Michel Barnier, Premier ministre : Une nomination de l’ « Ancien Monde » pour une continuité macronienne ?

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Michel Barnier
Photomontage Le Diplomate, illustration Michel Barnier page FB officielle.

L’édito de Roland Lombardi

Plus de deux mois après les résultats des Législatives du 7 juillet dernier et après avoir joué avec les leaders et les responsables de l’« opposition » comme un chaton avec des petites souris affolées par un petit bout de fromage (moins à cause de son génie politique que par le fait qu’il n’ait en face de lui que des médiocres), Emmanuel Macron a enfin daigné nommer un Premier ministre.

Un nouveau locataire de Matignon, non pas choisi parmi les rangs du Rassemblement national (premier parti de France en nombre de voix) et encore moins au sein de l’alliance de la Gauche sous la bannière Nouveau Front populaire (La France insoumise, le Parti socialiste, Les Ecologistes et le Parti communiste français), qui avait obtenu 180 députés faisant d’elle la première force politique de ce nouvel hémicycle.

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Non, un nouveau chef de gouvernement issu des Républicains moribonds, 4ème force politique du pays à présent !

Au passage, notons que ce nouveau « petit couac démocratique », après celui du grotesque front républicain de l’entre-deux tour contre « la Bête immonde », ne semble émouvoir personne… Enfin, passons. De toutes façons, du scabreux au révoltant en passant par le ridicule, tout passe de plus en plus crème dans ce pays aujourd’hui !

Pour l’heure, la nomination de Michel Barnier, membre historique des LR, 73 ans, au poste de Premier ministre français, marque un retour d’un acteur politique de longue date, dont le parcours suscite autant d’espoirs que de réserves.

Pour certains, son expérience en tant que négociateur du Brexit et ministre des Affaires étrangères en fait un choix rassurant, incarnant une certaine expertise dans les affaires européennes. Cependant, cette même expérience alimente les inquiétudes.

Alors que l’ « ancien monde » vole donc au secours du « nouveau », et sûrement pas pour le bien du pays, c’est David Desgouilles, dans un article brillant publié dans Marianne, qui rappelle à juste titre les dangereuses ambiguïtés des convictions du nouveau locataire de Matignon et surtout que Barnier n’est peut-être au final qu’un miroir inversé de Macron !

Un drôle de gaulliste… 

Dès la désignation de cet ancien élu savoyard à Matignon, beaucoup ont salué son « gaullisme ». Un peu trop vite peut-être…

En effet, son soutien dans les années 2000 à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, une décision critiquée rétrospectivement, témoigne d’un certain gaullisme souvent à géométrie variable.

Michel Barnier a toujours été un fidèle défenseur de l’Union européenne, prônant les élargissements successifs, notamment celui de l’Europe de l’Est. Mais c’est sa position sur la Turquie qui reste un point de friction majeur. Au moment où cette adhésion était envisagée, Barnier, alors commissaire européen, soutenait la perspective d’intégrer ce pays musulman à l’Union, en dépit des nombreuses réticences exprimées, aussi bien au sein des élites politiques que dans l’opinion publique. Cette prise de position s’inscrivait dans la continuité d’une vision élargie de l’Europe, visant à renforcer les liens avec un pays charnière entre l’Occident et le Moyen-Orient. Toutefois, les évolutions politiques en Turquie et le durcissement du régime du frère musulman Erdogan ont rendu cette position politiquement toxique.

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De même, il bon de rappeler à certains que l’ancien vice-président de la Commission européenne (2010-2014) fut aussi le seul et l’unique séguiniste ayant voté « oui » à Maastricht ! « Oui » également à la Constitution européenne et « oui » à Lisbonne !

Un sacré gaulliste, nous en conviendrons !

Aujourd’hui, Barnier tente de se distancer de cette image d’« Ayatollah de l’Union européenne ».

Au cours des dernières années, il a ajusté son discours, adoptant une posture plus critique envers certaines politiques européennes, notamment avec son «moratoire sur l’immigration». Cela soulève la question de sa sincérité : son changement de ton est-il l’expression d’une véritable réflexion ou le signe d’un opportunisme politique si cher à la caste politicienne actuelle (dont il est l’un des purs produits) face à la montée des euroscepticismes en France et en Europe ?

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En 2021, lors de la campagne pour la primaire de la droite, Barnier s’est aligné sur des positions plus souverainistes, notamment en plaidant pour un « bouclier constitutionnel » pour limiter l’influence des juges européens sur le droit national. Ces déclarations ont été perçues par certains comme une tentative de rupture avec son passé d’ultra europhile, mais elles laissent perplexes quant à la cohérence de sa ligne politique. Allez, soyons fous et un peu angéliques en espérant naïvement qu’en homme intelligent, il ait enfin été frappé, ces dernières années, par la grâce et un sursaut de lucidité patriotique, pourquoi pas ?

« Il faut que tout change pour que rien ne change »

En attendant, Michel Barnier est connu pour être un homme foncièrement honnête, ce qui est déjà beaucoup par les temps qui courent… Sa nomination nous a aussi au moins et assurément préservés des dérives et des délires idéologiques, notamment dans les domaines sécuritaire, sociétal et économique, d’un Premier ministre illuminé qui aurait été issu de cette fameuse et rocambolesque Union de la gauche… Néanmoins, son arrivée à Matignon pose toujours plusieurs questions cruciales quant à l’avenir de la France. Tout d’abord, quelle marge de manœuvre réelle aura-t-il face à un président aussi interventionniste qu’Emmanuel Macron ? Barnier sera-t-il en mesure d’incarner une ligne différente, voire opposée, à celle du chef de l’État, ou se contentera-t-il d’être un exécutant technocrate, appliquant les directives venues de l’Élysée ? Et surtout de Berlin ou Bruxelles !?

Cette interrogation est d’autant plus pertinente que le nouveau Premier ministre semble partager une vision globaliste et pro-européenne, voire parfois mondialiste, similaire à celle de Macron, malgré, on l’a dit, ses récentes tentatives de démarcation.

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Ensuite, la question de la politique étrangère sous la direction de Barnier est particulièrement sensible. Son passé en tant que commissaire européen et son soutien à des initiatives controversées, comme l’élargissement de l’Union à la Turquie, soulève des doutes sur sa capacité à défendre les intérêts nationaux dans un contexte mondial marqué par l’affirmation des grandes puissances non-européennes, comme la Chine, la Russie ou les États-Unis.

Barnier peut-il incarner une politique étrangère plus réaliste et pragmatique, ou restera-t-il prisonnier d’une vision dépassée, idéologique et atlantiste de la diplomatie européenne, marquée entre autres par un idéal d’intégration à tout prix ?

Enfin, son arrivée à Matignon pourrait raviver les tensions internes au sein de la droite française et surtout des LR. Barnier, malgré ses récentes positions plus conservatrices, reste perçu par une partie de la droite comme un technocrate éloigné et déconnecté des préoccupations populaires, trop aligné sur l’agenda bruxellois.

Les droites souverainistes exploiteront-elles cette nomination pour renforcer leur discours anti-européen, dénonçant une continuité macronienne incarnée par Barnier ?

En somme, la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre n’est en soi nullement une surprise. Nous avons appris tout récemment la manière dont le bloc central a négocié en coulisse la désignation du Premier ministre avec le RN qui aurait finalement donné son aval… Soit. Ce qui est par contre certain c’est que Macron a dû recevoir pour son choix un bel satisfecit de ses amis (ou de ses maîtres diraient certains…) de la caste dirigeante européenne au regard du véritable torrent de louanges et de félicitations venus du sommet de l’Union européenne, à commencer par Ursula von der Leyen elle-même…

Si l’expérience de Michel Barnier est indéniable, son passé d’eurocrate forcené et ses positions fluctuantes sur des sujets clés comme l’élargissement de l’UE ou la souveraineté nationale jettent une ombre sur sa capacité à incarner un véritable renouveau. Et le futur choix de ses ministres risque fort encore d’être un nouveau et savoureux épisode du théâtre tragico-comique qu’est devenu la scène politique française…

Son mandat à Matignon sera scruté de près par ceux qui espèrent une rupture avec le centralisme bruxellois, mais aussi par ceux qui redoutent un retour à des politiques jugées déconnectées des réalités nationales. Or, à mon sens, il ne faut pas trop se faire d’illusion et certains risquent malheureusement d’être plus déçus qu’agréablement surpris. La déception allant souvent de pair avec la politique, surtout en France…


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