Par Ghislain de Castelbajac
Du Donbass au Haut-Karabagh, de Téhéran à Sanaa, d’Israël à Gaza, du Kivu à Kabul, des peuples souffrent, se battent, fuient les massacres, le nettoyage ethnique, les pogroms, meurent sous les bombes, les actes de barbarie, la torture, le viol.
Le tableau est plus qu’alarmant, au-delà de révoltant.
Une guerre mondiale sournoise, sans début et sans doute sans fin : une guerre sans merci, où l’horreur et la terreur sont filmées, commentées sur les réseaux sociaux, où chaque victime est le macabre trophée d’une cause jetée contre le camp adverse dans une agora mondiale où couve un feu attisé par des satrapes revanchards et des messianiques apocalyptiques.
Il est parfois saisissant de relier les idéologies de certains leaders, ou de leurs financiers, pour comprendre que notre monde est entre les mains de gens souhaitant sincèrement sa fin :
– La fin d’un ordre post-guerre froide et la revanche des empires. C’est en premier lieu le cas de la Russie de Vladimir Poutine, qui tente de reprendre pied après la perte de territoires et d’influence de la Russie tsariste puis soviétique. Cet esprit revanchard territorial classique, est mû par une idéologie civilisationnelle « Orient orthodoxe contre Occident décadent », et Eurasisme contre atlantisme. C’est aussi le cas de l’Azerbaïdjan d’Aliev et de la Turquie d’Erdogan, qui ne s’arrêteront pas à la reprise en main du Haut-Karabagh, enclave arménienne distribuée par Staline à la RSS Azerbaïdjan…
– La fin d’un ordre post-colonial qui n’en finit pas de mourir, avec ses clientèles faciles, ses frontières découpées en États-nations qui écrasent le fait ethnique pour la dictature de la majorité, et nient donc les spécificités des minorités tribales qui composent de nombreux pays d’Afrique par exemple. C’est le cas au Mali, Niger, mais aussi au Congo oriental (Kivu) et dans la région des grands lacs. Les nouveaux chefs d’États autoritaires, souvent issus de coups d’États, n’hésitent plus à redessiner les cartes à l’aune d’une redistribution des ressources et des fidélités tribales et ethniques.
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– La fin d’une civilisation multimillénaire, celle des chrétiens d’Orient, qui composaient récemment une part importante des populations du Levant arabe et de Mésopotamie, et qui a été victime d’un génocide silencieux depuis près d’un siècle, avec un dernier coup frappé au cœur de la chrétienté d’Orient par l’exode massif le plus rapide de l’Histoire lors de l’exil des Arméniens du Karabagh en 48 heures.
Il s’agit là de l’effacement pur et simple d’une civilisation, gênante pour les tenants de la purification ethnique (pantouranisme) et religieuse (oumma).
– La fin d’un monde mercantile ouvert aux échanges, au progrès et aux libertés, mais aussi à leurs corolaires idéologiques dégénérescents d’une humanité interchangeable, déracinée, transhumanisée, asexuée.
– La fin de l’hypocrisie, dénoncée par ce qu’il est convenu d’appeler le Sud « global », et qui regrouperait une nouvelle génération bercée aux guerres de l’hyperpuissance américaine et ses tapis de bombes démocratiques. Originellement assoiffée de libertés individuelles et dégoutée de la corruption généralisée, elle se révolte depuis les intifadas, les « printemps arabes » et les révolutions de couleur, sans succès.
Dégoutée par l’hypocrisie des médias occidentaux, des risibles problèmes et malaises démocratiques aux Etats-Unis, en Europe ou en France, elle applaudit à tout ce qui pourrait affaiblir cet Occident : une guerre de blancs en Ukraine, une armée française déboutée du Sahel par des putschistes, un massacre en Israël… Quitte à préférer le cynisme et la cruauté de leurs nouveaux modèles, à l’hypocrisie des Occidentaux.
L’hypocrite étant particulièrement voué aux gémonies dans le Coran, certains y trouvent en plus une justification religieuse[1].
Cette galaxie d’idéologues, d’ultrareligieux et de nihilistes croient que la purge d’un conflit mondial permettra la venue de leur messie et l’éradication de leurs ennemis : « les juifs à la mer », « les Palestiniens dans les pays arabes voisins », « les Arméniens hors du Caucase », etc.
C’est dans cette arche d’alliances des ténèbres que certains politiciens à courte vue et au cynisme déroutant, fomentèrent des stratégies imbéciles, cultivant ainsi des Golems (de l’hébreu : גולם, « embryon », « informe » ou « inachevé »)[2] qui se retournent systématiquement contre leurs créateurs, ou leurs alliés :
– Al-Qaïda enfantée par les errements de la CIA
– Le Front Islamique du Salut algérien, encouragé par le département d’État américain
– Da’esh, conséquence directe de l’invasion/destruction de l’Irak par l’armée américaine
– Les jihadismes sahéliens, réveillés par la destruction de l’État libyen par la France et sa coalition
– Le Hamas, renforcé par la politique du Likoud du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.
Jamais jugés, jamais condamnés pour leurs erreurs, ils portent une responsabilité dans le chaos et l’horreur terroriste à laquelle les peuples font face, de Mossoul à Paris et d’Israël au Sahel.
Il y a aussi les financiers, ceux qui inondent d’argent les groupes les plus dangereux, du Darfour à la Syrie et du Sahel à Gaza. Pompiers pyromanes, ils se portent en intermédiaires « indispensables » lorsque survient l’apogée d’une crise d’otages. Ces États et leurs souverains estiment que l’argent achète tout, résout tout : un but en or au championnat de France vaut bien un pogrom !
Ils déversent leur morgue et leur mépris des victimes jusqu’à héberger les cerveaux d’un groupe terroriste qui lance des appels au meurtre (bien reçus en France malheureusement) depuis leurs lofts luxueux en bord de mer…à un jet de pierre d’une importante base américaine. Quel courage !
Enfin, il y a le groupe des « survivalistes ». Souvent autoritaires, ces pays connaissent de l’intérieur leurs populations et les risques de débordement.
C’est en premier lieu le cas de l’Égypte du maréchal al-Sissi, qui est co-responsable du blocus des civils de Gaza, en fermant l’unique poste frontière de Rafah. Il faut comprendre le contexte, alors que des terroristes du Hamas s’étaient infiltrés dans le Sinaï égyptien pour y massacrer des militaires. Berceau de l’organisation des Frères Musulmans, en Égypte, ceux-ci sont interdits et pourchassés depuis la destitution du président Morsi.
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Depuis le 7 octobre, le pouvoir égyptien montre d’ailleurs leurs muscles en faisant défilé des systèmes d’armes dans le Sinaï dont le message est clair : Vu la situation sécuritaire à sa frontière avec Gaza, Le Caire montre par la même occasion à sa population une apparente fermeté vis-à-vis d’Israël.
Les Émirats Arabes Unis leurs emboitent le pas, ainsi que la plupart des pays arabes frontaliers ou non d’Israël : ils redoutent avant toute chose un afflux de réfugiés gazaouis et la répétition d’un « septembre noir » de 1970, ou une nouvelle guerre civile comme au Liban entre 1975 et 1978 où les feddayin de l’OLP et du FPLP usaient de méthodes similaires à celles du Hamas contre les civils libanais, pourtant leurs hôtes contraints…
Échaudés de la politique du Golem telle qu’elle fut pratiquée par l’Arabie Saoudite avant 2001 par exemple, ils pourchassent les groupes idéologiques apocalyptiques liés au terrorisme tels que les Frères Musulmans, le Hamas, le groupe EI ou al-Qaïda.
Loin est le temps où Oussama ben Laden chassait au faucon avec ses cousins princes du désert…
Nous pourrions citer également l’Algérie, dont les citoyens ayant fui les années de plomb connaissent les imbrications de certains services dans la poussée verte du FIS et les années de guerre civile qui s’en suivirent.
Et la France dans tout cela ?
Première nation arabe d’Europe, la France est aussi la plus grande nation juive du monde après les Etats-Unis et Israël.
Son approche gaullienne et les instants de lucidité de notre diplomatie sous la présidence de Jacques Chirac notamment, donnent pourtant à Paris de moins en moins la capacité de parler à toutes les parties du conflit israélo-palestinien. C’est pire concernant le Karabagh et l’Ukraine.
Le président Macron a tenté de porter une volonté de trêve humanitaire à Gaza. C’est mieux que rien, mais ce n’est évidemment pas suffisant pour régler ce problème qualifié d’insoluble par les plus rationnels.
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Puis, comme pris d’une triste manie, il s’est contredit en reprenant les termes du Likoud pour une ‘coalition’ internationale contre le Hamas, cadrée sur celle qui eut lieu contre Da’esh… Cette saillie présidentielle malheureuse risque d’internationaliser non pas le combat, au sens d’une action coordonnée et concrète contre le Hamas, mais plutôt le ressenti des arabes contre nous ! Il est en effet évident, que si la France jouait un rôle, ce qui est souhaitable, l’internationalisation doit être d’une discrétion absolue, dans un jeu intelligent et mesuré de règlement, ou du moins de désamorçage, de plusieurs conflits régionaux.
Malgré cette maladresse, nous pourrions peut-être encore affirmer que cette nouvelle tragédie en Terre Sainte est l’occasion pour Paris de se sublimer en proposant une feuille de route régionale et même globale pour éviter un nouveau bain de sang, et un possible conflit mondial sans doute plus meurtrier que les deux précédents.
Il faudrait pour cela que la France s’arme de courage, et de discrétion, et propose notamment :
1. Une trêve permettant d’éviter des bombardements aveugles dans Gaza en échange de la libération de tous les prisonniers civils israéliens et double nationaux, y compris bien entendu les Français. Mais pas d’échange de prisonniers dans le cas des civils.
2. Un échange de prisonniers militaires (le Hamas détiendrait même un général de Tsahal) contre des prisonniers palestiniens.
3. La tenue d’élections tant à Gaza qu’en Israël, dans un lapse de temps court, pour permettre notamment un changement d’interlocuteurs entre les parties, et que justice fasse son œuvre… Il est évident que cette étape, surtout à Gaza, ne pourra se faire sans le soutien extrêmement convaincant des Européens, et surtout de Washington, mais aussi…de Doha, qui devront agir de concert pour faire pression sur les deux camps pour l’organisation d’élections libres.
4. La reprise de négociations de paix qui permettront la création d’un État palestinien, ou d’une solution confédérale, en échange d’une reconnaissance d’Israël par l’ensemble des États Arabes.
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5. En corollaire, et dans une dynamique proactive, le détournement de l’attention et l’assèchement de l’armement et des financements occidentaux en faveur de l’Ukraine forceront aussi les parties à une « paix des braves » alors qu’une Ukraine exsangue, dans un conflit ayant fait plus de 500 000 victimes, ne pourra bientôt plus compter que sur elle-même malgré la récente incursion de son armée à Koursk…
Là aussi, la France doit reprendre pied et permettre au peuple ukrainien de tourner la page pour mieux se reconstruire. La perte d’un Donbass russophone détruit et vidé de ses habitants pourra être proposé en balance d’un partenariat fort, voire d’une adhésion à l’UE, qui inclut déjà des mécanismes de défense au sein du parapluie de l’OTAN. Ici aussi, cela passera par la nécessité de forcer la main aux parlementaires ukrainiens qui ne permettent aucune reprise de négociations avec Moscou.
6. Concernant l’Arménie, possible prochaine victime d’une annexion d’une partie de son massif du Zenguezour par Bakou (avec le soutien d’Ankara) pour permettre la ‘réunification’ des turcs face aux « gêneurs » arméniens, elle s’est tournée en dernier recours vers Paris et Téhéran.
C’est aussi une opportunité pour Paris de régler certaines questions liées à l’Iran avec du miel. En proposant à l’Arménie et à l’Iran un soutien à la protection de leurs frontières face à l’irrédentisme pantouranien dans le Caucase, Paris pourra montrer que les occidentaux ne souhaitent pas -à priori- le dépeçage de l’Iran millénaire, mais comprennent le rôle régional de cette puissance en (re)devenir. Les conditions à ce soutien auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU et auprès de Washington et d’Ankara, seront que l’Iran renonce à l’ensemble de ses prétentions nucléaires militaires, et normalise ses relations avec Israël…à la suite d’une paix signée entre le Liban (donc le Hezbollah) et l’État hébreu, ce qui passera entre-autres par un accord sur les fermes de Shebaa.
Un refus de Téhéran d’accepter ce processus impliquerait par ricochet une exacerbation des soutiens aux irrédentismes des minorités azéris, kurdes et arabes d’Iran pour précipiter la chute d’un régime qui aurait alors refusé la main tendue de la France.
Nos alliés kurdes d’Irak seraient alors ravis d’ouvrir une route à l’Est pour étendre leur autonomie au Kurdistan iranien. Quant aux 23 millions d’Azéris d’Iran, ils pourraient se réunir avec Bakou et reformer une province riche et stable. Cela signerait la fin du régime des mollahs, mais aussi la fin de la volonté de l’Azerbaïdjan de passer par l’Arménie pour recoller les morceaux de ses exclaves du Nakhitchevan…car la jonction méridionale serait alors ouverte via ses cousins azéris du Sud.
Il est probable qu’une telle feuille de route s’opposera aux intérêts de nombreux acteurs qui souhaitent en venir aux mains, mais tant qu’il y a une volonté, il y a un chemin !
[1] « Al munafiqun » : cf : Sourate 63 du Coran
[2] Un Golem fut créé par un rabbin de Prague au moyen-âge. Censé protégé les juifs des pogroms, le rabbin écrivit « EMETH » (vérité) sur son front. Mais devenu trop dangereux, il dut ôter le Alef (la première lettre), pour que sur le front du Golem soit inscrit « METH » (mort) et que la créature redevienne un tas d’argile. Pour cela le rabbin dut utiliser un stratagème pour qu’il baisse la tête, et non pas user la force brute, qui l’aurait renforcé…
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Ghislain de Castelbajac a vécu et travaillé plus d’une décennie dans
les pays du Golfe persique en tant qu’expert dans les domaines du
renseignement et de l’analyse, après avoir été chargé de mission au
service du Premier Ministre de la France. Il exerce maintenant dans la
conformité des transactions internationales. Il est également gérant d’actifs, et
restaure avec passion un vaste monument historique familial dans le Gers.
Nommé par décret du Premier Ministre français en 1996 chargé de mission au Secrétariat
Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), Ghislain de Castelbajac débute
sa carrière au sein de l’équipe du Groupe Permanent de Situations, puis du pôle Affaires
Internationales et Stratégiques.
En 2000, dans le cadre d’accords de défense bilatéraux, il rejoint les équipes du Chef d’Etat-
Major du gouvernement fédéral des Emirats Arabes Unis en tant que conseiller spécial.
À ce titre, il fut co-fondateur d’un modèle d’analyse systémique régional d’évaluation des
risques et opportunités en contexte de sécurité nationale, et d’une cellule de traitement de
l’information stratégique et du renseignement. Il a formé de hauts fonctionnaires locaux sur
ces questions, fut l’auteur de nombreux rapports et responsable de plusieurs missions sur
des sujets sensibles concernant la région, durant la période troublée de 2000-2005.
Basé à Dubaï (EAU) depuis 2005, il a rejoint une structure d’advisory, conseillant des
investisseurs en due diligence stratégique et de conformité en exécutions d’opérations de
fusions-acquisitions. Il conseille des entités publiques sur des programmes de conformité, y
compris pour la création d’un régulateur financier aux Emirats Arabes Unis.
Il a conseillé ses clients sur de très nombreuses transactions par le biais de due diligences et
audits préalables dans plus de 90 pays sur des Fusions, Joint-Ventures, partenariats
internationaux, investissements directs étrangers, dans le cadre de grands projets
industriels.
De retour en France, il a fondé fin 2013 la première plateforme de due diligence : Il est
opérateur de due diligences et conseiller sur des problématiques d’éthique des affaires et de
mise en place de schéma d’intelligence économique pour plusieurs sociétés européennes.
Il est titulaire d’un DEA (Master 2) en histoire diplomatique et géopolitique de Paris IV
Sorbonne, d’un DESS (Master 2) en administration et droit des organisations internationales
de l’Université Paris-Sud Jean-Monnet, et est un ancien élève de l’Institut Supérieur des
Affaires d’HEC.
Il est co-auteur d’un livre de référence sur les questions des Nationalités en Europe de l’Est
au début du XXème siècle, et auteur de nombreux articles, interviews et analyses
internationales parues dans des Think-Tanks spécialisés et médias.
Il a enseigné les techniques d’investigations internationales au sein du master de l’Ecole de
Guerre Economique (ESLSCA) à Paris.
Elu municipal d’une commune rurale, lauréat des prix de la Fondation Bern, Fondation
Sotheby’s, Fondation Mérimée, French Heritage Society, Fondation François Sommer.