décarboner le système énergétique des EAU. Ce gaz assurera la stabilité du réseau tout en intégrant davantage de renouvelables, servant de secours propre et soutenant l’objectif Net Zero 2050 du pays. « Notre accord avec EWEC soutient la montée de la numérisation, le besoin croissant de connectivité résiliente et l’adoption de technologies dans l’économie, tout en faisant avancer les ambitions net-zéro de la nation », a déclaré Al Nuaimi. Ces mots soulignent sa vision : la décarbonation n’est pas séparée de l’innovation technologique et du développement économique ; réduire les émissions et croître vont de pair, dans une approche de transition énergétique « ordonnée » et inclusive. Ainsi, sous son impulsion, ADNOC Gas se positionne comme un fournisseur responsable, capable de concilier sécurité énergétique et engagements climatiques – un équilibre essentiel à l’ère post-COP28, organisée par les EAU en 2023.

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Défendre et renforcer les marchés du GNL en Asie et en Europe

Sous la houlette de Fatema Al Nuaimi, ADNOC Gas a lancé une offensive commerciale pour élargir et sécuriser sa présence sur les marchés clés du gaz naturel liquéfié, notamment en Asie et en Europe. L’Asie, débouché historique du GNL moyen-oriental, offre des marchés en pleine expansion ; l’Europe, quant à elle, est devenue stratégique depuis la crise des approvisionnements russes. Protéger et consolider ces destinations signifie pour ADNOC Gas s’assurer des clients à long terme et un poids géopolitique accru. Al Nuaimi a poursuivi cet objectif en concluant une série de contrats pluriannuels d’une valeur de plusieurs milliards, renforçant les liens énergétiques des EAU avec de grandes économies. En février 2025, ADNOC Gas a signé un accord de 14 ans avec Indian Oil Corporation pour jusqu’à 1,2 million de tonnes annuelles de GNL à partir de 2026, une transaction estimée entre 7 et 9 milliards de dollars. Cet accord renforce un partenariat de longue date avec l’Inde, garantissant à cette puissance asiatique des approvisionnements réguliers pour porter la part du gaz à 15 % de son mix énergétique d’ici 2030. Pour Al Nuaimi, cette entente est « un témoignage des liens énergétiques dynamiques et solides entre les EAU et l’Inde » et confirme ADNOC Gas comme un fournisseur fiable de gaz à faible empreinte carbone. Tous ces contrats à long terme – de 0,4 à 1,2 mtpa sur des durées allant jusqu’à 14 ans – visent à offrir un GNL durable, en phase avec les stratégies de transition de ses clients.

En Extrême-Orient, ADNOC Gas consolide également ses positions. Au Japon, marché traditionnel pour le gaz d’Abou Dhabi, un contrat triennal de 450 millions de dollars a été signé en janvier 2025 avec JERA Global Markets, la branche commerciale du principal opérateur japonais. Le GNL proviendra de l’usine de Das Island – en activité depuis 48 ans – illustrant la continuité des relations EAU-Japon. « Cet accord s’appuie sur la relation énergétique solide entre les Émirats et le Japon, renforçant notre engagement commun pour la sécurité énergétique et un avenir moins carboné », a affirmé Al Nuaimi. Pour le Japon, soucieux de diversifier ses sources, ce partenariat offre flexibilité et fiabilité : selon JERA, il reflète des efforts pour maintenir un portefeuille mondial diversifié et compétitif au service des communautés dépendantes de l’énergie importée. L’Asie voit aussi ADNOC Gas s’engager avec d’autres acteurs majeurs : Osaka Gas a réservé des volumes de Ruwais, et la Chine figure parmi les clients via des accords avec ENN Natural Gas. Ces initiatives traduisent une volonté d’élargir la base de clientèle et d’éviter une dépendance excessive envers un seul marché, captant la demande croissante de l’Inde au Japon en passant par la Chine.

En parallèle, l’Europe est devenue un marché stratégique pour le gaz émirati. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, les pays européens cherchent des alternatives au gaz russe, offrant une opportunité aux exportateurs émergents. Sous Al Nuaimi, ADNOC Gas a saisi cette chance pour s’imposer comme partenaire fiable à long terme. Un résultat concret est l’accord de novembre 2024 avec SEFE (Securing Energy for Europe), héritière de Gazprom Germania, pour livrer 1 million de tonnes annuelles de GNL pendant 15 ans à partir de 2028, grâce à Ruwais LNG. « Le gaz naturel couvre plus d’un quart des besoins énergétiques allemands, et nous sommes ravis de soutenir la sécurité énergétique du pays avec cet accord historique », a déclaré Al Nuaimi. Cette entente s’inscrit dans le partenariat stratégique EAU-Allemagne lancé en 2022 (Energy Security and Industry Accelerator), visant à coopérer sur la sécurité énergétique et les carburants à faible émission. Pour l’Allemagne, diversifier avec des fournisseurs stables comme les Émirats est crucial pour échapper à la dépendance russe ; SEFE a souligné que cette collaboration aide à diversifier les sources et à accompagner les clients vers la décarbonation. Outre l’Allemagne, ADNOC avait déjà livré des cargaisons ponctuelles à d’autres pays européens (comme une première livraison test en Allemagne en 2022) et signé des accords avec des utilities comme EnBW. L’objectif d’Al Nuaimi est clair : faire d’ADNOC Gas un acteur régulier sur la scène énergétique européenne, profitant de la réorganisation des flux mondiaux de gaz.

Grâce à ces stratégies, ADNOC Gas renforce son positionnement mondial dans le GNL. Les contrats à long terme assurent des revenus stables et des parts de marché, protégeant l’entreprise des fluctuations du marché spot. Comme le notent les analystes, ces accords récents – de 0,4 à 1,2 mtpa – visent à consolider la place des EAU parmi les principaux fournisseurs de GNL vers les marchés asiatiques en expansion. Parallèlement, l’entreprise se prépare à honorer ces engagements en augmentant sa capacité productive : avec Ruwais LNG opérationnel en 2028, la capacité GNL des EAU passera de 6 à environ 15 millions de tonnes par an, plus que doublant son potentiel d’exportation et la rapprochant des grands acteurs mondiaux. Bien qu’en deçà des géants comme QatarEnergy ou les exportations américaines, ADNOC pourra desservir une clientèle variée en Asie et en Europe, se taillant une place comme fournisseur fiable de gaz relativement propre.

Impact sur le paysage énergétique mondial et rôle géopolitique des EAU

Le leadership de Fatema Al Nuaimi chez ADNOC Gas a des répercussions au-delà de l’entreprise, influençant le paysage énergétique mondial et le poids géopolitique des Émirats arabes unis. Dans un contexte où le gaz naturel est au cœur de nouvelles dynamiques – à la fois ressource essentielle pour la sécurité énergétique et combustible de transition pour le climat – les choix stratégiques des EAU attirent l’attention des gouvernements et des marchés. Al Nuaimi, avec son pragmatisme, incarne la stratégie émiratie de se présenter comme un acteur clé et responsable dans l’arène énergétique post-crise ukrainienne. Déjà fournisseurs de près de 3 % du pétrole mondial, les EAU élargissent leur influence sur le gaz : via ADNOC Gas, Abou Dhabi propose des approvisionnements supplémentaires à des partenaires asiatiques et européens, comblant les vides laissés par le retrait du gaz russe et répondant à la demande croissante en Asie. Cela renforce le soft power énergétique émirati, approfondissant les relations bilatérales. Les accords gaziers s’accompagnent souvent de coopérations plus larges : l’entente avec SEFE s’inscrit dans un programme EAU-Allemagne sur l’énergie et l’industrie, tandis que celle avec Indian Oil complète un partenariat économique privilégié avec l’Inde (CEPA de 2022). Ainsi, l’exportation de gaz devient un levier de diplomatie économique, consolidant des alliances avec des puissances régionales (Inde, Japon) et mondiales (UE).

En parallèle, la direction d’Al Nuaimi contribue à redéfinir le débat sur la transition énergétique mondiale. Sous son égide, ADNOC Gas promeut un modèle où les producteurs d’hydrocarbures comme les Émirats ne s’opposent pas à la décarbonation, mais cherchent à en être des facilitateurs grâce à la réduction des émissions et à l’offre de combustibles moins polluants. Cette narration – portée aussi par le PDG d’ADNOC, Sultan Al Jaber, président de COP28 – positionne les EAU comme des acteurs d’une transition équilibrée : investir dans les renouvelables et les technologies propres, tout en maintenant à court et moyen terme le rôle du gaz et du pétrole « bas carbone » pour stabiliser les marchés. En fournissant du GNL à faibles émissions (via des usines alimentées à l’énergie verte) et en investissant dans la capture et le stockage du carbone (CCUS) ainsi que l’hydrogène, les Émirats cherchent à préserver leur pertinence dans le futur mix énergétique et à légitimer géopolitiquement leur industrie fossile. Cette approche suscite des critiques d’écologistes, qui craignent un retard dans l’abandon des combustibles fossiles, mais les chiffres confirment l’essor du gaz émirati : avec 15 mtpa prévues d’ici la fin de la décennie, les EAU ambitionnent d’entrer dans le top 10 des exportateurs GNL, et les contrats déjà signés couvrent une large part de cette production future.

En somme, Fatema Al Nuaimi guide ADNOC Gas à travers une phase de transformation stratégique qui reflète les ambitions globales des Émirats arabes unis. Sous sa direction, l’entreprise investit pour accroître sa capacité et améliorer la durabilité de ses opérations, engage des partenaires internationaux de manière ciblée et conclut des accords historiques ouvrant des marchés majeurs. Cette combinaison de vision industrielle et de sensibilité géopolitique renforce la position d’ADNOC sur la scène mondiale du gaz – passant d’acteur régional à fournisseur fiable de l’Asie à l’Europe – tout en amplifiant l’importance des EAU dans l’échiquier énergétique. Dans un monde confronté au dilemme entre sécurité énergétique et transition écologique, le leadership d’Al Nuaimi offre un cas d’étude sur la manière dont un pays producteur peut chercher à concilier économie et climat, tradition et innovation. Le temps dira si cette stratégie assurera aux Émirats un rôle de premier plan dans la nouvelle géopolitique de l’énergie, mais les premiers pas – entre méga-contrats GNL et initiatives vertes – tracent déjà une voie claire.

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