
Par Alexandre Aoun
L’histoire des Juifs en Ouzbékistan est aussi ancienne que méconnue, riche en échanges culturels, en prospérités éphémères et en épreuves au fil des siècles. Cet article retrace les origines et le parcours complexe de cette communauté, depuis son arrivée aux confins des steppes d’Asie centrale jusqu’aux transformations récentes après la chute de l’Union soviétique.
L’arrivée des Juifs en Ouzbékistan remonte probablement aux premiers siècles de notre ère, bien qu’il soit difficile de dater avec précision leur établissement dans la région. La légende raconte que des Juifs ont été déportés en Asie centrale après la destruction du Premier Temple de Jérusalem en 586 avant J.-C. par Nabuchodonosor. Cependant, il existe peu de preuves archéologiques de cette première migration. Ce n’est qu’avec le développement de la Route de la Soie, reliant la Méditerranée à l’Asie de l’Est, que les contacts commerciaux entre Juifs et peuples d’Asie centrale se sont intensifiés.
Des juifs d’origine perse
Les premières traces documentées de Juifs en Asie centrale datent de l’époque sassanide (IIIe au VIIe siècle après J.-C.), période pendant laquelle les Juifs perses pouvaient avoir migré vers les régions de Samarcande et Boukhara, deux villes qui deviendront des centres culturels majeurs pour la communauté juive d’Ouzbékistan. Cette dernière s’est principalement divisée en deux groupes au fil des siècles : les Juifs Mizrahim, plus tard connus sous le nom de « Juifs de Boukhara », et les Ashkénazes, arrivés beaucoup plus tard. Les Juifs de Boukhara, installés à Boukhara et Samarcande, étaient majoritairement des descendants des Juifs perses. Ils parlaient le boukhori, une langue persane avec des influences hébraïques, et avaient développé des coutumes religieuses et sociales spécifiques, distinctes de celles des Juifs d’Europe ou du Moyen-Orient.
Durant le Moyen Âge, Boukhara devint un important centre intellectuel et spirituel. La tolérance relative de la dynastie des Samanides (IXe au Xe siècle) permit aux Juifs de pratiquer leur religion et de s’intégrer dans la société boukhariote, bien qu’ils restaient souvent confinés à des rôles spécifiques, tels que le commerce, l’artisanat ou la médecine. Cependant, avec les invasions successives des Mongols et de Tamerlan, les Juifs, comme d’autres minorités, furent contraints à la marginalisation, voire à l’exil.
Du XVIe au XVIIIe siècle, l’Asie centrale est déchirée par des luttes de pouvoir entre différents khanats. Sous les khanats de Boukhara et de Kokand, les Juifs sont souvent victimes de persécutions et sont soumis à la « jizya », l’impôt de capitation imposé aux non-musulmans. La situation des Juifs empire parfois sous des souverains particulièrement zélés, mais elle reste relativement stable pour la majorité d’entre eux, qui continuent à occuper des rôles d’intermédiaires dans le commerce. La première synagogue de Boukhara est tout de même construite en 1620, avant, les juifs officiaient dans les mosquées. Toutefois, la communauté est obligée de vivre dans un quartier déterminé, n’a pas le droit de monter à cheval et ne peut porter de soie. Pour éviter les persécutions, certains juifs décident de se convertir à l’Islam et sont appelés les Chala.
Arrivée des juifs ashkénazes

Au XIXe siècle, les ambitions coloniales de l’Empire russe atteignent l’Asie centrale, bouleversent l’équilibre précaire des minorités religieuses. La conquête russe de l’Ouzbékistan entraîne une réorganisation administrative et politique de la région, qui affecte aussi les Juifs. En 1868, la prise de Boukhara par les Russes améliore temporairement la condition des Juifs boukhariens, qui bénéficient de la relative tolérance du pouvoir colonial. Cependant, une grande partie de la population reste sous la juridiction du khanat de Boukhara, où les persécutions persistent.
Avec la colonisation russe, une nouvelle vague de Juifs ashkénazes arrive en Ouzbékistan, fuyant les pogroms et les discriminations de l’Empire russe. Ces Juifs ashkénazes, originaires d’Europe de l’Est, s’installent majoritairement à Tachkent, la capitale administrative. Cette migration change le visage du judaïsme ouzbek, car les Ashkénazes apportent avec eux des pratiques et des rites différents de ceux des Juifs de Boukhara. La coexistence entre les deux groupes est parfois difficile en raison de ces différences culturelles et linguistiques, mais une certaine symbiose s’établit progressivement.
Après la Révolution russe de 1917 et la création de l’Union soviétique, l’Ouzbékistan devient une république socialiste soviétique en 1924. Le régime soviétique impose une laïcité stricte et mène une campagne active de répression contre toutes les religions, y compris le judaïsme. Les écoles religieuses sont fermées, les rabbins persécutés, et la pratique religieuse est contrainte à la clandestinité. Cependant, la Seconde Guerre mondiale marque un tournant, car des dizaines de milliers de Juifs, fuyant l’invasion nazie de l’Union soviétique, se réfugient en Ouzbékistan. Tachkent, Samarcande et Boukhara accueillent des Juifs soviétiques de diverses régions, renforçant temporairement la communauté juive.
Après la guerre, certains réfugiés choisissent de rester, mais les décennies qui suivent voient un déclin progressif de la pratique religieuse et de l’identité juive, sous l’influence de l’assimilation forcée. Le départ massif de nombreux Juifs vers Israël et les États-Unis à partir des années 1970, encouragé par une politique d’émigration plus ouverte, entraîne également une baisse démographique.

Un héritage mis en avant
Avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, l’Ouzbékistan devient indépendant, et une certaine liberté religieuse est restaurée. Les synagogues et les écoles juives rouvrent, notamment à Tachkent et Boukhara. Pourtant, la situation économique difficile pousse une grande partie de la communauté juive à émigrer, principalement vers Israël et les États-Unis. Les années 1990 et 2000 voient donc un exode massif qui réduit drastiquement la population juive en Ouzbékistan. Aujourd’hui, on estime que seulement quelques milliers de Juifs, principalement âgés, demeurent en Ouzbékistan, dans les villes de Tachkent, Samarcande et Boukhara.
Malgré les départs, l’héritage des Juifs d’Ouzbékistan subsiste. Le boukhori, langue autrefois largement parlée par les Juifs de Boukhara, reste vivante dans certaines communautés de la diaspora, en particulier en Israël et aux États-Unis. L’artisanat juif traditionnel, notamment la fabrication de tapis et de textiles, est également perpétué. En Ouzbékistan, les anciennes synagogues et les quartiers juifs de Samarcande et Boukhara attirent l’intérêt des historiens et des touristes, témoignant de siècles de coexistence et de résilience.
Le gouvernement ouzbek, bien que strict sur les questions religieuses, valorise cet héritage juif comme partie intégrante de l’histoire nationale, en le promouvant dans les circuits touristiques. Cependant, pour les derniers Juifs restés sur place, les défis demeurent : préservation de la culture, accès à la pratique religieuse et survie économique dans une société où la communauté est désormais très réduite.
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