Grand entretien avec Olivier d’Auzon – Afrique 3.0

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Défis économiques et politiques de l'Afrique
Ilustration LeLab Picto Le Diplomate

Olivier d’Auzon est consultant juriste auprès des Nations unies, de l’Union européenne et de la Banque mondiale. Il a notamment publié : Piraterie maritime d’aujourd’hui (VA Éditions), Et si l’Eurasie représentait « la nouvelle frontière » ? (VA Éditions), L’Inde face à son destin (Lavauzelle), ou encore La Revanche de Poutine (Erick Bonnier). Spécialiste de terrain, il est un contributeur régulier pour la rubrique Afrique du Diplomate.

Dans cet entretien exclusif du Diplomate, il évoque son dernier ouvrage publié et édité Erick Bonnier Éditions, Afrique 3.0, Les nouveaux défis du continent.

Propos recueillis par Angélique Bouchard

Le Diplomate : Dans votre dernier essai, Afrique 3.0, vous parlez des défis que l’Afrique doit relever. Selon vous, quels sont les plus urgents pour garantir un développement durable sur le continent ?

Olivier d’Auzon : Tout d’abord j’aimerais indiquer que l’Afrique est multiple… L’Afrique Centrale est bien différente de l’Afrique de l’Ouest comme de l’Afrique de l’Est. De même, l’Afrique du Maghreb et du Machrek est bien différente de l’Afrique subsaharienne.

Les défis les plus urgents que les Afriques doivent relever sont nombreux et variés, mais voici quelques-uns des plus pressants.

On pourrait parler de défis quant à la pauvreté, au développement économique, à l’éducation, à la santé, à la sureté à la gouvernance etc…

Mais tous ces défis sont-ils propres aux Afriques ? À la réflexion, tous ces défis pourraient s’appliquer à l’Occident comme à la France.

Je pense qu’il faut faire confiance aux Afriques. Leur laisser le temps de suivre leur propre rythme, et surtout ne pas donner de leçons aux Africains !

LD : Vous vivez en Afrique une grande partie de l’année. Comment cette proximité influence-t-elle votre analyse des transformations économiques et politiques que vous décrivez dans votre livre ?

OdA : C’est vrai que je vis plus de 8 mois par an en Afrique. Si la technologie de l’internet est de plus en présente, de même que les partenaires économiques émanant du sud global de plus en plus actifs sur le continent, il me semble que les mentalités africaines ne changeront pas.

L’Afrique aime prendre son temps, elle affectionne tout particulièrement la famille, au sens traditionnel du terme. En un mot l’Afrique est très conservatrice ; elle est très réfractaire à la notion de progrès tel qui lui est imposée par « les nouvelles valeurs » occidentales…

LD : L’Afrique est souvent décrite comme le continent de l’avenir, notamment en matière de numérique. Comment ce développement technologique peut-il transformer le paysage politique et économique africain ?

OdA : L’Afrique des nouvelles technologies est bel et bien présente dans toutes les Afriques.  Les applications Bolt, Uber font bien partie du quotidien des africains quant à leurs déplacements ; ils ont tendance à supplanter les transports en commun…peu chers mais peu confortables et relativement lents…

En Tanzanie, j’aime commander un tuc tuc (appelé localement Bajaj) via l’application Bolt pour me rendre à mes rendez-vous… Le tuc tuc est rapide et bien sympathique tout en étant peu sensible aux embouteillages, car tel un film de James Bond, il roulera en triple file pour tracer sa route.

On pourrait parler du monde de la téléphonie où le paiement par téléphone est très répandu où les opérateurs sont légions…. Airtel (Indien) MTM (Sud-Africain) Moov (marocain) Vodacom, Tigo (Malgache) et bien sûr le français Orange en Afrique francophone.

Il en va encore des banques … où la voilure des banques françaises (BNP, la Société Générale) tend à se réduire telle une peau de chagrin au profit des banques marocaines…

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LD : Vous collaborez avec des institutions comme les Nations Unies et l’Union européenne. Comment ces organisations perçoivent-elles les nouveaux enjeux que vous abordez dans Afrique 3.0 ?

OdA : Force est de constater que les Nations Unies à l’instar de l’Union européenne tendent à imposer au Continent africain des problématiques telles que la bonne gouvernance,  le changement climatique, la notion de genre en général. Pour autant ces problématiques sont parfois bien éloignées des préoccupations des africains.

La promotion de la voiture électrique en Occident n’a-t-elle pas bel et bien des implications environnementales et sociétales catastrophiques ?  C’est bien le cas en RDC quand il s’agit de faire travailler des enfants pour 5 dollars par jour dans des mines congolaises pour y rechercher des métaux rares très utiles à la conception des batteries…

LD : En termes géopolitiques, quels rôles jouent les puissances émergentes comme la Russie, la Chine et l’Inde dans la transformation du continent ?

OdA : Depuis au moins 3 décennies, les Occidentaux constatent que ces puissances émergentes s’intéressent et investissent de plus en plus en Afrique dans tous les domaines qu’ils soient militaires ou économiques damant le pions aux Occidentaux, y compris dans l’ancien pré-carré français.

Mais il y a plus, on ne saurait occulter l’influence structurante de ces trois puissances à l’aune des BRICS, qui joueront un rôle de plus en plus important non seulement dans le Continent Africain mais aussi dans le monde… Le Sud Global vient assurément bousculer les certitudes des Occidentaux.

LD : Les Etats-Unis ont-ils un rôle dans l’Afrique d’aujourd’hui et de demain ?

OdA : Les États-Unis au même titre que la France ont bel conscience des enjeux sécuritaires sur le Continent Africain. On le voit tout particulièrement au Sahel contre les djihadistes où les américains chassés du Tchad vont faire leur retour, en encore s’agissant de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, les français sont sur le point d’envisager de partager avec l’Oncle Sam leurs bases militaires.

Les enjeux de sûreté maritimes dans le Golfe de Guinée ou dans le Golfe d’Aden ne sauraient être occultés. Ces derniers mois, les attaques des houthis en mer rouge percutent de plein fouet le commerce maritime… Les américains comme les français sont très vigilants quant à l’influence militaire de la Chine, il en va de sa base militaire à Djibouti- intitulée base logistique par l’Empire du milieu, sans oublier les discussions avec l’État gabonais quant à l’installation d’une nouvelle base chinoise.

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LD : Et la France dans tout ça ? A-t-elle encore sa place en Afrique ?

OdA : La France  a assurément à jouer un rôle de premier plan en Afrique notamment avec tous les pays du continent qui ont le français en partage. Elle n’a pas à rougir de son passé. L’antagonisme avec la France n’est absolument pas ressenti en Afrique francophone. La France continue de jouir d’un prestige dans le continent. Pour autant, il conviendrait de distinguer les Gouvernants de la France de la France éternelle. C’est bel et bien cette dernière que l‘Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale affectionnent tout particulièrement. L’Afrique regrettent amèrement la France du Général de Gaulle et celle de Jacques Chirac comme elle peste contre celle d’Emmanuel Macron.

 Emmanuel Macron n’a-t-il pas subi des « coups de Trafalgar » au Mali, au Burkina Faso et au Niger ?

Pour revenir au Niger, s’agissait-il d’un nouveau Fachoda mené de mains de maître par « nos bons et solides alliés » américains ? Les américains n’ont-ils pas infligé à Paris un colossal camouflet en s’opposant à une intervention de la CEDEAO au Niger, et en ouvrant un dialogue direct avec la junte ?

Un nouveau coup d’État se profile-t-il au Tchad ? Le retour de l’Oncle Sam est bel et bien programmé dans ce pays. Pour quelles intentions ? Quant aux Russes, ils profitent bien souvent et très largement des erreurs tactiques des français pour mieux avancer.

Ils n’hésitent pas à réactiver leurs réseaux issus de la guerre froide. Ils sont très actifs et efficaces sur les réseaux sociaux. Ils sont animés par ailleurs par un esprit de revanche, surtout à l’aune de la guerre en Ukraine.

Quant aux chefs de Gouvernements et Présidents européens à l’instar de l’Allemagne, de l’Italie et de la Hongrie, ils ne sont pas les derniers à dénigrer le locataire de L’Élysée.

 Il est bel et bien révolu le temps où la France était le passage obligé pour obtenir des conseils avisés pour investir en Afrique… !

Et qu’on y songe, d’ici 2050, l’Afrique comptera déjà 2,5 milliards d’habitants, et l’Europe seulement 450 millions. Emmanuel Macron a-t-il pris toute la mesure de cette véritable lame de fond, quand les Africains en appellent à un aggiornamento radical ?

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