ANALYSE – Ukraine : Un avenir de plus en plus incertain…

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Crise militaire et économique en Ukraine
Denys Chmyhal, Premier ministre de l’Ukraine. Photo DR

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Note d’actualité du Cf2R N°661 / Novembre 2024

L’Ukraine, désormais proche de sa troisième année de conflit avec la Russie, se trouve dans une situation critique, tant militaire qu’économique. Sur le terrain, les combats sont intenses et voient les forces russes progresser dans plusieurs régions clés comme Kharkiv et Zaporijjia, augmentant ainsi la pression sur Kiev. Cette avancée russe oblige l’Ukraine à revoir ses priorités en matière de dépenses et de mobilisation, comme en témoigne l’adoption récente de la loi de finances pour 2025, qui prévoit d’allouer environ 26% du PIB à la défense, avec une augmentation des dépenses militaires de 1,6 milliard de dollars par rapport à 2024, portant le total à environ 53,4 milliards de dollars. Cet engagement financier vise à soutenir une armée qui fait face à une érosion croissante de ses capacités de combat.

Le Premier ministre ukrainien, Denys Shmyhal, a déclaré que toutes les recettes fiscales seront destinées au renforcement des forces armées. Mais l’Ukraine devra également faire face à un déficit budgétaire qui, en 2025, dépassera les 35 milliards de dollars. Avec un déficit qui a atteint 20,6% en 2023 et le Parlement ukrainien contraint d’augmenter les impôts pour la première fois depuis le début de la guerre, l’économie nationale est dans une situation de grande fragilité. La dépendance aux aides extérieures devient de plus en plus marquée et le soutien occidental, bien que généreux, est soumis à conditions. En effet, selon des sources locales, les partenaires de l’OTAN auraient notamment demandé à Kiev d’abaisser l’âge de la conscription à 18 ans pour combler les pertes sur le terrain. Actuellement, l’âge minimum pour la conscription est de 25 ans, mais le gouvernement ukrainien envisage de le réduire à 21 ans, voire à 18 ans sous la pression des alliés.

En effet, les pertes humaines de l’Ukraine atteignent des niveaux insoutenables. Selon plusieurs rapports, le Pentagone estime qu’au rythme actuel, les forces ukrainiennes pourraient voir leurs réserves s’épuiser dans le sept à neuf prochains mois. Les estimations russes suggèrent que l’Ukraine perdu entre 438 000 et 876 000 combattants, morts et blessés, depuis le début du conflit, tandis que Kiev affirme que près de 700 000 soldats russes ont été tués ou blessés. Ces chiffres, bien que difficiles à confirmer, soulignent le coût humain énorme d’un conflit qui s’est transformé en une guerre d’usure.

Le déficit de personnel militaire ukrainien est accentué par le fait qu’environ 800 000 hommes âgés de 18 à 60 ans vivent cachés pour éviter le recrutement forcé. La désertion est en hausse : plus de 80 000 cas ont été enregistrés, dont la moitié en 2024. La situation est de plus compliquée par un système de formation inefficace qui envoie au front des recrues mal préparées. Cela a conduit plusieurs commandants ukrainiens à se plaindre de la mauvaise qualité des troupes dont ils héritent, souvent incapables de manipuler des armes de base, ce qui augmente encore les pertes.

Les difficultés ne se limitent pas au manque de soldats. L’arsenal ukrainien s’épuise rapidement et les efforts occidentaux pour approvisionner Kiev en armes et en munitions sont entravés par des problèmes logistiques. Par exemple, l’initiative européenne visant à fournir un million d’obus d’artillerie à Kiev en mars 2023 n’a réussi qu’à en livrer que 650 000 à ce jour. Pire encore, les munitions achetées sur les marchés internationaux, comme celles acquises par la République tchèque, se sont souvent révélées obsolètes, certains obus datant de la Seconde Guerre mondiale. Cela a provoqué des incidents de tir, endommagé le matériel et entraîné des pertes parmi le personnel.

L’industrie de la défense ukrainienne est sous forte pression, avec une pénurie de drones de reconnaissance et autres équipements essentiels pour la poursuite des opérations. Les attaques russes contre les infrastructures critiques, y compris les bases aériennes, ont réduit au minimum les capacités opérationnelles de l’aviation ukrainienne : seule une poignée d’avions de combat est opérationnelle aujourd’hui. Sur le front terrestre, les forces ukrainiennes ont subi des pertes importantes en termes de véhicules et d’artillerie (plus de 1 000 véhicules détruits rien que dans le secteur de Koursk entre août et septembre).

Sur le plan démographique, le conflit a eu un impact dévastateur : selon le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), l’Ukraine a perdu plus de 10 millions d’habitants depuis le début de la guerre. Sa population actuelle est estimée 33 millions de personnes. Ce déclin est le résultat combiné de pertes directes, d’émigration et d’un taux de natalité en baisse. La crise humanitaire se reflète également à travers l’augmentation du nombre d’invalides civils et militaires, estimé à 4 millions.

Sur le plan géopolitique, l’élection de Donald Trump aux États-Unis pourrait marquer un changement dans les dynamiques internationales. Trump a souvent exprimé sa volonté de négocier avec Poutine, ce qui pourrait ouvrir une nouvelle phase diplomatique. Mais pour l’instant, l’Ukraine n’a d’autre choix que de continuer à résister. Zelensky, confronté aux pressions internes et internationales, a prolongé une nouvelle fois la loi martiale et la mobilisation jusqu’en février 2025, affichant la détermination de Kiev à poursuivre la résistance, même au prix de sacrifices humains et financiers supplémentaires.

En résumé, l’Ukraine fait face à un avenir incertain, prise entre une escalade militaire continue et la nécessité de trouver une issue politique qui semble encore lointaine. L’Occident, quant à lui, est confronté à un dilemme : continuer à soutenir un effort de guerre qui risque de devenir insoutenable ou pousser vers une solution négociée qui pourrait modifier les équilibres stratégiques dans la région.

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