Mort de Roland Dumas, mort d’une époque…

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Mort Roland Dumas politique
La consécration survient enfin en décembre 1984, Roland Dumas devient ministre des Relations extérieures puis des Affaires étrangères, poste qu’il occupe à deux reprises sous la présidence de François Mitterrand. Montage Le Diplomate

Quoi qu’on pense du personnage, le monde politique français vient de perdre l’une de ses grandes figures. Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères et président du Conseil constitutionnel, est mort il y a deux semaines à l’âge de 101 ans. Avocat brillant et homme politique influent et sulfureux, il aura marqué plusieurs décennies de vie publique en France et surtout une époque, qui, en bien ou en mal, est bel et bien révolue…

Roland Dumas est né le 23 août 1922 à Limoges. Durant l’occupation, il devient un jeune résistant socialiste. A Lyon, où il suit ses études de droit et de sciences politiques, il est arrêté par la police française en mai 1942 puis interné au fort de Barraux, près de Grenoble. Il s’en évade et rejoint les Mouvements unis de résistance (MUR) fédérés sous la houlette de Jean Moulin. Son père, Georges Dumas, employé municipal à Limoges, socialiste, franc-maçon et responsable local de la CGT, fait déjà partie de la Résistance. En mars 1944, membre de l’état-major de l’armée secrète pour le département de Haute-Vienne, chargé du noyautage des administrations publiques, il est arrêté par la Gestapo puis fusillé à Brantôme. C’est à son fils, Roland, alors âgé de vingt et un ans, qu’incombera l’horrible mission d’aller reconnaître son corps après son exhumation. Un souvenir qui ne s’effacera jamais…

Le grand avocat parisien

Ayant rejoint la capitale, il commence d’abord sa carrière comme journaliste mais se prépare toujours au métier d’avocat. Il intègre le barreau en 1950 tout en poursuivant des travaux journalistiques et en fréquentant l’Institut des langues orientales où il apprend le russe et le chinois. « Ainsi apparaît-il, à l’époque, comme un touche-à-tout remarquablement doué, esthète et faussement dilettante, car sa capacité de travail est réelle », Le Figaro.

Une fois avocat, Dumas va rapidement se faire une réputation de ténor du barreau aux travers de plusieurs affaires retentissantes et célèbres (le procès Guingouin, l’affaire des fuites, l’affaire des « porteurs de valises » du FLN algérien, l’affaire Ben Barka, l’affaire Markovic, l’affaire de Broglie et celles des micros du Canard enchaîné…). « Toutes utilisées comme des machines de guerre contre le pouvoir en place – De Gaulle, Pompidou ou Giscard. Mais Roland Dumas ne dédaigne pas des affaires moins politiques et plus mondaines comme la succession Picasso. Il sera l’avocat de Giacometti, de Chagall, du chanteur d’opéra Placido Domingo, de vedettes du spectacle comme Roger Vadim, Bernadette Lafont ou l’actrice britannique, Dawn Adams », Le Figaro.

C’est en 1948, qu’il fait la connaissance de François Mitterrand, alors député de la Nièvre et leader de l’Union démocratique et socialiste de la résistance (UDSR). Il adhère à ce petit parti et se lie avec son chef d’une amitié qui ne se démentira plus, notamment lorsque ce dernier pensera sa carrière politique terminée avec l’affaire de l’Observatoire dans laquelle le jeune avocat, aux convictions de gauche désormais affichées, l’assiste avec ardeur.

Une longue carrière politique, flamboyante et… sulfureuse !

Toutefois, sa carrière politique naissante est beaucoup moins brillante que sa carrière dans les prétoires. Éphémère député en 1956 puis en 1967, il lui faudra attendre les années 1980 et la victoire de la gauche et de son leader, son ami fidèle, François Mitterrand, pour connaître   une carrière politique exceptionnelle. Même si à cette époque du mitterrandisme enfin triomphant, il n’entre pas tout de suite au gouvernement. En effet, malgré leur indéfectible amitié, le premier Président socialiste de la Ve République, le considère comme trop sulfureux ! Effectivement, dans les années 1970, il est l’avocat de Jean-Jacques Susini, le dernier chef de l’OAS, lors de son divorce ! Et surtout, l’un de ses clients, Marcel Francisci, haute figure du grand banditisme corse, est assassiné au début de l’année 1982, en raison de ses liens dans une affaire de trafic de drogue…

Selon un mot célèbre de Mitterrand, ce dernier aurait alors déclaré : « J’ai deux avocats : Robert Badinter pour le droit et Roland Dumas pour le tordu » !

Ce n’est donc qu’en décembre 1983, une fois l’affaire Francisci un peu oubliée, que Roland Dumas reçoit le portefeuille des Affaires européennes. En juin suivant, grâce à son éloquence reconnue de tous, il devient porte-parole du gouvernement.

La consécration survient enfin en décembre 1984, puisqu’il devient ministre des Relations extérieures puis des Affaires étrangères, poste qu’il occupe à deux reprises sous la présidence de François Mitterrand, de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1993, avec des intermèdes causés par les deux cohabitations, durant lesquelles, redevenu député, il accède à la présidence de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Le pouvoir, l’argent, les femmes : comme François Mitterrand, il les accumule. Cette complicité a cimenté leur amitié. Le Florentin, d’ailleurs, l’admirait (voire l’envier ?) et ne tarissait pas d’éloges à propos du magnétisme de ce grand séducteur devant l’éternel !

Mais les appétits de Roland Dumas finiront par provoquer sa chute.

En 1995, Dumas est nommé président du Conseil constitutionnel, une position qu’il occupera jusqu’en 2000. Il en démissionnera à cause de « l’affaire Elf », dans laquelle sa maîtresse Christine Deviers-Joncour jouait le rôle d’intermédiaire.  Il sera alors condamné en première instance à six mois de prison ferme et deux ans avec sursis mais il en sortira finalement blanchi après une longue bataille judiciaire en 2003.

Durant sa retraite, Roland Dumas a commis quelques déclarations jugées comme « antisémites » ou « complotistes ». Pour certains, c’était dû au naufrage de la vieillesse, pour d’autres, plus indulgents, c’était la marque d’un esprit libre.

Au Quai d’Orsay, Dumas est au cœur des relations internationales à la fin de la guerre froide. Il est notamment un acteur majeur lors de la chute du mur de Berlin et de la réunification allemande, des événements qui redéfinissent dès lors la géopolitique européenne.

Ministre des Relations extérieures et des Affaires étrangères, il cache peu sa sympathie pour les Arabes et la cause palestinienne (il a été d’ailleurs été l’avocat d’Abou Daoud, principal organisateur du massacre des athlètes israéliens aux jeux Olympiques de Munich en 1972). A l’époque, une des maîtresses du ministre Dumas n’est autre que Nahed, une jeune femme brillante et fort séduisante, veuve du milliardaire saoudien Akhram Ojjeh et fille du chef des services secrets syriens, Mustapha Tlass. Cette idylle orientale lui vaudra d’être repris à l’ordre par l’Élysée et sommé de choisir entre son maroquin ou sa belle syrienne ! Des humoristes lui attribueront alors le surnom de « Lion de la Tlass »…

Quand il n’est plus au Quai, Dumas effectue également, hors fonctions officielles, des missions secrètes au profit de son ami François Mitterrand en Afrique ainsi qu’au Proche-Orient (notamment lors de l’affaire des otages français du Liban, qui sera d’ailleurs un échec), mais également concernant la petite politique politicienne comme quand il rencontre des cadres du Front national durant l’entre-deux-tours de la présidentielle de 1988, pour s’assurer que le parti lepeniste n’appellera pas à voter pour Chirac, ni à faire battre le candidat socialiste…

Nous lui devons d’ailleurs cette déclaration succulente à propos du Front républicain de 2002 en faveur de Jacques Chirac : « On a envoyé tous les couillons voter Chirac pour faire barrage à Le Pen, et ils y sont allés ! ». Tellement d’actualité…

Un bilan politique proche du néant mais un ministre des Affaires étrangères d’une autre époque

En tant qu’historien contemporain, en l’occurrence sur les relations entre la France et le monde arabe, j’ai été très critique, dans mes travaux et notamment lors de ma thèse de doctorat (publiée en 2020 avec pour titre Les 30 honteuses: La fin de l’influence française dans le monde arabe et au Moyen-Orient), sur le bilan de la politique française dans cette région entre les années 1960 et 1990 qui fut au final plus que désastreux et dont nous en payons encore le prix aujourd’hui, tous gouvernements confondus.

Roland Dumas n’a pas échappé à mes sévères réprobations analytiques et objectives. De fait, de son passage au Quai, il ne restera quasiment rien, ni grand fait d’arme, ni nouveau concept ou doctrine innovante.

Si ce n’est peut-être ce petit épisode lié au dossier de la paix au Proche-Orient, qu’il rappelle lui-même en 2015 lors d’un entretien au Figaro avec Yves Thréard :

« François Mitterrand en plaisantait et m’affirmait que je n’arriverais jamais à rien, tellement ce dossier était compliqué. C’est tout de même moi qui, en 1989, ai soufflé le mot «caduque» à Yasser Arafat. Le chef palestinien était à Paris à ma demande. Mitterrand était furieux de cette initiative. Il fallait donc que ce séjour soit couronné de succès. Juste avant le passage d’Arafat au journal de TF1, j’ai donc demandé à ce dernier de déclarer “caduque” la Charte de l’OLP qui prévoyait la destruction d’Israël. Je lui ai expliqué la signification du mot, dictionnaire en main, et il m’a promis de le prononcer à l’antenne. Ce qu’il fit en disant “cadouque”. Évidemment, Mitterrand a eu vite fait de récupérer l’événement ! »

Quoi qu’il en soit, Roland Dumas appartenait à une autre époque. Certes une époque où la France représentait encore quelque chose même si l’Etoile France commençait bel et bien à s’éteindre, tout doucement mais inexorablement, depuis Giscard et plus rapidement à partir de Mitterrand. Une époque marquée aussi par les scandales, les « Affaires » politico-financières et la « gauche caviar », dont d’ailleurs Dumas est en quelque sorte le plus flamboyant symbole.

Même si ce fidèle de Mitterrand a été souvent l’homme de ses basses œuvres, il n’en reste pas moins, et ses principaux adversaires politiques les plus farouches le reconnaissaient unanimement, qu’il était un orateur et un avocat brillant et subtil. Un homme reconnu aussi pour sa franchise et son franc-parlé, une chose très importante en diplomatie et plus qu’on ne le croit… Un être donc complexe et paradoxal mais d’une immense culture, passionné par les arts et les lettres. Ami de nombreux artistes et écrivains, il était lui-même auteur de plusieurs ouvrages, où il partageait ses réflexions et son expérience.

C’est en cela que son décès marque la fin d’une époque, où certains ministres français, quoi qu’on en pense et quelles que soient nos opinions politiques, étaient alors de vrais personnages, des personnages si français, si romanesques, qui possédaient au moins et encore un cerveau, un esprit, une envergure, une « gueule » ou un certain Panache, si français lui aussi…

A mille lieues, nous en conviendrons, des pâles techno et ectoplasmes, incultes et insipides, qui représentent aujourd’hui notre pauvre nation… 


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