Par Sébastien Marco Turk, Docteur ès lettres de l’Université Paris-Sorbonne, Professeur des Universités
Au fil du XXIe siècle, les dirigeants occidentaux semblent de moins en moins capables d’accomplir leurs missions. Ils sont de plus en plus nombreux à être d’une faiblesse inquiétante, entraînant dans leur sillage un Occident lui-même affaibli. Cette fragilité croissante est l’une des raisons pour lesquelles les conflits se multiplient.
Dans les années 1990, lorsqu’une autre génération de dirigeants était au pouvoir, le monde connaissait une relative période de paix. Sous l’égide du chancelier allemand Helmut Kohl, par exemple, les Russes se retiraient d’Europe. Entre 1992 et 1994, d’importants contingents militaires soviétiques quittèrent les vastes territoires qu’ils occupaient, de la mer Baltique à l’Europe centrale et orientale, jusqu’à la mer Noire. Environ un demi-million de soldats se retirèrent de l’ex-RDA (alors partie intégrante de l’Allemagne réunifiée). Ce retrait était le fruit d’un Occident fort sur le plan civilisationnel, qui étendait son influence, forçant les Russes à se retirer là d’où ils étaient venus en 1945 avec les chars soviétiques. C’était une rectification d’une grande injustice historique. Les peuples sous le joug du Pacte de Varsovie portaient en eux une profonde animosité envers la Russie – un sentiment loin d’être infondé.
Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, cette animosité s’est transformée en peur. Le fragile cessez-le-feu sur le champ de bataille ne change en rien l’équilibre des forces : l’Europe est faible, et c’est précisément cette faiblesse qui a encouragé les Russes à l’attaquer. La presse française appelle souvent l’Ukraine “la porte de l’Europe”. C’est une image inquiétante : si cette porte venait à céder sous la pression de l’assaillant, la maison entière serait en péril. Ce scénario est d’autant plus probable que l’Europe, comme l’Occident, s’est profondément affaiblie. Dans la nature, le prédateur s’en prend toujours à l’animal le plus vulnérable, et il en va de même en géopolitique, où la force est la loi dominante. Stéphane Courtois, l’un des grands spécialistes du communisme, l’a rappelé en évoquant Staline : si ce dernier n’avait pas su en 1945 que les Américains possédaient l’arme atomique, il aurait poussé son rouleau compresseur jusqu’aux rives de l’Atlantique. Poutine, à l’image de Staline s’arrêtera là où on le contraindra. Sans opposition ferme, il poursuivra sa course jusqu’à son objectif final.
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À l’heure actuelle, face à la mollesse des dirigeants occidentaux, Poutine pourrait bien atteindre en partie ses objectifs. La Chine, d’ailleurs, a tout intérêt à ce que la guerre en Ukraine perdure. Chaque jour de conflit épuise l’Europe davantage. Ne l’avons-nous pas déjà ressenti ? En seulement deux ans, notre coût de la vie a augmenté d’un tiers, conséquence de la guerre et de la pandémie de Covid-19.
L’architecture qui garantissait la sécurité de l’Europe parait être en train de fléchir sous la pression, comme l’a illustré le dernier sommet de l’OTAN. Joe Biden, bien qu’il ne soit plus candidat à sa réélection, restera en poste jusqu’en janvier 2025. Lors de ce sommet, il a confondu le dirigeant russe avec le président ukrainien et remercié Donald Trump pour son aide en tant que vice-président. Ces confusions, venant de la plus haute autorité de la plus grande puissance de l’Occident, sont inquiétantes. Inutile de rappeler que l’OTAN est la seule structure garantissant la sécurité de l’Europe, et que le président des États-Unis y joue un rôle plus déterminant que son secrétaire général.
On pourrait minimiser cela en disant que Biden n’est qu’une exception, mais ce n’est pas le cas. Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, a montré un niveau similaire d’irresponsabilité en titubant lors d’un autre sommet de l’OTAN en 2018, soi-disant à cause d’une crise de sciatique. Ce sont là des exemples inquiétants, qui rappellent l’époque tardive de l’Union soviétique, lorsque les dirigeants, tels Brejnev ou Andropov, étaient visiblement en déclin physique.
Parmi ces leaders affaiblis, on pourrait aussi citer le pape François, qui montre des signes évidents de fragilité. Au lieu de s’attaquer à la crise du christianisme en Occident, les Européens se préoccupent de la santé déclinante du prélat, un symptôme parmi d’autres de la faiblesse généralisée des dirigeants actuels.
Ces exemples n’offrent que peu d’espoir pour l’avenir. L’histoire est en train de tourner une nouvelle page, même si peu en Occident s’en rendent compte.
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Aux États-Unis, Donald Trump bénéficie d’un regain de soutien, selon un récent sondage Gallup (fin septembre), qui révèle que pour la première fois, plus d’Américains s’identifient au Parti républicain (48 %) qu’au Parti démocrate (45 %). Le mécontentement envers Biden grandit, en particulier sur les questions économiques et migratoires. Cette faiblesse des États-Unis est rare dans leur histoire récente, mais la situation est encore plus critique pour l’Europe.
La présidente actuelle de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, porte une grande responsabilité dans cette détérioration. Les Européens vivent aujourd’hui plus cher qu’il y a cinq ans, et subissent une inflation sans précédent. La politique menée par la Commission, en particulier la transition écologique, fragilise des piliers économiques comme l’industrie automobile allemande, tandis que la question migratoire continue de déstabiliser les sociétés européennes. Pire encore, von der Leyen gouverne en dépit de la volonté exprimée par les électeurs lors des élections du 9 juin, où les socialistes ont subi une défaite historique, mais continuent de dicter la politique européenne.
Les fondements mêmes de l’Union européenne sont ignorés. Le traité de Lisbonne, qui fait office de constitution pour l’UE, n’inclut aucune des politiques qui sont aujourd’hui au cœur des préoccupations européennes : ni transition écologique, ni quotas de genre, ni migrants. Et pourtant, sous le mandat de von der Leyen, l’Europe s’enfonce dans une crise sans précédent.
Pour s’en sortir, L’Europe devrait envisager de se détacher progressivement de la tutelle de Bruxelles. L’Union européenne n’est pas un État, elle appartient à ses membres souverains. Un “Bruxit” devient nécessaire pour recentrer l’UE sur ses fonctions économiques et restreindre ses prérogatives politiques.
Cette idée prend chaque jour plus de poids. En Autriche, lors des élections du 29 septembre 2024, les partis souverainistes ont remporté une victoire. En France, le Rassemblement national s’impose comme un acteur politique de premier plan. Partout en Europe, le vent tourne. Si l’Europe veut survivre, elle devra considérablement réduire le pouvoir de Bruxelles. C’est l’unique chemin menant à l’avenir.
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