Par Nikola Mirkovic
En plein milieu de la tourmente politique française, deux mois après les élections législatives, alors que la France n’avait toujours pas de nouveau gouvernement, Emmanuel Macron s’est rendu en Serbie pour une rencontre « stratégique » avec le président serbe Aleksandar Vučić.
Des accords majeurs entre Paris et Belgrade
Cette deuxième rencontre entre les deux présidents depuis avril dernier souligne la relation cordiale et chaleureuse que les deux pays entretiennent depuis quelques temps. Le président français n’a pas chômé en Serbie. Il a commencé par l’inauguration de la modernisation de l’aéroport de Belgrade Nikola Tesla, construit par l’entreprise française Vinci. Ensuite les deux présidents ont discuté des sujets comme l’économie, la défense, la santé, l’énergie et la culture. Des accords de coopération avec l’Agence française de développement (AFD) ont été échangés, puis ont été signés différents accords de partenariat dans les domaines de la protection de l’environnement, du secteur agricole et alimentaire, de la construction de stations d’épuration des eaux usées et une déclaration d’intention de coopération dans le domaine de la recherche et de l’exploitation de matières premières minérales critiques et stratégiques. Ont également été échangés des lettres d’intention en matière de coopération dans le domaine de la santé scientifique, des déclarations d’intention de coopération dans le domaine du tourisme et un accord de crédit avec EMS Serbie (gestionnaire du réseau énergétique). “D’un point de vue économique, l’arrivée de nouveaux investissements français et le soutien de Paris sur la voie de l’Espace économique européen unique sont d’une grande importance”, a déclaré le président serbe. Il a également mentionné la coopération potentielle entre les deux pays dans le développement de programmes nucléaires, ajoutant que la Serbie « n’aura pas assez d’électricité dans dix ans si elle n’utilise pas l’énergie nucléaire. » Le président français a rappelé que l’Agence française de développement, présente en Serbie depuis 2019, a alloué près de 600 millions d’euros et prévoit de poursuivre le développement de son activité en Serbie. M. Macron a également assisté avec M. Vučić à Novi Sad à un forum sur l’intelligence artificielle puis ils ont visité l’usine Schneider Electric, entreprise française dans laquelle se déroule le forum de la jeunesse et de l’intelligence artificielle. Emmanuel Macron a plaidé pour un « modèle » européen de l’intelligence artificielle autour de « trois s » : « Science, standards et solutions », pour « rattraper le retard » face à la Chine et aux États-Unis. Belgrade s’apprête à assurer la présidence du Partenariat mondial pour l’intelligence artificielle et la France accueillera le sommet de l’IA les 10 et 11 février prochains. « Nous, Européens, nous sommes un peu distancés », « les Chinois et les Américains investissent beaucoup plus », a regretté Emmanuel Macron. Il est probable en effet que Belgrade progresse plus sur l’IA avec Pékin qu’avec Paris.
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Dassault étend sa flotte dans les Balkans
Le point d’orgue de la rencontre fut la signature de l’achat de 12 Rafales par la Serbie pour un montant estimé de 2,7 milliards d’euros. C’est un contrat important pour la France qui permet à la Serbie de rentrer dans le « Club Rafale » pour reprendre l’expression d’Aleksandar Vučić. La Serbie devient le troisième pays des Balkans, après la Grèce et la Croatie, à acheter l’avion de chasse de Dassault aviations. M. Macron de son côté a estimé que cet achat représentait pour la Serbie, dont la flotte est essentiellement composée d’avions russes et ex-yougoslaves, un « changement stratégique. »
Les pays membres de l’Union européenne sont les premiers partenaires commerciaux de la Serbie. L’UE représente 55% des importations de la Serbie et 64% des exportations de Belgrade. Si le président français a signé de beaux contrats en Serbie, la France, qui bénéficiait jadis d’un statut privilégié auprès des Serbes, est loin derrière l’Allemagne et l’Italie qui font beaucoup plus de négoce avec leur voisin slave. La vente des Rafales va améliorer la position de Paris mais ne comble pas pour autant son retard par rapport à d’autres pays européens et à d’autres membres des BRICS comme la Chine et la Russie.
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Des tensions européennes derrière le réchauffement entre Paris et Belgrade
Si les relations économiques avec l’Union européenne sont bonnes, on ne peut pas en dire autant pour les relations politiques. Belgrade a déposé son dossier de membre auprès de l’UE et attend toujours le retour de Bruxelles depuis 2009. Bien que Belgrade progresse sur différents chapitres pour intégrer l’UE, Bruxelles ne cesse de mettre la pression sur M. Vučić pour qu’il applique des sanctions contre la Russie et abandonne purement et simplement la province du Kosovo et de la Métochie considérée par les Serbes comme leur terre sacrée depuis le Moyen-Âge. Pour rappel le Kosovo n’est pas reconnu comme État indépendant par l’ONU, ni par 5 pays membres de l’Union européenne, ni par les pays représentants les 5/7e de l’humanité. Pour autant la reconnaissance de son indépendance est devenue une fixation pour Bruxelles.
Macron et Vučić se connaissent depuis plusieurs années. Les relations sont aujourd’hui bonnes entre les deux pays. Le président serbe semble avoir oublié l’affront de 2018 quand il a été relégué au second rang lors de la commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale à Paris alors que le « président » du Kosovo était à la tribune présidentielle. La Serbie, alliée de la France pendant le conflit, a été le pays le plus sinistré de la Grande Guerre avec la disparition de 25% de sa population. L’affront fait au chef d’État serbe a été mal vécu en Serbie.
Les deux hommes ont visiblement enterré la hache de guerre mais la situation demeure néanmoins très difficile pour la Serbie depuis les guerres des années 1990 et l’agression illégale de l’OTAN en 1999. La Serbie ne veut être inféodée à aucune coalition politique et réclame le droit de tracter en direct avec la Russie, la Chine et l’Union européenne et les BRICS sans qu’aucun pays ou aucun bloc politique ne lui dicte ce qu’elle a le droit de faire. La Russie et la Chine laissent la Serbie poursuivre son chemin vers l’UE mais Bruxelles ne veut absolument pas que la Serbie ait sa propre stratégie vis-à-vis de ses partenaires orientaux qui, de plus, ont la préférence du peuple serbe.
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Emmanuel Macron a reconnu le manque d’enthousiasme des Serbes pour l’Union européenne et dit vouloir « réaffirmer le soutien de la France à l’ancrage européen » de la Serbie. Macron a employé des mots élogieux à l’encontre du peuple serbe en parlant d’une amitié « forgée à travers les siècles dans des combats cruels pour nos pays, pour notre Europe. Et dans les moments importants nos peuples se sont toujours trouvés côte à côte sans doute parce que nos peuples ont se rapport à une forme d’idéal, un romantisme, un courage et le sens de l’histoire en commun. » Le président français a clairement développé une tactique de séduction à l’encontre de son homologue serbe qui s’efforce de faire respecter la souveraineté de son pays alors que l’UE veut basculer la Serbie dans le camp atlantiste. Là où les émissaires européens sont souvent coercitifs à l’égard de la Serbie, Emmanuel Macron essaye de montrer une position plus conciliante et subtile. Le président français, en mai 2023, avait dénoncé « la responsabilité des autorités » des Albanais du Kosovo dans la dégradation de la situation et en août dernier Paris a critiqué « la multiplication d’actions unilatérales » de ces mêmes autorités albanaises contre les Serbes du Kosovo. Si Belgrade apprécié le soutien momentané de Paris au sujet du Kosovo et de la Métochie, le président Vučić n’est pas dupe sur les sirènes atlantistes à peine dissimulées par le président français. Dans le quotidien serbe Politika M. Macron avait appelé à un « front uni contre la Russie » mais M. Vučić, qui refuse les sanctions antirusses, lui répondit de vive-voix : «je sais qu’Emmanuel voudrait que nous imposions des sanctions à la Russie, mais je n’ai pas honte de ma décision. »
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Belgrade et Paris sortent gagnants de cette rencontre mais pas pour les mêmes raisons
L’opération de séduction du président français ne va certainement pas encourager la Serbie à rompre ses liens stratégiques, politiques et économiques avec la Russie ni avec la Chine mais la France et la Serbie se rapprochent, c’est indéniable. Aleksandar Vučić veut montrer au peuple serbe que son jeu d’équilibriste fonctionne. C’est un pari risqué mais qu’il tient depuis qu’il est au pouvoir. Avec l’achat d’avions à un pays membre de l’OTAN beaucoup de Serbes craignent que la Serbie finisse progressivement aspirée par le camp atlantiste. Il est amusant de lire dans la presse française que certains Français au contraire pensent que ces avions pourraient finir entre les mains russes ou chinoises. La vérité est que les deux hypothèses sont peu probables mais évidemment possibles à long terme et que Macron et Vučić ont fait des calculs politiques à court terme pour l’instant. Macron voit dans Belgrade des opportunités commerciales pour l’exportation française et Vučić voit dans Paris un allié pour défendre ses intérêts politiques au sein de l’Union européenne. A défaut de tirer tous les deux dans la même direction, au moins chacun y retrouve son compte.
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