Par Sylvain Ferreira
Selon Lebogang Mothapa, attaché de presse du DMV (Department of Military Veterans) sud-africain : « la bataille a été la plus grande confrontation militaire sur le sol africain depuis les batailles Alliés-Axe en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a marqué le début de la fin de la domination de la minorité blanche en Afrique australe, du démantèlement du système d’apartheid et de la libération totale de l’Afrique de l’occupation européenne ».
La bataille de Cuito Cuanavale et l’intervention de Cuba en Angola constituent des événements marquants de l’histoire de l’Afrique australe. Cet épisode se caractérise par l’envoi d’un important corps expéditionnaire cubain dans l’ouest du pays à proximité de la frontière namibienne. Les combats dans le sud-ouest de l’Angola entraînent le retrait des forces sud-africaines (SADF : (South African Defence Force), de l’ANC et de Cuba, ainsi que l’accession à l’indépendance de la Namibie. Néanmoins, la bataille de Cuito Cuanavale suscite de vives controverses. Les interprétations diffèrent selon les acteurs, les historiens et les observateurs, certains la considérant comme une défaite de la SADF, d’autres comme un retrait stratégique ou encore comme une impasse. La bataille, ou plus précisément le siège de Cuito Cuanavale, s’est déroulée le long des rives de la rivière Lomba, à proximité de Cuito Cuanavale, dans le sud-est de l’Angola. Elle a vu l’UNITA (soutenue par les SADF) s’affronter à l’armée angolaise (FAPLA) assistée par Cuba, l’Union soviétique et, dans une moindre mesure, l’Allemagne de l’Est. Les enjeux étaient alors considérables pour les deux camps, et cette confrontation représente toujours l’une des plus importantes opérations conventionnelles des forces sud-africaines depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les origines du conflit
Le conflit trouve ses racines dans les convictions idéologiques divergentes des mouvements politiques angolais jusqu’alors engagés dans la lutte commune contre le Portugal. À la suite de l’indépendance de l’Angola en 1975, le parti marxiste MPLA, sous la direction de José Eduardo dos Santos, accède au pouvoir. Cependant, cette victoire ne suscite pas l’adhésion de tous les Angolais. Une guerre civile éclate alors entre le MPLA et l’UNITA, dirigée par Jonas Savimbi, avec une implication croissante des grandes puissances, transformant le pays en un terrain d’affrontement de la guerre froide. Le gouvernement angolais, soutenu par l’Union soviétique, Cuba et d’autres mouvements de libération, s’associe à l’ANC et à la SWAPO, toutes deux actives en Angola. De son côté, l’UNITA reçoit le soutien des États-Unis et du régime sud-africain, qui considèrent le MPLA comme une menace pour la stabilité de la région. En 1987, les forces armées angolaises (FAPLA) lancent une offensive pour s’emparer de la base stratégique de l’UNITA à Mavinga, essentielle pour accéder à la forteresse de Savimbi à Jamba. Au départ, l’offensive connaît un certain succès et repousse l’UNITA vers le sud. Cependant, alors que les brigades angolaises et cubaines intensifient leurs attaques, la SADF intervient pour soutenir l’UNITA, craignant qu’une victoire de la FAPLA et de Cuba ne compromette la paix en Namibie et n’accentue les opérations de l’ANC en Afrique du Sud.
La bataille de Cuito Cuanavale
En octobre 1987, la 47e brigade des FAPLA, en pleine offensive, subit de lourdes pertes près de la rivière Lomba, située à 40 kilomètres au sud-est de Cuito Cuanavale, suite aux attaques de la SADF. Plusieurs brigades des FAPLA, affaiblies, se retirent vers Cuito Cuanavale, une ville isolée à la confluence de deux rivières. La SADF est alors la possibilité de prendre la ville, ce qui pourrait modifier l’équilibre stratégique en divisant l’Angola en deux et en renforçant la position de l’UNITA. Cependant, la SADF fait preuve d’hésitation, ce qui permet à un contingent de 120 soldats cubains, arrivés de Menongue, de rejoindre Cuito pour soutenir sa garnison. Les avis sont très partagés concernant cette phase du conflit, influencés par les interprétations des intentions sud-africaines. Quoi qu’il en soit, les événements qui suivent le retrait des FAPLA vers Cuito sont indéniables. D’importants affrontements ont lieu en novembre 1987, puis en janvier et février 1988, culminant avec la dernière grande offensive de la SADF le 23 mars 1988.
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Deux interprétations divergentes
Selon une première perspective, soutenue par l’ANC, Cuba et divers mouvements de libération, la SADF avaient pour but de s’emparer de Cuito Cuanavale et de sa base aérienne stratégique. Les bombardements intensifs et les attaques répétées des unités d’élite, comme le 61e bataillon mécanisé, témoignent de leur détermination à atteindre cet objectif. Le 23 mars 1988, la bataille atteint un tournant décisif et coûteux. Le colonel Jan Breytenbach, à la tête du 32e bataillon de la SADF, déclarera par la suite : « Les soldats de l’UNITA ont payé un lourd tribut ce jour-là. » Cette journée illustre la force des défenses des unités des FAPLA. Dans ce cadre, l’incapacité des SADF à atteindre leurs objectifs représente donc une victoire significative pour les forces angolaises et cubaines.
En ce qui concerne l’analyse de la SDAF, défendue par ses chefs et certains historiens, les objectifs sud-africains étaient plus restreints : contenir l’ennemi à Cuito, rendre la piste d’atterrissage inutilisable, puis se retirer. Selon cette perspective, toute avancée supplémentaire aurait pu compromettre les négociations de paix entre Cuba, l’Angola et l’Afrique du Sud, qui avaient démarré début 1988. Les responsables sud-africains, tels que le général Jannie Geldenhuys et le ministre de la Défense Magnus Malan, affirment que la victoire décisive a eu lieu sur la rivière Lomba, et que les opérations à Cuito n’étaient qu’une étape secondaire. Leur objectif principal, empêcher la prise de Mavinga et sécuriser la base de l’UNITA à Jamba, a quant à lui été atteint.
Les pertes subies par les deux camps soutiennent cette thèse :
Indicateur Cuba/FAPLA SADF
Tanks détruits 94 3
Véhicules de transport détruits 100 5
Véhicules logistiques détruits 389 1
Soldats tués 4 785 31
Bien que ces données indiquent un avantage tactique pour les SADF, Fidel Castro et Ronnie Kasrils notent que la prudence des SADF à Cuito Cuanavale révèle des occasions manquées d’exploiter les succès initiaux sud-africains.
Un tournant politique
Qu’elle soit interprétée comme un retrait tactique de la SADF ou comme une victoire des forces angolaises et cubaines, la bataille de Cuito Cuanavale représente un tournant décisif. Elle précipite les négociations de paix, entraînant le retrait des forces sud-africaines (SADF), MK et cubaines d’Angola et de Namibie, ainsi que l’indépendance de la Namibie. Lors du 20e anniversaire de cette bataille, Nelson Mandela affirmera qu’elle a constitué « un tournant pour la libération de notre continent et de mon peuple ». Le mémorial de Freedom Park, à Pretoria, inscrit les noms des soldats cubains tombés aux côtés des combattants sud-africains, symbolisant les sacrifices partagés pour la libération de l’Afrique australe.
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