Par André Boyer – Son blog : http://andreboyer.over-blog.com/
C’est à peine si l’on se commence à réaliser que l’explosion démographique ne montera pas jusqu’à dix ou douze milliards d’êtres humains en 2100, alors que la crise démographique est déjà présente parmi nous.
Il est donc plus que temps de s’inquiéter des conséquences de la baisse du taux de natalité. Je sais, il y a des raisons de s’inquiéter à court terme, le déficit du budget de l’État, la baisse de productivité européenne ou la guerre d’Ukraine.
Mais, au même titre que les conséquences écologiques de notre style de vie, la baisse du taux de fécondité a des conséquences bien plus lourdes, bien plus universelles et bien plus profondes que ces crises conjoncturelles. L’année 2023 marque, à ce titre, un tournant dans l’histoire de l’humanité, car c’est l’année où, pour la première fois, les humains n’ont pas fait assez de bébés pour assurer la survie de la population.
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Pourtant, selon les projections de la population mondiale effectuées par les Nations unies, l’indice synthétique de fécondité était encore de 2,25 en 2023, soit un peu plus que le taux de remplacement théorique de 2,1. Mais les Nations unies ont surestimé cet indice, en raison de l’absence de statistiques dans de nombreux pays et de leur sous-estimation du taux de fécondité de remplacement.
Lorsque l’on a pu recueillir des pays statistiques fiables comme en Colombie, le nombre de naissances en 2023 était inférieur de 10 à 20 % aux estimations de l’ONU. En outre, le taux de fécondité de remplacement de 2,1, réaliste en Europe, ne s’applique pas à l’ensemble du monde, car dans de nombreux pays en développement le pourcentage de femmes qui survivent jusqu’à l’âge de la procréation est inférieur à celui des pays développés.
Un niveau de fécondité insuffisant pour renouveler la population mondiale ne signifie cependant pas qu’elle est déjà en train de diminuer, car elle est pour le moment compensée par l’accroissement de la longévité.
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Si la tendance actuelle se poursuit, la population humaine devrait atteindre son maximum dans une trentaine d’années, avant de commencer à chuter.
Il faut noter que la baisse de la fécondité n’est pas limitée aux pays développés, car elle s’est produite partout et à un rythme plus rapide que prévu par les statistiques de l’ONU.
La Corée du Sud est le cas le plus extrême, avec un taux de fécondité de 0,72 en 2023 alors qu’il était encore en 2015 de 1,24, et il n’y a aucun signe de ralentissement de ce déclin. La même tendance est observée dans toute l’Asie, en Chine, au Viêt Nam, à Taïwan, en Thaïlande, aux Philippines et au Japon.
Cette tendance n’est pas propre à l’Asie. En Turquie, le taux de fécondité est passé de 3,11 en 1990 à 1,51 en 2023. Au Royaume-Uni, le taux de fécondité était de 1,83 en 1990 et il n’était plus que de 1,49 en 2022. La situation en Amérique latine est également frappante : le Chili et la Colombie avaient des taux de 1,2 l’année dernière, l’Argentine et le Brésil étaient à 1,44 alors que tous ces pays avaient des taux de fécondité élevés il y a trente ans.
Une liste non exhaustive de pays où le taux est inférieur au taux de remplacement diminue rapidement comprend l’Inde, les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Bangladesh, l’Iran et toute l’Europe. Nous en savons moins sur l’Afrique en raison de la mauvaise qualité des données, mais celles qui sont disponibles suggèrent toutefois qu’elle connaît un déclin rapide : là où nous disposons d’informations plus fiables, l’Égypte, la Tunisie ou le Kenya, les taux de fécondité s’effondrent à un rythme sans précédent.
La prise de conscience de la baisse du taux de fécondité soulève généralement quatre questions :
1 – La baisse de la population ne sera-t-elle pas bénéfique pour l’environnement ? Sur le plan quantitatif sans doute, mais le risque réside dans la faible priorité à l’environnement accordée par une population confrontée à de graves problèmes budgétaires dus au vieillissement de la population.
2 – L’immigration peut-elle résoudre le problème démographique ? C’est oublier que la baisse de la fécondité concerne toute la planète. Chaque Argentin qui s’installe en Espagne atténue les problèmes démographiques de l’Espagne mais aggrave ceux de l’Argentine. Par ailleurs, pour maintenir une population constante dans un pays comme la Corée du Sud, il faudrait que, d’ici 2080, 80 % des personnes vivant dans ce pays soient des immigrants, ce qui parait irréaliste.
3 – L’IA ne permettra-t-elle pas de pallier à l’effondrement de la population en faisant tout le travail à notre place ? C’est envisageable mais complexe, tant il parait plus facile à priori d’apprendre à une machine à lire des états financiers qu’à vider des bassins de lit dans un Ehpad.
4 – Les politiques publiques ne peuvent-elles pas permettre d’accroitre à nouveau la fécondité ? De la France à la Corée du Sud en passant par Singapour et la Suède, des politiques d’aide financière ou de congés parentaux ont été mises en place, avec un succès limité dans le temps. Le facteur purement pratique qui explique la baisse des taux de fécondité semble être le coût du logement. À Mexico ou à Séoul, les taux de fécondité très bas sont probablement davantage dus aux prix élevés de l’immobilier qu’à toute autre variable et l’État ne peut pas y faire grand-chose.
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Finalement élever un enfant est un engagement profond et à long terme, alors que nos structures sociétales sont devenues profondément hostiles aux familles nombreuses et que les normes sociales ont évolué. Du coup, élever des enfants n’est plus une priorité pour beaucoup.
Par conséquent, tant que nous ne parviendrons pas à inverser la tendance à la baisse des taux de fécondité, préparons-nous à affronter un hiver démographique qui s’annonce bien plus rude qu’on ne veut bien l’admettre aujourd’hui…
Texte librement inspiré d’un article de Jesús Fernández Villaverde, professeur d’Économie à University of Pennsylvania, Philadelphie.
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