TRIBUNE – Afrique/France : De la schizophrénie à l’aplaventrisme 

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diplomatie africaine de l'humiliation
RéalisationLe Lab Le Diplo

Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » (Antonio Gramsci). N’est-ce pas une importante période de transition, de rupture que nous traversons actuellement ? 

Le monde change avec l’arrivée de Donald Trump[1]. La gouvernance internationale change. Le mantra de la paix par le droit est balayé. Celui de la paix par le rapport de force le remplace. Les anciens paradigmes ont fait leur temps. Les nouveaux peinent à émerger dans le brouhaha ambiant. Qu’en est-il de la relation de la France avec ses anciennes colonies du Maghreb (surtout avec l’Algérie) et de l’Afrique occidentale ? Rien n’est simple. Pour reprendre le titre d’une chanson de Georges Brassens de 1961, le temps ne fait rien à l’affaire. L’on aurait pu penser que les plaies seraient refermées. Il n’en est rien. Alors que l’Afrique s’enferme dans une diplomatie de l’humiliation, la France se complait dans une diplomatie de la soumission.

LA DIPLOMATIE AFRICAINE DE L’HUMILIATION

Après le temps ancien de la musique de fond vient aujourd’hui celui de la musique de sauvage.

Hier, le temps de la musique de fond. Dans les années qui suivent les indépendances, parfois chèrement conquises, l’on peut comprendre le ressentiment ambiant des « Damnés de la terre ». Les nouveaux dirigeants – à quelques exceptions près – embouchent les trompettes de la récrimination permanente à l’endroit de l’ancienne puissance coloniale. Dans leur combat, ils disposent d’un allié objectif de poids qui a pour nom « Françafrique », réseaux occultes censés orienter la relation franco-africaine dans l’intérêt bien compris de Paris avec la complicité de quelques chefs d’États africains peu scrupuleux. Mais, vaille que vaille, même si l’attelage tire parfois à hue et à dia, les choses semblent s’apaiser, au fil du temps, en dépit de quelques admonestations récurrentes dans la pratique d’une diplomatie africaine du coup d’épingle. Chaque année, la tenue de sommets franco-africains fait office de catharsis. Comme dans les réunions de famille, les retrouvailles fournissent l’occasion de s’embrasser et de faire table rase du passé, au moins le temps nécessaire pour ne pas gâcher la fête. Le ministère de la coopération accueille les doléances. Il est supprimé dans les années 1980. Certains bons esprits estiment, qu’avec le temps, les relations finiront bien par s’apaiser. La méthode du bon docteur Coué. Or, il n’en est rien au Sud !

Aujourd’hui, le temps de la musique du tam-tam. Plus de six décennies après la vague d’indépendances sur le continent africain, les relations entre Paris et ses anciennes colonies ne sont pas un long fleuve tranquille. Les États devenus souverains n’en finissent pas d’incriminer la puissance tutélaire de tous les maux de la terre. Ils pratiquent le coup de sang médiatique dans une diplomatie du mégaphone où le nombre de décibels a sa part. La rente mémorielle fait toujours recette. Rien n’y fait. Ni les milliards d’euros déversés à fonds perdus depuis le début des années soixante au titre de l’aide au développement, ni les repentances françaises pour les crimes passés ne parviennent à refermer les cicatrices. Ni les exercices de prosternation devant les nouveaux maîtres du vaste continent, ni les visas délivrés manu larga à leurs ressortissants ne parviennent à apaiser les colères récurrentes de nos amis africains. Ni les réunions rituelles Afrique-France, ni les bonnes paroles de Paris n’apportent le moindre répit dans les philippiques des roitelets africains. Toutes ces mesures ont l’effet d’un cautère sur une jambe de bois. Tout change pour que rien ne change. Et nos amis africains en profitent au maximum, conscients de la pusillanimité de la « Grande Nation ». Pire encore, plus ils nous crachent à la figure, motif pris de nos politiques néo-colonialistes et autres gadgets du même acabit (racisme, discrimination, dédain …), plus ils exigent que leurs ressortissants soient accueillis à bras ouverts sur notre sol au titre d’une compensation éternelle de nos atrocités commises durant la colonisation. Dans ce registre, Alger bat tous les records de mauvaise foi[2]. Un feuilleton sans fin et sans perspective probable de « happy end ».

Qu’en est-il de la réaction de la France jupitérienne ?

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LA DIPLOMATIE FRANÇAISE DE LA SOUMISSION

Après le temps ancien de l’indulgence, vient aujourd’hui celui de l’imprécation. 

Hier, le temps de l’indulgence. Avec une certaine dose de patience et de philosophie, les dirigeants successifs français font contre mauvaise fortune bon cœur. Chaque crise paroxystique est surmontée par la pratique de la palabre. Quelques bons mots pour mettre du baume au cœur, quelques espèces sonnantes et trébuchantes, quelques visites d’État avec faste font l’affaire. Cahin-caha, la relation franco-africaine survit aux brusques mouvements d’humeur et aux chantages permanents des dirigeants africains qui retirent un certain bénéfice intérieur de cette démarche. Qu’il est bon d’avoir sous la main le bouc émissaire tout trouvé pour dissimuler ses propres faiblesses, turpitudes et autres contradictions ontologiques. C’est toujours de la faute du colonisateur si tous les indices économiques, financiers, écologiques, sociaux, sécuritaires sont au rouge[3]. Mais, l’on n’hésite pas, à l’occasion, à faire appel à ses troupes pour bouder hors des capitales les groupes terroristes. Puis, on lui reproche tout et son contraire (Cf. opération Serval transformée en opération Barkhane). Mais, toutes les bonnes choses ont une fin. Plus le temps passe, plus les exhortations à la prudence, à la retenue, au réchauffement des relations bilatérales sont sans effet. L’accoutumance française démontre ses limites. Elle est interprétée comme un signe de faiblesse, d’impuissance de la France dont les comptes sont au rouge, le président discrédité, le gouvernement à la merci d’une chute fatale, le Quai d’Orsay aux abonnés absents. Comme d’autres, les Africains ne nous respecteront pas si nous faisons preuve de mollesse. Nous en avons la preuve quotidiennement.

Aujourd’hui, le temps de l’imprécation. Face à cette situation déconcertante, la France semble tétanisée à l’idée de prendre ses détracteurs au mot. Eux qui réclament à corps et à cris d’être souverains et indépendants (Cf. récentes déclarations des autorités tchadiennes, ivoiriennes[4], voire sénégalaises pour justifier la fermeture de nos bases militaires sur leur sol)[5]. Face à cette situation délétère, aucune réflexion de grande ampleur n’est lancée à Paris pour dresser un bilan objectif du passé, analyser la situation actuelle et anticiper l’avenir. Aucune commission d’experts indépendants versés dans les questions africaines n’est mise sur pied pour apporter un éclairage indispensable à un exécutif déboussolé et désemparé. Le sujet, hormis quelques chercheurs qui prêchent dans le désert, ne fait pas recette. La France se fait chasser tel un laquais de plusieurs États de l’Afrique de l’Ouest. Ses troupes ne sont plus les bienvenues, certains États préférant la présence rassurante de la milice russe Wagner. Ses ambassadeurs se font expulser, ses ambassades sont brûlées par des foules incontrôlables. Notre pays, notre président, certains de ses ministres se font invectiver à jet continu par le régime algérien corrompu du président Tebboune qui poursuit sur sa voie de la rente mémorielle[6] pour dissimuler ses propres turpitudes (Cf. son entretien avec le quotidien l’Opinion du 30 janvier 2025[7]). Pendant ce temps, Chinois (sur le plan économique[8]) et Russes (sur le plan commercial) – sans parler des Turcs, saoudiens – se montrent proactifs auprès des dirigeants africains ravis de voir la France humiliée qui n’en peut mais. La diplomatie de la soumission n’est jamais un gage de force et de respect.

VERS UNE DIPLOMATIE DU SURSAUT ?

« Ah le statu quo ! C’est tellement la tentation des politiques et des diplomates » (Bernard Kouchner). Et cela au moment où il faudrait faire preuve d’audace, de créativité pour relever les défis inhérents à notre relation avec le continent africain. Qu’on l’apprécie ou qu’on le déteste, Donald Trump n’a pas les mêmes pudeurs à l’égard des pays qui critiquent les États-Unis. Il les touche au portefeuille (Cf. démantèlement de l’USAID[9]). Si tôt arrivé à la Maison Blanche ; il menace d’augmenter les droits de douane vis-à-vis de partenaires (Canada) et de concurrents (Chine). Il ordonne la suspension, durant 90 jours de presque tous les programmes de soutien aux pays étrangers[10] créant ainsi un électrochoc salutaire, en dépit ce que d’aucuns prétendent[11]. Nul doute qu’un traitement comparable appliqué à nos anciens territoires aurait de l’effet. Quand la France osera-t-elle sortir du dilemme schizophrénie/aplaventrisme dans sa relation avec ses anciennes colonies africaines ? 

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

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[1] Martine Orange, Donald Trump lance sa guerre commerciale mondialewww.mediapart.fr , 1er février 2025.

[2] Omar Brouksy, Entre la France et l’Algérie, la crise a de beaux jours devant ellewww.mediapart.fr , 2 février 2025.

[3] Laurence Caramel (propos recueillis par), Célestin Monga : « Pleurnicher pour l’aide n’est pas une stratégie de développement pour l’Afrique », Le Monde, 16-17 février 2025, p. 21.

[4] Marine Jeannin/Élise Vincent, La France rétrocède sa base militaire d’Abidjan, mais ne quitte pas la Côte d’Ivoire, Le Monde, 21 février 2025, p. 6.

[5] Coumba Kane/Philippe Ricard (propos recueillis par), « Les autorités françaises ont confisqué au Cameroun sa lutte d’indépendance », Le Monde, 12 février 2025, p. 25.

[6] Philippe Bernard, France-Algérie, la double rente mémorielle, Le Monde, 16-17 février 2025, p. 31.

[7] A.-S. M., Dans la tête de Tebboune, Le Canard en chaîné, 5 février 2025, p. 1.

[8] Julien Bouissou/Marion Douet, Minerais : la ruée vers l’Afrique (1/5). En Afrique, le grand jeu des métaux stratégiques, Le Monde, 4 février 2025, pp. 16-17.

[9] Julien Bouissou, L’arme politique de l’aide au développement, Le Monde, 5 février 2025, p. 28.

[10] Faustine Vincent/Service international, En gelant l’aide américaine, Trump sème un chaos mondial, Le Monde, 2-3 février 2025, pp. 1-2-3.

[11] Éditorial, En gelant leur aide internationale, les États-Unis s’affaiblissent, Le Monde, 2-3 février 2025, p. 30.


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