Par Vincent Sinacola
Dans les montagnes andines des hauts plateaux occidentaux boliviens, un lagon d’eau cristalline reflète le bleu du ciel et réinvente des tons turquoises qui contrastent parfaitement avec la couleur café des rochers et le manteau blanc de celui qui semble dormir éternellement au sommet : le glacier Charquini. Ce spectacle naturel fait le bonheur des yeux de nombreux touristes chaque jour de l’année dont j’ai fait partie lors d’un voyage en Bolivie. J’ai cependant rapidement compris que le glacier n’intéresse pas uniquement les touristes mais aussi et surtout les scientifiques, qui se sont rendu compte que le géant blanc décline petit à petit.
Le glacier Charquini est un glacier des montagnes andines situé à 5340 mètres d’altitude à une distance d’environ 20 kilomètres de la ville de La Paz, capitale de la Bolivie. On le rencontre sur la Cordillère Royale (Cordillera Real), une chaine de montagnes qui divise les bassins de l’Amazone des hauts plateaux boliviens (Altiplano). Le glacier et surtout sa lagune (Laguna Esmeralda), beauté naturelle et conséquence de la fonte du glacier, sont devenus des points important du tourisme de la région.
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Cependant malgré la beauté apparente pour les nombreux touristes le glacier a commencé à fondre depuis longtemps, et ce en adoptant un rythme très accéléré ces dernières années. Les causes de la fonte du glacier sont bien connues : le réchauffement climatique et le tourisme intensif. Le cas de ce glacier n’est pas isolé, les glaciers de la Cordillère Royale ont commencé à perdre de la masse à la fin de la petite période glaciaire au 17ème siècle, donc de manière naturelle. Mais comme on l’observe à bien d’autre endroit de la planète, le processus révèle une nette accélération depuis les dernières décennies[1]. Il faut savoir que le climat des Andes boliviennes, typique des tropiques externes, est caractérisé par une quasi-absence de saisonnalité des températures et par l’alternance d’une saison humide d’octobre à mars et d’une saison sèche de mai à août. L’augmentation des températures combinée avec cette absence de saisonnalité a pour conséquence une température moyenne trop importante quasiment toute l’année pour permettre le maintien du glacier, ce qui l’empêche de se reformer, tout en sachant que la région est soumise à des flux solaires très intenses qui sont de ce fait absorbés par les sols qui se réchauffent plutôt que d’être réfléchi par les glaces.
En effet le glacier souffre particulièrement du réchauffement dans la région et fond à vue d’œil, le tourisme massif et incontrôlé avec les pratiques de snowboard, luge ou autre activité sur le glacier n’ont fait qu’accentuer son déclin. Aujourd’hui le glacier a perdu environ 200 mètres de longueur depuis les années 1980 dont environ 100 mètres dans les seules 5 dernières années. Plus impressionnant encore selon les études de l’Universidad Mayor de San Andrés (UMSA) et de l’Institut de recherche pour le développement[2], le glacier perd en ce moment 1,5 mètre d’épaisseur par an ! De manière globale le glacier Charquini a perdu aujourd’hui les ¾ de sa masse originelle (enregistrée vers 1940).
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La fonte des glaciers boliviens n’est pas qu’un phénomène local, mais un des plus clair indicateur d’un phénomène global et des conséquences du changement climatique. La fonte des glaciers frappe les écosystèmes qui connaissent des désordres très important. Il neige également de moins en moins, et la diminution des accumulations de neige entraîne d’une part une altération du bilan massique du glacier, et d’autre part une réduction de la réserve hydrique qui devrait soutenir les principaux centres urbains de la zone dans les prochaines décennies. En effet Lorsqu’un glacier fond sans se reformer, il cesse de fournir le service écosystémique qu’il accomplissait : accumuler la neige et la transformer en glace pour ensuite la rendre sous forme liquide dans les rivières. Si la montagne perd cette capacité cela signifie que le stress hydrique aura un impact toujours plus important dans la région car les usines d’eau naturelle seront perdues. Ce cas de figure pourrait poser de sérieux problèmes pour l’approvisionnement en eau des populations locales jusqu’à la ville de la Paz, car en dehors des principaux sommets de la région les zones aux alentours sont assez arides, même très arides. Ceci pourrait conduire à des déplacements de population d’ici quelques années. Aujourd’hui le tourisme a été régulé, seuls des randonnées sont disponibles jusqu’à la lagune au bas du glacier, et le glacier est désormais considéré comme une zone protégée[1].
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Cependant le tourisme ne doit pas être totalement interdit, ce n’est d’ailleurs pas le souhait des boliviens, mais il est nécessaire qu’il soit durable et respectueux de l’environnement comme l’a exprimé lors d’une interview il y a quelques années Edson Ramirez, glaciologue de la San Andres Mayor University qui suit l’évolution du glacier depuis plus de 20 ans “Nous avons besoin de développer un tourisme durable, car nous sommes face à un glacier très sensible et déséquilibré, qui est pratiquement destiné à disparaître ”.
Cependant, à la vue de l’accélération de sa fonte et du réchauffement climatique de manière général, il semble très difficile de le préserver car les solutions sont en effet très limitées, avec tout d’abord le contrôle du tourisme et l’arrêt du tourisme intensif, l’augmentation des zones protégées avec l’exemple récent de l’Argentine et du Chili[2]. Mais surtout, la solution principale et la plus impactante serait de limiter le réchauffement climatique… Et malgré le combat mené par les scientifiques et les alpinistes pour le sauver, l’hypothèse la plus probable serait malheureusement sa disparition complète dans les prochaines années, en rappelant qu’il y plus de 10 ans un autre glacier bolivien célèbre, le Chacaltaya, disparaissait complétement démontrant déjà les effets du réchauffement.
Il faut tout de même noter le point positif que les populations locales sont de plus en plus sensibilisées et se mobilisent toujours davantage. Les actions sont toujours possibles et doivent être mises en place, elles le sont, mais pas encore à une échelle assez élevée. Il y a aujourd’hui en Bolivie une réelle prise de conscience de l’importance de préserver les espaces naturels et de la richesse qu’ils représentent, une richesse qui va de pair avec leur fragilité.
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[1] Bosson, J.B., Huss, M., Cauvy-Fraunié, S. et al. Future emergence of new ecosystems caused by glacial retreat. Nature 620, 562-569 (2023)
[2] “Glacier mass balance changes and meltwater discharge”, IAHS Press, Patrick Ginot & Jean-Emmanuel Sicart, 2007
[3] On rappelera qu’actuellement moins de 50% des surfaces glaciaires sont situées dans des aires protégées.
[4] Des lois envionnementales pour la protection des glaciers ont été récemment établies en Argentine et au Chili.
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