1916 : l’armée française dans la bataille de la Somme

Shares
la bataille de la Somme 1916
Légende : Photo DR

Par Sylvain Ferreira

A la mémoire de mon arrière-grand-père Maurice Légé, blessé sur la Somme en septembre 1916

L’offensive de la Somme est restée dans l’histoire comme le symbole de l’engagement de l’Empire britannique dans la Grande Guerre éclipsant le rôle déterminant joué par les armées françaises aux ordres de Foch dans la préparation et l’exécution de ce qui était alors la plus grande offensive alliée sur le front occidental. Retour sur la participation, trop souvent oubliée, de nos armées à cette offensive majeure au cours de laquelle 202 567 soldats français ont été tués, blessés ou faits prisonniers.

L’offensive de la Somme s’inscrit dans le cadre d’une stratégie globale de l’Entente pour l’année 1916. Cette stratégie définie au cours de la conférence de Chantilly vise à utiliser la supériorité numérique des forces alliées sur tous les fronts pour venir à bout des empires centraux. La conception initiale de l’offensive sur le front français est claire : il s’agit d’une attaque combinée franco-britannique où les armées françaises occupent la place prépondérante et doivent enfin percer le front allemand. Le 18 février 1916, Joffre informe Haig, le nouveau commandant-en-chef britannique, de son intention de lancer une offensive d’envergure sur les deux rives de la Somme avec trois armées françaises soutenues au nord par l’armée britannique. Mais le projet de Joffre est mis à mal trois jours plus tard lorsque les Allemands déclenchent leur offensive limitée sur Verdun. L’usure des forces françaises dans cette bataille d’attrition va contraindre les Alliés à revoir plusieurs fois leurs plans entre février et mai 1916. Le rôle dévolu à l’armée française aux ordres de Foch va devenir de plus en plus secondaire, tandis que celui des Britanniques va devenir essentiel sans pour autant que la gestion stratégique des opérations échappe à Joffre. Malgré ce basculement dans le rapport des forces engagées, les soldats français vont tout de même contribuer avec des succès tactiques certains au déroulement de l’offensive du 1er juillet au 19 novembre 1916.

À lire aussi : L’offensive russe sur Kharkov : premier bilan

La planification française de l’offensive

Dès l’hiver 1916, Joffre demande à Foch d’étudier les possibilités de mener une offensive d’envergure entre la Somme et le Matz où seule l’armée française serait engagée. De cette idée initiale, et suite à l’attaque allemande à Verdun, les plans français puis franco-britannique vont subir plusieurs modifications jusqu’au 20 mai 1916, date à laquelle Joffre se résigne à lancer une offensive bien plus réduite que prévue dans laquelle les forces britanniques joueront les premiers rôles.Le 2 février 1916, Joffre reçoit la première étude du plan d’offensive confiée au Groupe d’Armées Nord commandée par Foch. Celui-ci, prudent, a misé sur un « combat de démonstration » et préconise de rechercher la décision sur un autre secteur du front. Néanmoins, Joffre reprend une partie du projet mais préfère déplacer le lieu de l’attaque sur les deux rives de la Somme, et informe Haig de sa volonté de voir l’armée britannique épaulée Foch sur son aile gauche. La date retenue pour lancer cette offensive qui vise alors clairement à rompre le front allemand est le 1er juillet 1916, au plus tard. Le 12 mars, le projet du généralissime français est validé au cours de la conférence alliée de Chantilly. Pour la première fois depuis la bataille de la Marne en septembre 1914, les deux armées vont devoir opérer de concert dans une opération majeure. A l’instar de ce qui s’est joué entre Joffre et French en 1914, la mise en œuvre d’une planification commune ne va pas se dérouler sans heurt entre les deux généraux-en-chef.

A ce problème de coordination va s’ajouter pour Joffre la gestion de la bataille de Verdun qui va aspirer les moyens humains et matériels qu’il entendait réserver à la Somme. Pourtant, dans un premier temps, Joffre entend maintenir son plan ambitieux. Il demande à Haig de prévoir l’engagement de 25 divisions pour flanquer la 6e armée de Fayolle à hauteur de Maricourt. Mais les terribles combats de mars à Verdun vont contraindre Joffre à revoir sa copie. Le 26 avril 1916, le G.Q.G (Grand Quartier Général) informe Foch que ses moyens (notamment l’artillerie lourde qui manque cruellement sur les bords de la Meuse) vont être diminués et qu’il doit en conséquence réduire la taille du front d’attaque des armées françaises. Le plan ne prévoit plus que 30 divisions françaises au lieu des 39 initialement prévues. L’effort principal des troupes de Foch doit désormais se concentrer sur les deux rives de la Somme entre Maricourt et Roye.

Le 20 mai, Foch voit ses moyens une nouvelle fois réduit, toujours en raison des besoins toujours plus importants exigés par la défense de Verdun où les Allemands percent sur la rive gauche de la Meuse. Il ne peut plus compter que sur l’engagement de la 6e armée de part et d’autre de la Somme. De son côté Haig maintient un niveau d’engagement identique avec 26 divisions d’infanterie. Malheureusement, la planification de l’attaque des deux armées se limite à une simultanéité d’action. On a donc deux offensives « juxtaposées » dont la coordination et l’exécution demeurent très limitée, tout en mettant toujours l’accent sur la volonté de « rompre le front ennemi sur l’axe Bapaume-Cambrai », même si le secteur est un des mieux organisés du front occidental. Cette approche initiale faussera la conduite des opérations tout au long de l’offensive. Les armées françaises et britanniques se contentant de conduire leurs actions de manière simultanée mais sans véritables concertations entre les états-majors, ce qui aboutira, entre autres, à l’échec final.

À lire aussi : Spécial 80e anniversaire de la Libération : L’opération « Jassy-Kichinev[1] » (20-29 août 1944)

La bataille française de la Somme

En raison de l’absence de coordination des opérations, l’offensive de la Somme va se caractériser pour les Français, comme pour les Britanniques, par une succession de batailles parcellaires du 1er juillet au 18 novembre 1916. Forts de l’expérience au combat, les unités françaises vont obtenir dans un premier temps des succès tactiques importants mais sans lendemain puisqu’ils ne s’inscrivent pas dans un cadre opérationnel cohérent avec les Britanniques. L’offensive du 1er juillet est soutenue par un effort logistique gigantesque mis en place tout au long du printemps 1916. Fort de l’expérience de l’offensive de Champagne en 1915, l’arrière front est transformé en vaste fourmilière dans laquelle sont stockées des millions de tonnes de munitions, de vivres. L’aménagement des positions des tranchées représentent le déplacement de millions de tonnes de terre. Enfin, la supériorité aérienne est assurée par six escadrilles françaises au début des combats.

Le jour J, tout est en place lorsque la préparation d’artillerie française s’achève de part et d’autre de la Somme. Les tactiques d’assaut de l’infanterie française et sa coordination avec l’artillerie, qui anéantit méthodiquement chaque point d’appui allemand, permettent de conquérir rapidement et à moindre coût la première ligne de défenses allemandes. Le 4 juillet au soir, les Allemands reculent partout devant l’infanterie française qui fait des milliers de prisonniers et capture d’importantes quantités de matériel. Assevillers, Flaucourt, Curlu, Belloy-en-Santerre sont reconquis bien que totalement détruits par l’artillerie. La troisième et dernière position de défense allemande est atteinte sur l’ensemble du plateau de Flaucourt au sud du fleuve. La percée est possible. Pourtant, deux facteurs vont empêcher l’exploitation de ce succès initial : tout d’abord, la résistance allemande se fait plus coriace et Falkenhayn engage ses réserves. D’autre part, Joffre comme Foch ne veulent pas « abandonner » les Britanniques, qui ont peu progressé, en faisant pivoter vers le sud l’axe de progression du 20e corps qui avance plus lentement au nord de la Somme. Enfin, la météo se dégrade et rend les attaques plus difficiles. Cette occasion manquée privera l’armée française d’une victoire opérationnelle majeure.

A partir de la mi-juillet, les Allemands ont réussi à réorganiser leurs défenses. Les combats perdent en intensité et surtout manquent de coordination. Il faut attendre le mois d’août pour que la VIe armée s’empare enfin de Maurepas tout en maintenant son aile gauche au contact des Britanniques. Début septembre, Joffre obtient de Haig la relance générale de l’offensive sur tout le front. Le 4 septembre la 10e armée de Micheler est engagée avec succès au sud du plateau de Flaucourt. Au nord, la 6e armée ne parvient pas à progresser en raison d’une météo exécrable malgré la prise de Bouchavesnes. Le champ de bataille est transformé en bourbier. Le 25 septembre, une nouvelle action conjointe avec les Britanniques est entreprise et aboutit à la reconquête de Combles. Le 28, Foch suspend l’opération en raison de la météo. Les derniers combats importants côté français se déroulent à partir du 5 novembre dans le secteur de Sailly-Saillisel. Les gains territoriaux sont minimes et les pertes terribles. Le 18 novembre, Joffre décide de mettre un terme temporaire aux actions offensives. La bataille française de la Somme s’achève dans la boue, le sang et la dévastation et surtout… sans victoire.

À lire aussi : Sénégal : Quelles sont les raisons derrière le succès fulgurant du candidat “antisystème” ?

Quel bilan ?

Le bilan de l’offensive de la Somme pour l’armée française paraît bien faible au regard des pertes consenties et des gains territoriaux obtenus. La responsabilité incombe principalement aux généraux français et permet de comprendre pourquoi en décembre 1916 Joffre sera remercié avec les honneurs et Foch « mis au placard ». Au-delà de la réduction des ambitions initiales de Joffre en raison de la pression allemande sur Verdun, l’offensive a échoué parce qu’elle a été mal conçue faute de réelle planification opérationnelle franco-britannique. Chacune des deux armées fixant elle-même ses objectifs sans autre coordination que la simultanéité temporelle des assauts, et ce malgré les tentatives de Joffre de contraindre Haig à suivre ses directives. Par ailleurs, rien n’a été prévu pour exploiter une éventuelle percée du front allemand dans le secteur français, y compris du point logistique pour permettre notamment à l’artillerie lourde de suivre les fantassins.

Lorsque le 4 juillet, le plateau de Flaucourt tombe sous les brillantes attaques du 1er Corps d’Armée Colonial, Foch n’est pas capable d’exploiter le succès obtenu et de modifier l’axe d’attaque de la 6e armée. Fayolle porte également une lourde part de responsabilité en abandonnant à ses subordonnés la mise en œuvre des assauts qui se transforment en combats parcellaires sans coordination. Après 5 jours de combats, les Allemands parviennent à se rétablir dos à la Somme entre Biaches et Villers-Carbonnel. Les premières unités allemandes retirées du secteur de Verdun viennent partout consolider les défenses. L’occasion d’exploiter les succès tactiques des premiers jours est manquée. Le commandement français n’a pas su comment passer de l’écrasement du dispositif adverse, relativement bien maîtrisé sur le plan tactique, à l’exploitation par la manœuvre, faute d’en maîtriser les rouages à ce stade du conflit. Dès lors, les combats meurtriers se déroulent par à-coups au gré d’une météo catastrophique qui retarde les attaques ou pire les annule. En septembre, Joffre demande aux Britanniques de poursuivre leurs assauts en direction de Bapaume et cantonne les efforts de Fayolle au soutien de l’aile droite britannique en direction de Combles. La 6e armée française se consacre désormais uniquement à appuyer les Britanniques au nord de la Somme. Elle cède la rive sud à la 10e armée Micheler qui remporte quelques succès tactiques. 

Aussi, comme à Verdun depuis février, la bataille de la Somme a très vite été réduite à de terribles combats d’attrition pour user l’ennemi. Elle aura pour seul mérite stratégique de stopper les velléités offensives allemandes sur la Meuse, mais pour un coût humain exorbitant. Si le commandement français saura reproduire à l’échelle tactique les méthodes employées sur la Somme pour reconquérir le fort de Douaumont en octobre 1916, il ne tirera aucune leçon opérative lors de la conception de la lamentable offensive du Chemin des Dames en avril 1917.

À lire aussi : L’offensive de Neuve-Chapelle (10-13 mars 1915)


#OffensiveDeLaSomme, #BatailleDeLaSomme, #GrandeGuerre, #PremièreGuerreMondiale, #France1916, #ContributionFrançaise, #ArméeFrançaise, #HistoireMilitaire, #StratégieMilitaire, #BilanDeGuerre, #HérosDeLaSomme, #VerdunEtLaSomme, #MémoireDesCombats, #SacrificeMilitaire, #EmpireBritannique, #FrontOccidental, #ConflitMondial, #StratégieFrancoBritannique, #ForcesAlliées, #CoordinationMilitaire, #HistoireDeLaGuerre, #Somme1916, #MémoireCollective, #SoldatsDeLaSomme, #HommageAuxCombattants, #Foch, #Joffre, #GrandeOffensiveAlliée, #ArméeColoniale, #BataillesHistoriques

Shares
Retour en haut