« Pauvres peuples du Pacifique, si loin de Dieu et si proches de la Chine »

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Grâce à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et également à Clipperton, la France est présente dans le Pacifique-Sud, avec un immense espace maritime situé à 16 000 km de la métropole, correspondant à une ZEE (zone économique exclusive) de 7 millions de km2, qui se situe, à elle seule, au 4ème rang mondial. 

Longtemps, la présence française dans le Pacifique, surtout en Polynésie Française, a été un irritant pour la Nouvelle-Zélande et l’Australie, sur fond d’essais nucléaires (1966-1996) et de pollution environnementale. Les deux pays ont ainsi tenté de mettre en avant les liens culturels les unissant aux polynésiens (Wallis et Futuna et Polynésie) et les origines ethniques partagées avec les mélanésiens (Nouvelle-Calédonie) pour accroître leur influence dans la zone. 

Traditionnellement, un autre pays, dans les années 1990-2000, a tenté, par une diplomatie du chéquier, de se constituer une clientèle parmi les micro-États du Pacifique : le Japon. Ces États n’avaient en effet pas le même ressenti négatif vis à vis de Tokyo que les pays asiatiques continentaux et leurs voix étaient bien utiles pour asseoir la position du Japon à l’Assemblée générale des Nations Unies. 

Néanmoins, le Japon a été dépassé en 2010 par la Chine au plan économique et c’est un acteur beaucoup plus offensif qui s’est imposé, en perfectionnant jusqu’au vice la stratégie japonaise. La Chine est en effet allée au-delà de l’APD en proposant un soutien financier à ces territoires pauvres et isolés, souvent endettés, en échange d’une rupture avec Taïwan. Dans l’impossibilité de rembourser les dettes accumulées, certains de ces États, comme le Vanuatu, territoire anciennement français, sont devenus des obligés de Pékin, englués par la dette. Le Vanuatu a ainsi accepté la location pendant 75 ans de l’île de Tulagi, qui accueille désormais un port en eaux profondes, susceptible d’accueillir un jour des navires de guerre. De même, les riches ressources minières de la Papouasie-Nouvelle-Guinée sont passées intégralement sous férule chinoise, même si le Japon continue à y maintenir son APD. 

Depuis l’annonce en 2013 par le président Xi Jinping des « Nouvelles Routes de la Soie », Pékin a réussi à y associer onze États du Pacifique-Sud : Nouvelle-Zélande, Îles Cook, Micronésie, Fidji, Kiribati, Niue, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tonga, Vanuatu, Îles Salomon et Samoa ; seules l’Australie, et des micro-États – qui ont la particularité d’être liés à Taïwan et aux Etats-Unis – comme Nauru, Palau, Tuvalu et les Îles Marshall n’ont pas suivi le mouvement. 

Cette montée en puissance de l’éléphant chinois n’est pas passée inaperçue dans le magasin de porcelaines du Pacifique. Le Japon a mis en place en 2014, un « partenariat stratégique spécial » avec l’Australie, prévoyant le transfert d’équipements et de technologies de défense, des équipes de recherche conjointes et des projets de défense d’intérêt commun. La diplomatie américaine s’est mise en marche pour enliser l’offensive économique chinoise, conduisant en 2022, à un revers diplomatique lorsque le Forum des îles du Pacifique (PIF) a refusé de conclure un ambitieux accord de coopération régional proposé par Pékin, englobant aussi bien le commerce, la protection des fonds marins que la controversée formation de la police de ces États. 

Les Etats-Unis ont surtout suscité l’alliance AUKUS (Australie, États-Unis et Royaume-Uni) pour contrebalancer Pékin. 

Pour la France, le défi géopolitique est complexe car il y a peu de place entre l’AUKUS et le géant chinois, même si l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis ont enfin changé de discours, en considérant qu’il valait mieux Paris à Papeete ou Nouméa que Pékin. Au sein de ce très vaste espace, où la présence humaine se concentre sur des confettis d’îles, la Polynésie (285 000 habitants, 4 200 km2 dispersés sur la surface de l’Europe) et la Nouvelle Calédonie (270 000 habitants, 18 000 km2) jouissent d’un intérêt constant et particulier de la part de la Chine qui a intelligemment utilisé le désir d’autonomisation des territoires français. « Pauvre Mexique ! Si loin de Dieu, si proche des Etats-Unis » : cette célèbre phrase déclamée par le dictateur Porfirio Díaz pourrait être détournée pour parler de nos archipels lointains. 

Bien que plus éloignée que la Nouvelle Calédonie de Pékin (Papeete est à 11 600 km), la Polynésie française entretient des relations anciennes et solides avec la Chine. Territoire d’Outre-Mer depuis 1946, la Polynésie française est en effet dotée depuis le 6 septembre 1984 d’un statut d’autonomie interne dans le cadre de la République. La France a laissé son archipel du Pacifique nouer des accords économiques et politiques avec des puissances étrangères. La visite à Tahiti du Président chinois JIANG Zemin en 2001, puis en retour, la visite en Chine du Président Gaston Flosse en 2002, ont permis à la Chine de tisser sa toile. C’est ce qui a permis l’établissement d’une Association d’amitié entre les peuples entre la Chine et la Polynésie Française. La Chine est représentée en Polynésie par un institut Confucius (2013) et surtout un consulat (2007), grâce à des échanges de bons procédés avec les dirigeants indépendantistes. Oscar Temeru a ainsi obtenu le soutien de Pékin aux Nations Unies pour faire reconnaître : « Le droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l’autodétermination et à l’indépendance » (résolution 67/265 adoptée sans vote le 17 mai 2013).

La Chine a fait de son influence dans l’archipel polynésien l’un de ses objectifs majeurs pour contrôler les vastes espaces maritimes, riches en ressources halieutiques mais aussi carrefour entre le continent asiatique le continent Nord-Américain et l’Antarctique. Le voyage d’Emmanuel Macron de 2021 – essentiellement défensif – visait à rappeler la protection française et notre résolution à refuser les projets chinois les plus agressifs, comme celui de zone aquacole sur l’archipel de Hao, archipel le plus éloigné de Tahiti, situé à 919 kilomètres de la capitale locale. La classe politique locale, confrontée à une pauvreté endémique, soutient bien évidemment ce projet de 600 M€, qui a le mérite de proposer une reconversion économique à l’ancien archipel utilisé pour les essais nucléaires. 

La Nouvelle-Calédonie – pourtant à 8 600 km de Pékin – ne dispose pas de la même latitude que la Polynésie en termes de relations étrangères, mais une partie de son élite le souhaiterait. Territoire d’Outre-Mer depuis 1946, la Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’Outre-Mer à statut particulier qui résulte de l’accord de Nouméa (5 mai 1998), approuvé lors de la consultation électorale du 8 novembre 1998. 

Ceci explique que le processus d’indépendance – qui s’est conclu négativement en décembre 2021 – ait été suivi avec attention par la Chine. Certes, une association d’amitié sino-calédonienne a été créée en 2016, mais la France refuse obstinément l’implantation d’un consulat ou d’un institut Confucius pour éviter ce qui s’est produit en Polynésie. Ladite association est en effet déjà soupçonnée d’entretenir des relations avec les mouvements indépendantistes et d’être un faux-nez du lobbying chinois. L’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) a publié un rapport soulignantdes soupçons d’ingérence chinoise dans le référendum de 2018 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Une Nouvelle-Calédonie indépendante, outre ses ressources en nickel (dont 80% vont en Chine) intéresse la Chine car elle dispose d’infrastructures militaires préexistantes et permettrait de rompre l’encerclement de la Chine depuis le Nord (Japon) en passant par Taïwan et les Philippines, tout en jetant une pierre dans l’arrière-cour de l’Australie. Le potentiel commercial et militaire de Nouméa est ancien. Il avait été convoité par les Japonais et exploité par les Alliés comme base logistique pour le Pacifique au point qu’à la fin de la guerre, seul le port de San Francisco dépassait Nouméa en tonnage traité.


 

Depuis le troisième et dernier référendum s’autodétermination de décembre 2021, l’accord de Nouméa est contesté et l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie suspendu. Le contexte du dernier vote était en effet très particulier, puisqu’il avait eu lieu en pleine épidémie de Covid et le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), indépendantiste, avait appelé à boycotter les urnes, faisant chuter drastiquement la participation.

Dans ces conditions, l’arrivée d’un gouvernement indépendantiste en Polynésie est objectivement une mauvaise nouvelle pour Paris qui cherche à gérer les suites du référendum calédonien. Un mal pour un bien cependant : elle va obliger la France à clarifier ses objectifs. 

Contrairement à l’Australie, la poussée chinoise n’est pas un risque existentiel pour nous. Ce que nous devons conjurer, c’est une autonomisation de ces deux territoires qui se terminerait probablement par leur vassalisation. 

Or, la Chine n’est pas la seule à lorgner sur la Nouvelle-Calédonie : l’Australie comme les Etats-Unis ont des relais d’influence et ils ne conçoivent Paris que comme un allié de second rang. L’affaire des sous-marins australiens – commandés en 2016 en plein rapprochement franco-australien et annulés en septembre 2021 – a jeté un trouble immense, car elle a démontré à Paris la prééminence des liens anglo-saxons. 

N’étant plus liée commercialement à l’Australie, la France peut se permettre de jouer sa propre partition dans la zone, en s’inspirant de certains micro-États qui soufflent le chaud et le froid et naviguent entre Washington et Pékin, sans s’allier à un bloc. 

Pour cela, elle devrait mettre les moyens militaires mais aussi économiques sur la table : ce ne sont pas les dizaines de millions d’investissement annoncés par Paris qui convaincront les deux territoires de rêver aux promesses mirobolantes venues de Chine. En effet, si la Polynésie comme la Nouvelle-Calédonie sont très utiles pour la projection française, leur isolement extrême par rapport à l’Europe ne peut que les conduire à travailler avec les pays plus proches en fonction d’objectifs communs.

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