Proche-Orient : La Paix à Trois n’aura pas lieu

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Conflit au Proche-Orient

Tribune de Julien Aubert

Les objectifs fixés par Benyamin Netanyahou à la guerre engagée au Proche-Orient après « Shabbat noir » (le 7 octobre) étaient les suivants : éradiquer le Hamas et libérer les otages encore vivants sur les 251 otages qu’il avait capturés. 

Un an après vient l’heure des bilans. 

La première difficulté est qu’ils ne sont pas atteints. En matière d’otages, la solution diplomatique a permis d’en libérer une centaine de personnes, contre huit par la force (libérés par les militaires). Il en reste 60 vivants mais le Premier ministre a subtilement revu ses prétentions en parlant le 7 octobre 2024 de « ramener tous les otages à la maison » vivants ou morts. 

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A Gaza, le bilan s’approche aujourd’hui des 42 000 morts (chiffres du Hamas), en majorité des civils et le Hamas, bien qu’affaibli, n’a toujours pas été éliminé. Une estimation de Tsahal avant la guerre suggérait que le Hamas comptait environ 30 000 combattants à Gaza, mais certains chiffres montent à 50 000, du fait de la porosité entre le Hamas et la population. Les chiffres des pertes présumées oscillent entre 6 000 (chiffre avancé par le Hamas) et 17 000 (chiffre avancé par Tel-Aviv).  Tsahal affirme tuer deux civils pour un combattant du Hamas, mais le rapport pourrait être plutôt d’1 pour 4. 

Dans l’option la plus optimiste (17 000 combattants tués sur 30 000 avec un ratio de 2 civils pour 1 militaire), il faudrait s’attendre à ce que 26 000 civils supplémentaires perdent la vie pour écraser le Hamas. Dans l’option la plus pessimiste (6 000 combattants tués sur 50 000 avec un ratio de 4 civils pour 1 militaire), les pertes à venir seraient de 176 000. Cette petite équation froidement macabre laisse donc une question terrible sur la table. En extrapolant le nombre de morts civiles par rapport aux pertes du Hamas, on peut estimer en moyenne à 100 000 morts le coût humain supplémentaire. Le bilan de l’opération à Gaza serait donc d’environ 140 000 victimes civiles. Suivant qu’on qualifie cette guerre de libération ou de génocide, on préfèrera rappeler qu’elle correspond au bilan humain du Débarquement en Normandie (alliés et Axe) ou … du bombardement d’Hiroshima. 

La seconde difficulté est que la multiplication des fronts rend plus nébuleux les buts de guerre. Ainsi, il n’aura échappé à personne qu’aucun otage ne se trouve au Liban ou en Iran. Le Premier ministre israélien s’est donc adapté et a élargi les buts de guerre en rajoutant la nécessité de « faire revenir les habitants du sud et du nord [du pays] en sécurité dans leur maison », une manière habile de translater le problème du 7 octobre vers le Nord. 

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Néanmoins, et c’est ce qui avait compliqué du reste la résolution des grands conflits mondiaux, plus il y a de pays concernés dans le conflit, plus sa résolution est compliquée, puisqu’il faut gagner partout. 

L’offensive israélienne repose sur un pari militaire, à savoir qu’à un moment donné, le Hezbollah s’effondrera, se retirera de la frontière et cessera de tirer sur Israël. A partir du moment où la lutte contre Israël est la principale raison d’être du Hezbollah, il y a fort à parier que ce scénario ne se produira pas : la seule possibilité existante serait de rayer le Hezbollah de la carte. Le Center for Strategic and International Studies, un groupe de réflexion de Washington DC, estime que le Hezbollah compte environ 30 000 combattants actifs et jusqu’à 20 000 réservistes. En 2006, le ratio de pertes avait été de 1 combattant israélien pour 1,5 combattants du Hezbollah (121 contre 199), sans compter 1 200 victimes civiles. Sauf à ce que Tsahal change la donne tactique, il faudrait donc s’attendre à des pertes dépassant les 30 000 soldats. 

Qui pense qu’Israël se risquerait à perdre plusieurs dizaines de milliers de soldats, plus de 5% de ses effectifs totaux, pour éradiquer le Hezbollah ? Les armes non conventionnelles comme le piégeage des bippers ne suffiront pas à gagner la guerre. Quant aux bombardements à l’aveugle, ils se heurteront à la réprobation internationale. 

In fine, ce qui est le plus regrettable c’est qu’aucun de ces buts de guerre n’est en soi un but politique, en cela qu’il ne garantit non pas une paix pour vingt ans mais un traité de paix. 

Le Premier ministre israélien n’a jamais voulu d’une solution à deux États et croit que la réponse au problème est uniquement militaire. Il n’a jamais ainsi poussé pour une solution politique. L’éradication du Hamas, même si elle se produisait, ce dont je doute, à court-terme, ne permettra donc pas l’émergence d’une paix des braves. 

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Tout ceci porterait à croire que le véritable objectif du Premier ministre serait plutôt l’Iran. Une première interprétation est purement militaire. Ainsi, l’ancien Premier ministre Naftali Bennett a expliqué que maintenant que les branches les plus puissantes de la pieuvre terroriste iranienne, le Hezbollah et le Hamas, étaient affaiblies, Israël avait pour la première fois la possibilité d’agir contre l’Iran sans craindre une riposte insoutenable, en portant un coup dur au régime iranien et à son programme nucléaire. 

L’autre interprétation est politique. Il s’agirait de renverser le régime des mollahs en Iran en le ridiculisant. Je suis moins convaincu par cette analyse. Si celui-ci ne tient que par la répression, il est hasardeux de penser qu’il puisse tomber avant que les Etats-Unis sortent de leur cycle électoral. Le Guide, l’Ayatollah Khamenei, est âgé de plus de 83 ans, certes fatigué et malade, mais vivant. 

Le scénario le plus probable est donc que le bras de fer se poursuive entre deux États qui ont en commun le sentiment d’être des citadelles assiégées par des voisins hostiles, l’un parce qu’il est juif, l’autre parce qu’il est chiite. 

Le second objectif réel de la guerre est hélas à portée interne. Netanyahou tient par le soutien des forces d’extrême-droite et tout accord avec la partie adverse – le Hamas – le ferait chuter. Or, le Premier ministre n’est pas pressé de revenir à la vie civile et d’affronter le bilan du 7 octobre, lui qui avait privilégié la protection des colonies en Cisjordanie à la sécurisation de la frontière gazaouie. Pour le moment aucune commission d’enquête n’a été lancée, malgré les demandes de certaines familles qui ont perdu des proches.

A l’inverse, plus le conflit se régionalise, plus il se détache de Gaza, plus la cote de soutien au Likoud se renforce. Le Premier ministre israélien a connu une remontée de sa popularité dès avril 2024, lié à la menace d’un embrasement régional après le bombardement du consulat iranien de Damas et la faible riposte iranienne qui avait suivi.

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Voilà pourquoi, marchant dans les pas de tous les chefs d’État confrontés à un conflit majeur, Netanyahou est contraint de rester habillé en « commander in chief ». Il a soigneusement choisi ses mots pour habiller son offensive. Il parle ainsi de « mission sacrée » – ce qui renvoie à la nécessité de faire aussi l’union sacrée autour de sa personne – et a proposé de rebaptiser la guerre, actuellement « Sabres d’acier » en « Guerre du Renouveau », misant sur l’homophonie avec la Guerre d’indépendance de 1948 (komemiyout). Devant les scrupules de ses ministres, Netanyahou a préféré conclure son propos de la sorte : « Le 7-Octobre symbolisera pour les générations à venir le prix de notre renaissance, et cela leur prouvera notre détermination et la force de notre esprit ».

En investissant la thématique religieuse, le Premier ministre israélien renvoie aussi aux arguments fondés sur la Bible des néo-sionistes favorables à la colonisation de la Cisjordanie. Là encore, Netanyahou emprunte le même chemin que les mollahs : n’oublions pas que le pouvoir religieux des mollahs est messianique. Il se voit garant de l’unité du pays et de sa grandeur, incarnation d’une civilisation millénaire qui traite d’égale à égale avec les plus grands.

Entre Israël, monde arabe et Iran, la paix à trois n’a jamais semblé si loin. 

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