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ÉCONOMIE – Dépense publique, décrochage industriel et retard d’innovation de la France et de l’Europe

François Souty economie
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par François Souty, PhD, Historien, juriste, géopolitologue, Président exécutif du Cabinet LRACG, conseil en stratégies européennes

La période éphémère de Michel Barnier à Matignon, du 5 septembre au 4 décembre 2024, a révélé jusqu’à la caricature les causes économiques majeures à l’origine de la mauvaise santé économique et du déclin industriel de la France : une dette de 3228 milliards d’euros, soit 112 % du PIB français tandis que la Grèce reste le pays le plus endetté de l’Union Européenne à 163,6% du PIB, que la dette de l’Italie s’établit à 137 % de son PIB ou que le ratio de la dette belge s’élève à 108%.

En outre l’Espagne avec un déficit budgétaire de 105,3% du PIB et le Portugal avec 100,6 %, viennent tenir compagnie à la France dans le club des « mauvais élèves Â» de la zone euro. Du côté des pays « vertueux Â», l’Allemagne est à 64% d’endettement public et l’Autriche à 81,6%. Tandis qu’une série de pays d’Europe Orientale (République Tchèque, Pologne, Roumanie, Bulgarie, Lituanie, Lettonie, Estonie) ou d’Europe du nord (Suède, Danemark, Pays-Bas, Irlande) ont tous une dette publique inférieure 50% du PIB. En Europe Occidentale, l’Irlande et les Pays-Bas sont exemplaires avec une dette respectivement s’établissant à 42,5% et 43,2% du PIB. La moyenne des 27 pays membres de l’UE ressort à environ 81,5%. Mais on va observer plus loin que l’Espagne, le Portugal, la Grèce ont accompli des efforts colossaux se redressement, tandis que rien n’est venu de la France dont l’économie est outrageusement dopée à la dépense publique.    

Encore faut-il remarquer aussi que dans le même temps, la France connaît un déficit du budget de l’Etat de 173,78 milliards d’euros soit 6,1 % du PIB, quand les critères de convergence ou de discipline budgétaire imposés par les traités européens pour sauvegarder la stabilité monétaire de l’euro vis-à-vis des marchés financiers fixent le plafond du déficit à 3% du PIB. L’Allemagne pour sa part conserve un déficit budgétaire inférieur à 2% du PIB en route même vers 1,6% en 2025, sous le contrôle exigeant et un rien tatillon des juges de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe. Il existe donc une très grande hétérogénéité entre les structures financières et budgétaires à l’échelle de l’Europe, encore loin d’être résorbée.

Quand on observe ces chiffres – qui signifient une omniprésence de l’État français mais aussi de quelques autres dans l’économie – on peut légitimement se poser une question sur les commentateurs qui veulent absolument attribuer la cause des malheurs économiques de la France et du Continent à …. la politique de la concurrence et non à des causes pourtant plus tangibles comme par exemple l’influence excessive des États, leur poids économique entravant le dynamismes des forces vives et innovantes du secteur privé ou encore le poids de leurs normes, que la gauche et les écologistes voudraient encore accroître avec le soutien de la nouvelle Commission européenne qui vient d’entrer en fonction le 1er décembre. Pour mémoire, la politique de la concurrence vise à assurer la fluidité du fonctionnement des marchés, en luttant contre les cartels et les abus de positions dominantes, et à éviter une concentration excessive du pouvoir économique. Certes, la politique de la concurrence a été impuissante à appréhender efficacement les mauvaises pratiques de l’économie digitale, dont les opérateurs européens sont exclus. Elle vient d’être renforcée par une série de textes réglementaires visant spécifiquement les opérateurs géants digitaux (dont aucun européen dans le top 15 mondial des GAFAM, NATU, BAHTX).  Le rapport de Mario Draghi, ancien Gouverneur de la Banque Centrale européenne, publié en septembre 2024 a développé plusieurs idées sur la nécessité de revoir diverses normes européennes et développer une mobilisation financière de 800 milliards d’euros notamment en R&D pour rendre leur compétitivité et leur productivité aux économies européennes. La productivité européenne à 27 est en 2024 du tiers de la compétitivité américaine, après avoir ralenti à 0,8% durant les cinq dernières années contre l’américaine passée à 2,5%.   Manifestement, ce rapport Draghi n’a pas été lu en France ni à l’échelon européen. Il a été peu présent durant l’épisode de Gouvernement Barnier qui n’a finalement pas suffisamment mis l’accent sur la réduction effective de la dépense publique.

Le décrochage européen est manifeste dans plusieurs domaines dans lesquels la politique concurrence a peu à voir, sinon pour souligner la faillite de la régulation des marchés d’industries de réseaux et de l’économie digitale échappant traditionnellement à la politique de la concurrence.

Le décrochage de compétitivité européen est patent à partir de quatre données. La première vient d’être observée et mérite d’être soulignée : la dépense publique, notamment française, doit être coûte que coûte être jugulée par une diminution minimale chaque année pendant dix ans de 20 à 60 milliards d’euros, soit 200 à 600 milliards d’euros, en suivant les propositions de Jean de la Rosière, ex-Gouverneur de la Banque de France et du FMI. Pourquoi ? Parce 300 milliards d’euros d’économie permettraient de faire descendre la dette française en dessous du plancher de 100% du PIB, ce qui améliorerait considérablement la signature de la France dans le renouvellement de sa politique d’endettement et sa gestion ainsi optimisée. Les effets seraient ressentis immédiatement et spectaculairement par les marchés financiers car l’effort serait sans précédent depuis plus de 60 ans, durant la Présidence de Charles de Gaulle et la mise en Å“uvre en son temps du plan Rueff.  Soulignons que cette baisse de la dépense publique française de l’ordre de 300 à 600 milliards d’euros sur dix ans est un minimum car elle ne prend même pas en compte le surcoût des normes imposées aux entreprises, évalué en février 2024 par le Premier ministre Gabriel Attal à 60 milliards annuels soit 2,9% du PIB, tandis que la fondation IFRAP évalue ces surcoûts de suradministration entre 87 et 112 milliards d’euros soit entre 3,5% et 4,5% du PIB français ! Pour sa part Jacques de la Rosière suggère de s’attaquer aux sureffectifs flagrants notamment dans la fonction publique territoriale qui ont bondi de 23,5% entre 1997 et 2022 :  il rappelle que la France compte 85 fonctionnaires pour 1000 habitants contre 56 en Allemagne, en ligne avec le différentiel d’endettement entre la France et l’Allemagne, presque du simple au double.  Un non remplacement des départs en retraite permettrait de réduire le surcoût estimé à 75 milliards d’Euros sur 10 ans. De même, le passage de la retraite de 64 à 67 ans, comme dans la majorité des pays d’Europe, permettrait de trouver entre 5 et 15 milliards d’euros annuellement, sans réduction du niveau des retraites servies. Sans doute le lancement d’un système de retraite complémentaire par capitalisation permettrait-il également d’accentuer le redressement financier des comptes et de le pérenniser. Enfin, la réduction des effectifs et dépenses du millefeuille territorial en clarifiant les compétences entre l’état et les collectivités locales, en éliminant notamment les doublons (par exemple en unifiant élus et administrations des conseil départementaux, régionaux, voire des plus grandes agglomérations comme celle de Paris et quelques autres) permettrait de réduire la dépense encore de 7,5 à 8 milliards d’euros annuels (80 milliards sur 10 ans tout de même). Enfin, le coût de la politique d’apprentissage permettrait de réduire les surcoûts inefficaces de plus de 10 milliards d’euros par an (en 2023, la Cour des Comptes a estimé que le nouveau système d’apprentissage « réformé Â» par Emmanuel Macron en 2022 a entraîné un coût annuel de 16,8 milliards d’euros !). Certains pays, comme l’Irlande, le Portugal, la Grèce ont ramené leurs déficits à l’équilibre voire à l’excédent en venant parfois de très loin (en 2024, Irlande : + 3%, Portugal : +0,6%, d’après Eurostat). Encore le gouverneur de la Rosière ne mentionne-t-il pas les 15 milliards d’euros donnés chaque année par un pays surendetté pour … l’aide au développement, versements qui devraient être pour le moins suspendus tant que la dette française n’est pas redescendue en dessous de 100 % du PIB. D’autres réductions de dépense seraient encore justifiées par la suppression ou au moins l’allégement des subventions distribuées de tous côtés sans effort des récipiendaires ni de contrôle de gestion sur les affectations. 

Le décrochage du PIB européen par rapport au PIB américain est souligné par le rapport Draghi, en relation directe avec un retard prononcé dans l’innovation, avec un impact alarmant dans l’économie digitale. En vingt ans, entre 2015 et 2024, l’écart de croissance entre l’UE et les Etats-Unis a doublé, tandis que les dépenses en R&D en Europe (2,3% du PIB) concerne essentiellement des industries traditionnelles comme l’automobile, quand les Etats-Unis dépensent (3,5% du PIB) dans les nouvelles technologies. Quand l’Europe dépense une trentaine de milliards de dollars en capital-risque dans l’innovation, les Etats-Unis en dépensent 160 milliards, tandis que les licornes (startups d’une capitalisation supérieure à un milliard de dollars) européennes se comptent en une centaine d’unités contre huit fois plus pour les Etats-Unis. Ce décrochage sur l’économie digitale et les nouvelles technologies se traduit par un décrochage signalé dans le commerce extérieur de l’UE (-3 points entre 2007 et 2022) par rapport cette fois à la Chine (+ 13 points sur la même période). Si l’UE conserve un avantage par rapport aux Etats-Unis, l’Administration Trump va décupler son énergie consacrée à rattraper son déficit sur le commerce extérieur vis-à-vis de l’UE, après la saignée pourtant déjà imposée par l’Inflation Reduction Act du Président Biden depuis 2021 (ayant attiré massivement à coups de dizaines de milliards de subventions et de crédits d’impôts l’implantation de sites de productions d’opérateurs européens aux Etats-Unis).

Le principal poste de perte de compétitivité européen par rapport aux Etats-Unis intervient dans un domaine où la France a longtemps bénéficié d’une suprématie voulue et léguée par le Plan Messmer nucléaire de 1970, littéralement sabordé par les Présidences Hollande et Macron. Ces présidents ont cédé à un lobby écologiste, fortement déterminé depuis l’Allemagne et ses fondations subventionnées notamment par Gazprom jusqu’au renversement politique copernicien de 2022. Depuis 2022, les prix énergétiques européens se sont mis à fluctuer follement en fonction des évolutions des prix énergétiques internationaux, essentiellement ceux des hydrocarbures largement affectés par la mise en Å“uvre de restrictions de politique commerciale très géopolitiques mais très peu rationnelles en termes économiques. En 2024, les industriels européens paient leur énergie (souvent 30 à 40 % du coût de leurs intrants) deux à trois fois plus cher que les concurrents américains : le système de fixation des prix européens de l’énergie est devenu pour les industriels français très clairement dispendieux et au désavantage formel de la France qui peut facilement disposer à nouveau d’un avantage compétitif grâce à son parc nucléaire en sortant comme l’Espagne du mécanisme européen très à, l’avantage d’une Allemagne qui a supprimé ses centrales nucléaires au temps des vaches grasses du gaz russe à bas prix.  

On le voit, les règles de concurrence sont fort peu évoquées dans cet ensemble de faits inhibiteurs de la compétitivité de l’Union Européenne et de la France car ces règles de concurrence ne sont pas la clé vitale pour résoudre le décrochage industriel, même s’il existe des problèmes qui se sont révélés aux dernières auditions d’investitures des commissaires désignés de la Commission von der Leyen II et auxquels on reviendra. En revanche, il y a des axes politiques majeurs en termes de réduction de la dépense publique et d’allègement des normes – tant du travail qu’environnementales – qui mériteraient d’être repris et mis en avant par la pensée libérale, spécialement, en France. L’objectif prioritaire doit être de redonner espoir aux investisseurs, du travail aux salariés et des financements gagés sur la création de richesse dynamique et non par perfusions financières héritées d’états néo-communistes, interdisant la liberté et la responsabilité économique aux innovateurs et entrepreneurs.

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