
Par Angélique Bouchard
Vingt-trois ans après avoir électrisé le cinéma d’horreur avec 28 Days Later, Danny Boyle revient avec un triptyque zombifié à la puissance politique rare. Porté par le nihilisme tranquille d’un Royaume-Uni désaffilié, 28 Years Later, en salles le 20 juin 2025, dépasse le simple cadre du film de genre pour devenir une élégie politique – glaciale, spectrale – sur un pays qui s’est choisi seul, et qui s’effondre en silence.
Entre Kipling et cadavres, un film-monument sur l’empire en ruine : « There’s no discharge in the war. » — Boots, Rudyard Kipling
À première vue, 28 Years Later se présente comme un nouveau chapitre d’horreur dans la franchise culte de Danny Boyle. Mais le premier trailer, haletant et glaçant, laisse entrevoir bien plus qu’une énième variation du genre. Comme l’écrivait récemment Jules Chin Greene dans Popverse, cette suite tant attendue transforme le Royaume-Uni post-Brexit en terrain de décomposition politique et idéologique, avec une audace rare pour un film grand public. C’est un film de zombies, oui — mais c’est aussi un tombeau pour l’idée même de nation britannique.
Post-Brexit, post-empire, post-espoir
Depuis George A. Romero et son Night of the Living Dead (1968), le zombie n’a cessé de muter : de métaphore raciale et sociale dans les années 60-70 à incarnation du chaos mondialisé dans les années 2000. Avec 28 Years Later (2025), Danny Boyle et Alex Garland inscrivent leur œuvre dans cette tradition critique, tout en la projetant dans une ère post-souveraineté, post-vérité, post-Brexit.
Le retour de Danny Boyle à la franchise qu’il a contribué à immortaliser — 28 Days Later (2002), suivie de 28 Weeks Later (2007) — dépasse de loin l’effet nostalgique ou l’opportunisme hollywoodien. Avec 28 Years Later (2025), le cinéaste britannique orchestre une œuvre bien plus ambitieuse : une trilogie post-pandémique aux accents métaphysiques, géopolitiques et viscéralement nationaux. Il ne s’agit plus seulement de zombies, mais de nation, de mémoire, de mutation civilisationnelle. Et derrière le grondement des infectés, ce sont les fractures d’une Grande-Bretagne post-Brexit, post-COVID, post-vérité qui hurlent.
Dès ses débuts, la franchise 28 s’est distinguée des œuvres de zombies classiques : ici, pas de morts-vivants surnaturels, mais des êtres contaminés par un virus de la rage. Un détail biologique qui change tout : ces infectés ne sont pas morts, mais vivants, amplifiés, déchaînés.
En 2025, Boyle et son scénariste fétiche Alex Garland font évoluer ce virus. Il ne se contente plus de détruire ; il apprend. Le virus a muté. Les infectés se regroupent, chassent, développent des tactiques. Une métaphore inquiétante, peut-être, de la résilience chaotique d’une société livrée à elle-même — ou d’idéologies extrêmes qui, au lieu de disparaître, apprennent à survivre dans les marges.
Boyle le confirme : « Le virus ne s’est pas éteint. Il s’est adapté. Comme les sociétés qui se replient sur elles-mêmes. Comme l’Angleterre après le Brexit. » Toute la trilogie repose sur cette idée de repli insulaire. L’île est isolée, quarantaine stricte imposée par les autorités — et l’Europe tenue à distance, presque absente.
Le point de départ du film est simple : 28 ans ont passé depuis la catastrophe virale qui a ravagé le pays. Mais le plus terrifiant n’est pas l’infection – qui, d’ailleurs, se fait discrète durant de longs moments – c’est le vide. Un vide politique, affectif, territorial. L’Angleterre de 2025 imaginée par Garland et Boyle est une nation-fantôme, abandonnée par le reste du monde, où l’on ne sait plus très bien si les monstres sont les survivants ou les infectés.
Dans un entretien donné à Enquire, Garland reconnaît l’influence capitale du Brexit sur le scénario :
« La Covid n’était pas une vraie source d’inspiration. Le Brexit l’était. Il y avait cette idée que le reste du monde avait tourné le dos au Royaume-Uni. »
L’idée est puissante : transformer le repli souverainiste en mise à l’écart géopolitique radicale, où la vieille Albion devient un terrain vague, un oubli géographique. Boyle, fidèle à sa manière, en tire des images à la fois puissamment concrètes et glaçantes d’abstraction : plages désertes, églises profanées, forêts silencieuses.
Trilogie en miroir : L’ère post-Brexit comme nouveau paradigme narratif
La trilogie à venir — dont le deuxième volet The Bone Collector, réalisé par Nia DaCosta, est déjà tourné — fonctionne comme une chronique de la chute lente, une anthologie d’un effondrement civilisationnel. Boyle et Garland ne poursuivent pas simplement une saga horrifique, ils documentent par la fiction une crise de la souveraineté, de la solidarité, de l’identité.
Le fait que les films ne soient pas linéaires, mais interconnectés sans continuité directe, évoque l’ère fragmentaire dans laquelle nous vivons : chaque film est une pièce du puzzle du désastre. Et dans ce puzzle, le Brexit apparaît non pas comme une cause unique, mais comme un déclencheur sismique, le “ground zero” symbolique d’un désengagement global.
Avec 28 Days Later (2002), Boyle introduisait le zombie rapide (rage plutôt que mort-vivant). L’infection n’est plus surnaturelle mais biologique. Le chaos est immédiat, politique, urbain.
Là où World War Z (2013), blockbuster mondialisé, présentait le zombie comme une métaphore de la pandémie globale et de l’effondrement en chaîne des États (Israël construit un mur, les élites fuient), là où Train to Busan (2016), succès coréen, se présentait comme une critique du capitalisme inhumain et des inégalités sociales (les riches sacrifient les pauvres dans les wagons), Boyle reste fidèle au zombie rapide, mais abandonne le schéma de survie immédiate. Il privilégie le temps long, le paysage vidé de sens, l’abandon collectif. Ce n’est plus la panique initiale, mais l’effondrement prolongé d’un État. Le Brexit remplace la pandémie. L’ennemi n’est plus l’Autre, mais le vide du politique.
Ce que Garland et Boyle mettent en scène, ce n’est pas seulement une épidémie biologique, mais une épidémie morale et politique. L’État est absent, effondré, inefficace. La société civile n’existe plus. Seules subsistent des dynamiques tribales, des communautés repliées sur elles-mêmes, souvent paranoïaques.
Le film esquisse une critique virulente de la désintégration de l’État-providence, et plus largement de la désagrégation de l’idée même de communauté politique. Dans le monde de 28 Years Later, il n’y a plus d’Europe, plus de Commonwealth, plus d’OTAN, plus de G7 : il n’y a que la peur et la survie.
Du survivalisme au nationalisme : Le piège de la nostalgie
La société que l’on découvre dans 28 Years Later est aussi glaçante que les hordes d’infectés. Sur l’île de Lindisfarne, la civilisation a régressé vers un modèle tribal, patriarcal, militaire. Les jeunes garçons sont élevés comme des guerriers ; les femmes sont reléguées aux soins et à l’attente. « C’est une société qui regarde vers le passé, pas vers l’avenir », résume Boyle. Une société figée, nostalgique, convaincue que son salut viendra d’un retour à une grandeur perdue.
Un miroir à peine voilé de la rhétorique conservatrice britannique post-Brexit — celle du « Take Back Control », de l’identité pure, de la fermeture des frontières. Dans ce monde sans électricité, sans technologie, les valeurs deviennent brutales, binaires, sacrificielles. Ce n’est plus seulement la survie qui est en jeu, mais la nature même du progrès et du lien social.
Garland voit clair : le premier film serait sur la famille, le second sur le mal, le troisième — encore à venir — sur la rédemption. En creux : un parcours moral à l’échelle d’une nation en crise d’identité.
Cillian Murphy, l’ombre portée d’une conscience nationale
La nouvelle trilogie se structure donc en trois films : 28 Years Later, The Bone Temple (janvier 2026), et un dernier opus encore sans titre. Tous tissés ensemble autour de personnages évolutifs — et au centre du dernier, le grand retour de Cillian Murphy, alias Jim, survivant emblématique du premier film.
Sa réapparition, annoncée par Boyle comme « intelligente, bouleversante, structurante », n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans un récit plus vaste : celui d’une conscience enfouie, d’un héros oublié, porteur d’une expérience unique de la première apocalypse. Dans un monde devenu amnésique et tribal, Jim incarne la mémoire, la possibilité de briser le cycle de la rage et de la violence.
Il n’est pas un sauveur américain. Boyle le dit sans détour : « Il n’y aura pas de soldats américains pour sauver l’Angleterre. Plus personne ne vous envoie des Marines. Ce sera une histoire faite, vécue, assumée par les Anglais. » Et Jim — ancien Everyman devenu symbole moral — pourrait être l’ultime boussole.
L’infecté évolutif : Anatomie d’un chaos rationnel
L’autre star de cette trilogie, c’est le virus lui-même. Ce que Boyle et Garland proposent, c’est une biologie spéculative qui frôle la science-fiction : deux grandes lignées d’infectés émergent. D’un côté, les « pack leaders », chasseurs, organisés, capables de comportements complexes. De l’autre, les « slow-lows », quasi-inertes, englués dans la terre, plus végétaux qu’humains.
Ici, c’est la logique darwinienne qui s’impose : certains infectés survivent par prédation, d’autres par économie d’énergie. En creux, une allégorie glaçante sur les extrêmes d’une société dégradée — entre ultra-violence prédatrice et passivité effondrée. Deux réponses opposées à l’effondrement social. Deux manières d’exister dans un monde sans avenir.
Ce qui rend 28 Years Later aussi percutant tient à sa lecture politique implicite. Boyle ne tourne pas autour du pot : la trilogie est une réponse artistique au Brexit, à la montée du nationalisme, à la tentation de l’autarcie, et au traumatisme du COVID.
Mais surtout, 28 Years Later est un miroir pour l’Occident post-pandémique : nous avons survécu, mais à quoi ? À quel prix ? Que nous reste-t-il de collectif, d’humain, de visionnaire ?
Les infectés ne sont peut-être pas les autres. Peut-être sont-ils une image de nous-mêmes, de notre appétit de destruction, de notre fatigue morale.
Boyle et Garland, qui avaient popularisé le concept de “zombie rapide” dans 28 Days Later, lui donnent ici une charge politique plus claire : les infectés sont le produit terminal d’une société en colère, abandonnée par ses élites, abandonnée par le monde, et désormais livrée à ses propres pulsions destructrices.
Le virus — qui dans le film provient d’un laboratoire militaire — fonctionne comme symbole du nationalisme autodestructeur. L’idée initialement rejetée par Garland d’une arme biologique “weaponized” revient ici sous une autre forme : le vote populiste comme virus mental, une mutation idéologique qui contamine les institutions et les rapports humains.
GB : Retour au cimetière de l’histoire
Contrairement à Romero, qui faisait du zombie une figure de la société de consommation (Dawn of the Dead, 1978), Boyle et Garland choisissent un mort-vivant plus symbolique. Ce n’est pas la consommation qui hante ces créatures, mais l’absence de direction collective, le vide d’un futur commun.
Les zombies de 28 Years Later sont moins monstrueux que ce que leur environnement révèle de l’homme. Leur violence n’est plus un symptôme viral, mais un reflet de la désintégration morale d’un peuple isolé, abandonné à ses mythes. Un peuple post-politique, qui ne rêve plus, ne produit plus de récit – seulement de la survie.
L’ambition du film est d’autant plus frappante qu’il renonce à toute nostalgie. Pas de retour des héros originels (Cillian Murphy, Naomie Harris), pas de clin d’œil sentimental : la mémoire n’a plus d’usage dans ce monde. Seule subsiste une structure narrative souple, éclatée, celle d’un triptyque à venir, dont The Bone Collector (réalisé par Nia DaCosta, prévu en 2026) sera le deuxième acte.
Dans ce nouveau chapitre, on suit un groupe de survivants mis en quarantaine, dans un Royaume-Uni plus dystopique que jamais. La société a muté — au sens littéral et métaphorique — et l’enfer viral s’est propagé dans les mentalités. Exit les figures centrales de Jim (Cillian Murphy) et Selena (Naomie Harris). Ce sont Aaron et Jodie, nouveaux visages d’une génération post-effondrement, qui incarnent l’origine d’un nouvel arc familial, matrice narrative de cette trilogie annoncée.
Ce que l’on découvre à l’écran tient du documentaire hallucinatoire. Boyle et son directeur photo innovent en utilisant des caméras légères, parfois même des téléphones, pour capturer l’action dans une proximité troublante, immersive, presque intrusive. L’image tremble, se contorsionne, s’infiltre dans les ruines d’un monde à bout de souffle. On est moins dans l’horreur graphique que dans la saturation émotionnelle, une forme de réalisme psychique où le virus n’est plus seulement une menace extérieure, mais le reflet d’une société fragmentée.
Ce que 28 Years Later saisit avec une finesse sourde, c’est que la zombification de l’Angleterre n’est pas une malédiction virale, mais un processus historique. La forêt d’ossements humains aperçue dans le trailer n’est pas un simple décor macabre : elle est le monument funéraire d’un empire qui a transformé la violence en système, et l’oubli en vertu. La mémoire coloniale est là, pétrifiée, muette, sous les branches.
Le choix d’inclure une lecture du poème Boots de Kipling est une charge symbolique retentissante. Ce texte, écrit à l’origine pour exalter l’endurance de l’infanterie impériale, devient ici une litanie absurde, une mécanique infernale, où le soldat devient automate. Le zombie, dans 28 Years Later, n’est rien d’autre que le soldat impérial revenu d’entre les morts — discipliné, déshumanisé, déraciné.
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La “green and pleasant land” comme simulacre
Dans 28 Days Later, le contraste entre la beauté du paysage et la brutalité de la situation dessinait déjà une Angleterre fantomatique. Mais 28 Years Later va plus loin : le paysage est désormais contaminé par la mémoire refoulée. Ce n’est plus la nature qui recouvre les ruines — c’est l’homme qui construit avec les os. Un geste presque wagnérien, où la civilisation pourrit sur elle-même et réutilise ses morts comme matière première.
Boyle et Garland retournent ainsi le cliché nostalgique au cœur du Brexit : l’Angleterre éternelle des collines, des fermes et des chants patriotiques devient un cimetière géologique. Le passé ne revient pas sous forme de grandeur — il revient sous forme de monstres.
Boyle, cinéaste viscéralement urbain (Trainspotting, Slumdog Millionaire), prend ici le contre-pied de son propre style. Loin des foules et du chaos, il filme l’après : les ruines, les absents, le silence. La caméra, légère et mobile (grâce à un équipement innovant évoqué lors d’une projection-test à New York), permet de glisser dans des espaces confinés, presque invisibles. Le dispositif rappelle parfois le dispositif du Bullet Time de Matrix, mais vidé de tout glamour. Ici, la technologie ne sert pas à sublimer la violence : elle la documente.
Dans un plan remarquable, un drone traverse une église éventrée, survolant des bancs recouverts de moisissure. L’image n’est pas tant horrifique que liturgique : c’est une prière pour un pays défunt. On ne trouve plus de spectacle, plus d’émotion spectaculaire. Seulement une observation minutieuse du dépérissement.
L’Angleterre rurale : D’Empire à enclave
Autre choix lourd de sens : Boyle refuse de retourner filmer à Londres.
« On a évité les villes. Trop dangereux. Et parce qu’on ne pouvait pas surpasser ce qu’on avait fait dans le premier film. »
Ce recentrage sur les zones rurales et désertées traduit un déplacement du pouvoir et de l’attention. L’Angleterre, naguère centre impérial, devient enclave périphérique, théâtre d’un chaos post-impérial. C’est le basculement géopolitique : l’île-monde est redevenue île-fantôme, sans port d’attache ni projet collectif.
Ce choix esthétique reflète une vérité politique : le Brexit a été porté par les zones rurales, souvent laissées pour compte par la mondialisation, là où l’Europe représentait moins une promesse qu’une menace.
Zombie, figure politique du refoulé colonial
Il ne faut jamais oublier d’où viennent les zombies. Comme le souligne Popverse, la créature n’est pas née à Hollywood mais dans l’histoire coloniale : les zombis haïtiens, initialement associés à l’esclavage, sont l’allégorie de la dépossession ultime, de la vie réduite à la servitude. Dans cette lignée, les zombies de Boyle deviennent des spectres de l’Empire : ni vivants, ni morts, ils hantent un pays incapable de faire son deuil.
La force politique du film tient précisément à cela : il ne tente pas de réconcilier l’Angleterre avec son passé. Il la force à l’affronter — dans l’horreur, la répétition, l’absurde. Il n’y a plus de refuge dans le passé, plus de retour possible à une grandeur mythifiée. Le poème de Blake sur “Jerusalem” est ici désacralisé : le pays vert et agréable n’est plus qu’un champ d’ossements.
Une révolution sur le plateau : Quand Danny Boyle filme avec des téléphones et 28 caméras légères
Danny Boyle, fidèle à sa réputation d’expérimentateur visuel, a poussé encore plus loin les limites techniques du cinéma… en utilisant notamment des téléphones et des caméras ultra-légères pour capturer l’action.
« C’était extraordinaire, très innovant. On n’avait jamais vu ça. » — raconte Aaron, l’un des acteurs principaux du film.
Grâce à cet équipement minimaliste mais hyper mobile, l’équipe a pu explorer de nouveaux angles, s’immiscer dans les recoins les plus étroits et créer une ambiance immersive inédite. Résultat : une énergie visuelle brute, presque documentaire, qui transforme l’écran en véritable champ de bataille émotionnel.
« On se demandait toujours : mais où est-ce qu’ils vont mettre la caméra cette fois ?! Sur une corde ? Collée à un objet ? On n’en revenait pas. »
Un dispositif impressionnant incluait jusqu’à 28 caméras, réparties dans l’espace. Et même un accessoire qui évoque, avec humour, la fameuse scène de la « balle stoppée dans Matrix », mais version low-tech :
« C’est la technique des pauvres ! Mais justement, ça donne des mouvements de caméra très fluides, très humains. »
Cette légèreté du matériel permet aussi de suivre les acteurs au plus près, de faire tourner l’image à 360°, de stopper ou accélérer l’action à volonté, bref : de faire entrer le spectateur dans l’écran.
Ni satire, ni spectacle : La mise en scène du silence
Là où Shaun of the Dead (Edgar Wright, 2004) tournait en dérision la routine britannique en la zombifiant, 28 Years Later fait le choix radical inverse : il ne rit pas. Il ne se moque pas de l’Angleterre post-Brexit, il l’enterre.
Ce n’est pas une satire, mais une œuvre de deuil. Deuil d’un idéal national, deuil d’un empire, deuil d’une Europe. Et c’est là que réside sa force. Boyle filme le Royaume-Uni comme un territoire post-narratif, c’est-à-dire un pays qui ne se raconte plus. Plus de grandeur, plus de combat à mener, plus de mémoire. Juste le ressac des vagues, la pluie sur les vitres, le vent dans les ruines.
La bande-annonce fait le choix d’une esthétique de l’effacement : pas de surenchère sonore, pas de jump scares faciles, mais une lente montée de l’étrangeté. Les corps se confondent avec la terre. La violence devient topographique. Et dans un monde saturé d’images, Boyle ose filmer l’invisible : le non-dit, le refoulé, le trop longtemps tu.
Ce refus du spectaculaire rejoint une tradition britannique profondément politique : celle de Ken Loach, bien sûr, mais aussi celle de Mike Leigh ou Steve McQueen, qui interroge le présent à travers les fissures de l’Histoire.
Entre Black Mirror et Ken Loach, le nouveau Boyle est politique, punk et post-effondrement
Avec Alex Garland au scénario, Boyle refuse l’héroïsme hollywoodien. Pas de sauveur. Pas de résolution. 28 Years Later est une chronique en clair-obscur d’un monde où la rage n’est plus seulement une maladie, mais une idéologie. Le virus, ici, mute autant que les consciences : il devient une arme émotionnelle, une forme de conditionnement collectif, un miroir tendu aux dérives sécuritaires et à la violence sociale.
L’allure presque anthologique de la trilogie évoque Black Mirror, mais avec la rudesse sociale d’un Ken Loach sous acide. L’Angleterre y est ruinée, militarisée, fracturée. L’Europe est absente, les États-Unis hors champ : le monde est devenu un archipel de poches humaines, repliées, paranoïaques, livrées à elles-mêmes.
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L’Empire contre-attaque… en silence
Avec The Bone Temple, attendu pour janvier 2026, et un troisième film centré sur la rédemption, la trilogie s’annonce comme une Iliade tragique de l’ère virale. Boyle et Garland, malgré la terreur et le gore, visent haut : une mythologie moderne, ancrée dans les ruines d’un monde ancien.
28 Years Later n’est pas seulement un bon film de zombies — c’est un anti-mythe national. Là où Hollywood (avec The Last of Us) rejoue la conquête de l’Ouest à coups de champignons et de fusils, Boyle dépouille la nation britannique jusqu’à l’os. Il ne reste ni futur, ni fierté, ni foi. Seulement une boucle, celle de Boots, qui martèle inlassablement l’absence d’issue :
“There’s no discharge in the war…”
Danny Boyle offre une œuvre ambitieuse, politique, sans compromis. Le zombie ici n’est ni effrayant ni grotesque. Il est l’image spectrale du citoyen britannique de 2025 : animé par l’instinct, vidé d’idéal, étranger au monde qu’il a quitté et à celui qu’il espère.
En cela, Boyle rejoint indirectement la tradition de Ken Loach : un cinéma de colère contenue, de désillusion sociale, mais sans militants. Juste des survivants, dans un pays qui n’en a plus vraiment le goût.
L’Angleterre, dans 28 Years Later, n’est pas assiégée par des monstres extérieurs. Elle est devenue elle-même son propre virus.
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