La recension d’Olivier d’Auzon
Qu’on y songe, le réarmement naval sans précédent depuis la fin de la Guerre froide laisse présager un retour en force de la mer comme espace de confrontation et potentiellement de combat.
L’hypothèse du combat de haute intensité en mer redevient désormais plausible. Le XXIe siècle s’ouvre sur une contestation des équilibres anciens, en particulier dans les « espaces communs » dont la mer fait partie. La rivalité entre forces navales, qu’on aurait pu croire dépassée, fait son retour, soulevant dans son sillage de nombreuses interrogations sur les moyens de s’imposer en mer.
Dans ce contexte, les marines de guerre, à défaut d’être les seuls protagonistes de ce paysage complexe, sont les principaux vecteurs de l’expression de la puissance des volontés étatiques qui s’affrontent – et, le cas échéant, se combattent – en mer.
Et contre toute attente, alors que la possibilité de l’affrontement naval revient dans tous les esprits, aucun ouvrage récent n’existait jusqu’à présent pour en évoquer les modalités tactiques.
Le livre « Vaincre en mer au XXI siècle, la tactique au cinquième âge du combat naval », comble un vide : il n’existait pas de synthèse historique et prospective sur les forces navales au combat. Or, le besoin de réflexion dans ce domaine n’a jamais été aussi pressant, voire vital.
Si les ouvrages de tactique navale américains et britanniques sont devenus des «grands classiques» régulièrement réédités, aucun équivalent moderne n’existe en France. C’est ainsi que la Royal Navy définit la tactique comme ce qui détermine «qui vit et qui meurt » au combat. Bref, la tactique est l’art des batailles.
La riche et longue lignée des traités français de tactique navale s’est silencieusement éteinte au XXe siècle: les ouvrages du père Hoste (1691), du vicomte Bigot de Morogues (1763), du comte d’Orvilliers (1779), du vice-amiral comte de Gueydon (1868), de l’amiral Daveluy (1909) ou encore du lieutenant de vaisseau Baudry (1912) sont restés privés de successeurs contemporains.
Parti de ce constat, deux officiers de marine s’attellent dans Vaincre en mer au XXI siècle àpérenniser cet héritage et de faire revivre la pensée navale française.
Dans ce contexte, tenter de combler une lacune dans le paysage français en proposant un traité de tactique navale qui soit tout à la fois nourri par l’histoire, et adapté au présent des flottes de combat et résolument tourne vers l’avenir de la conflictualité en mer tient assurément de la gageure…
Défi relevé par Thibault Lavernhe qui est aujourd’hui commandant en second du porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle, et François-Olivier Corman, l’aide de camp du Président de la République. Ce dernier avait notamment publié le livre Innovation et stratégie navale (Prix d’histoire militaire 2021, Prix Daveluy 2022, médaille de l’Académie de Marine), analysant les conditions de la victoire et rendant par la même occasion l’histoire navale palpitante.
Chemin faisant, ils ont identifié un cinquième âge de la conflictualité navale, plus létal, rapide et technologique, où la volonté, le courage et l’intelligence de l’homme seront plus que jamais la clé du succès.
« Le cinquième âge du combat naval nous impose de préférer le solide au brillant, l’expérience à la théorie et la réalité à l’idée. Il nous susurre surtout avec insistance de ne pas oublier l’homme, qui reste au cœur de la préparation et de la conduite de l’action tactique navale. En effet, si les combattants seront moins nombreux en mer, s’ils seront environnés d’automates et assistés d’aides à la décision.
De fait, la conflictualité moderne, montre à quel point l’avantage technologique n’est pas le seul déterminant. Tout indique paradoxalement que le « facteur humain » restera crucial, qu’il s’agisse de comprendre finement les intentions de l’adversaire, de décider sans précipitation ni paralysie et d’absorber les chocs en de ́montrant une résilience puisée aux tréfonds des forces morales de chacun des combattants » confient les auteurs.
Cet ouvrage s’adresse en premier lieu aux marins, afin qu’ils disposent d’un concentré de tactique navale susceptible de les extraire de sa routine quotidienne, pour retrouver le sens de leur engagement, aiguiser leur réflexion et susciter leur envie de développer toujours davantage leurs compétences de praticiens du combat naval. C’est ainsi que Winston Churchill remarquait en son temps que « les techniques maritimes et scientifiques de la profession navale imposent des exigences si sévères à la formation des marins qu’ils ont très rarement le temps ou l’occasion d’étudier l’histoire militaire et l’art de la guerre en général ».
Mais qu’on se dise, à la réflexion, il s’adresse en réalité à un public bien plus large… à tout lecteur intéressé par le fait maritime et naval.
Pour « la Marine française, force navale armée d’un pays doté de la puissance nucléaire et mettant en œuvre ses deux composantes, océanique et aéroportée, il est crucial de reprendre une réflexion exigeante afin d’anticiper les situations auxquelles nos forces pourraient se retrouver confrontées à brève échéance, développer des tactiques pertinentes, poser de nouveaux concepts et jeter les bases d’une préparation opérationnelle rénovée, tenant compte de ces nouvelles exigences », déclare l’Amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine, qui a préfacé ce traité .
On l’aura compris, ce dernier, écrit par deux officiers au riche passé opérationnel, vient contribuer efficacement à ce besoin au moment opportun